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INNOCENT IV


lions du pontife, bulles authentiques, etc. Parmi ces documents figure, à la suite des deux appels de Frédéric Illos jelices et Eisi causæ nostræ justitiam, dont nous avons précédemment parlé, un petit traité qui est annoncé par la phrase : Per dominum papam litteris priemissis laliter est responsum et qui débute par ces mots jEgcr cui lenia. Or cette pièce ne figure pas dans les registres officiels d’Innocent IV. Mais, comme nous l’avons déjà dit, le dominicain Ptoléinée de Lucques déclare en propres termes : « Innocent fit un autre livre intitulé : de junsdiclione imperii et aiictorilale pontificali, où il réfute les assertions présomptueuses et les prétentions exagérées du logothète de Frédéric, Pierre des Vignes…. Le pape voulut que cet opuscule fût appelé V Apologétique. » Historia ealesiastica, dans Muratori, Scriptores, t. xi, p. 1146.

M. Huillard-Bréholes, Pierre de la Vigne, p. 146, a fait l’ingénieuse hypothèse que VApologelicus ne serait autre que le traité Aiger cui lenia du registre d’Albert de Béham. Il n’est pas douteux que l’opuscule ne réponde, point par point, à la fameuse encyclique écrite au nom de Frédéric II par Pierre de la Vigne après le concile de Lyon ; l’hj’pothése en question me paraît donc assez plausible. Quoi qu’il en soit, d’ailleurs, que la pièce JSger cui lenia soit l’opuscule d’Innocent IV, une composition personnelle d’Albert de Béham, ou un document émané d’un propagandiste au service de la curie romaine, elle reflète au mieux les sentiments que l’on avait à la cour pontificale sur les rapports de l’Église et de l’État. Il ne saurait être superflu de la signaler à l’attention des historiens de la théologie. Après avoir résumé les attaques portées par Frédéric contre la sentence pontificale, l’auteur de l’opuscule établit dans les termes suivants l’autorité absolue de la papauté : « Nous exerçons donc sur la terre une délégation générale du roi des rois, qui a conféré au prince des apôtres, et à nous par le fait même, la plénitude du pouvoir de her et de délier sur la terre non seulement tous les hommes, mais toutes les affaires : non solum qucmcumque, sed quidcumque. Puisque saint Paul a dit « Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges ? » si les choses spirituelles nous sont soumises, à combien plus forte raison les temporelles. » Si le sacerdoce de l’ancienne loi eut le pouvoir de transférer la royauté d’un sujet à un autre, à combien plus forte raison ce pouvoir existe-t-il dans les héritiers du sacerdoce du Christ. « Il reste donc que le pontife romain peut exercer au moins en certains cas, saltem casualiler, sa juridiction pontificale sur n’importe quel chrétien, quelle que soit sa condition, et surtout à raison du péché, maxime ratione peccati ; il peut dès lors déclarer qu’un pécheur, quel qu’il soit, après qu’il est tombé au fond de l’abîme du vice par son mépris, doit être tenu pour païen et publicain, étranger au corps des fidèles, et dès lors, au moins par voie de conséquence, privé de tout pouvoir temporel, s’il en possédait quelqu’un ; car sans aucun doute ce pouvoir ne peut exister en dehors de l’Église, puisqu’en dehors d’elle, là où tout travaille pour l’enfer, il n’y a point de puissance ordonnée par Dieu » — Ici l’auteur rencontre l’objection que faisaient dès lors les légistes impériaux ; le pouvoir du pape en inatière temporelle remonte à une concession de l’empereur Constantin, concession que peuvent toujours révoquer les empereurs germaniques, héritiers de la puissance romaine. A Dieu ne plaise, répond l’apologiste ! Ce n’est point à Constantin, que remonte ce pouvoir temporel. II existait bien antérieurement chez les pontifes, naturellement et en puissance et naturaliter et potentialiter. « Car Jésus-Christ, fils de Dieu, vrai roi et vrai prêtre selon l’ordre de Melchisédcch a conféré au siège apostolique non seulement la monarchie pontificale, mais la monarchie royale, non solum pontificalem sed et

