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INNOCENT IV


rois ; dans l'Église enrichie cL sécularisée, les miracles ont disparu, et c’est par la violence que l’on prétend dominer sur les cœurs. Par force ou par amour, l’empereur saura bien contraindre les gens d'Église à redevenir des saints. - — ^ Toutes ces idées ne sont pas nouvelles, elles s’agitaient déjà confusément dans les milieux illuministes et mystiques du xii' siécic. l-'rédéric leur donne un corps, il leur prête l’incomparable appui de son pouvoir impérial. C’est dans son entourage de légistes qu’elles s’affirment, se précisent, s’appuient de preuves ; c’est ici que les trouveront les hommes de l'âge suivant, les légistes de Philippe le Bel et les théologiens de Louis de Bavière, les Pierre Dubois les Pierre Flotte, les Guillaume d’Occam et les Marsile de Padoue.

En attendant, Frédéric et son monde s’efforcent de les propager autour d’