regalem constitua monarchatum ; au bienheureux Pierre et à ses successeurs, il a confié les rênes de l’empire céleste aussi bien que du terrestre. Devenu chrétien, Constantin a humblement résigné aux mains de l’Église ce pouvoir illégitime et désordonné, illam inordinatam tijrannidem dont il usait sans droit auparavant, quand il était hors de l’ÉgUsc. Introduit dans celle-ci, il a reçu des vicaires du Christ, successeur de Pierre, ce pouvoir impérial réglé par Dieu, pour s’en servir dorénavant d’une manière légitime pour le châtiment des méchants, la récompense des bons ; la puissance dont il abusait d’abord, lui ayant été ensuite régulièrement concédée. C’est en effet au sein de l’Église fidèle que se conservent les deux glaives de la double administration (temporelle et spirituelle) ; quiconque n’y est pas, en cette église, ne peut avoir ni l’un ni l’autre, et il est impossible de soustraire l’un et l’autre au droit de Pierre, neuter quoque non creditur juris Pétri. Car le Seigneur n’a pas dit à l’apôtre : « jette ton épée » mais bien « remets-la au fourreau » ; c’est-à-dire, n’exerce pas dorénavant ce pouvoir par toi-même ; et il a bien dît ton épée, c’est bien la sienne, ce n’est point celle d’un autre. » « Ce droit de glaive matériel est donc implicitement dans l’Église, il est explicité (c’est-à-dire mis en acte) par l’empereur qui le reçoit de celle-ci : per imperatorem, qui eam (potestatem) inde recipit explicatur. Dans le sein de l’Église il demeure à l’état potentiel et inclus ; il s’actualise quand il est conféré au prince. C’est ce qu’indique la cérémonie du sacre impérial : le souverain pontife montre au César qu’il couronne le glaive contenu dans le fourreau ; le prince le reçoit, le tire et le brandit, pour montrer qu’il vient de recevoir le droit de s’en servir. »

Frédéric a signalé aux têtes couronnées le danger dont les menace l’intrusion de la papauté ; que ces puissants ne s’en émeuvent pas, continue notre auteur. Ils ne dépendent point des prélats qui les sacrent comme dépend de nous l’empereur romain, car « celui-ci se lie au pontife romain, dont il reçoit l’honneur impérial avec le diadème, par un lien de fidélité et de soumission : fideUtatis et subjectionis vineulo se astringit. « Autre d’ailleurs est la condition des rois, lesquels sont des monarques héréditaires, autre celle de l’empereur « lequel est choisi par la libre élection des princes d’Allemagne. Or, nul ne le conteste, tout le monde le reconnaît, ce droit d’élire un roi des Romains que nous devons ensuite promouvoir à la dignité impériale, a été conféré aux électeurs par l’autorité apostolique qui jadis a transféré l’empire des Grecs aux Germains. »

On remarquera cette distinction que l’auteur du document prétend établir entre l’empire d’une part et la monarchie héréditaire. Toute de circonstance, eUe est plus habile que loyale ; Innocent III n’avait pas hésité à user de son droit souverain quand il s’agissait de couronnes royales, et la bulle Unam sanctam de Boniface VIII, rappellera les mêmes principes au roi de France, Philippe le Bel. Et c’est encore à Boniface VIII que l’on songe inévitablement quand on lit la conclusion de la pièce qui nous analysons : « Ah I l’on trouve ridicule de condamner comme coupable de crime de lèse-majesté l’empereur, le seigneur de majesté, de le soumettre aux lois portées contre les criminels de lèse-majesté, lui que sa dignité impériale soustrait à toute loi ! On ne remarque donc pas que l’empereur est soumis à la majesté divine, qui l’emporte infiniment sur la sienne et dont la violation, pour parler suivant les hommes, doit être poursuivie par une vindicte plus grave que la violation de la majesté temporelle. » Texte dans Hôfler : Albert von Beliam, p. 86-92. Il

Par ces extraits, on peut juger si Innocent IV et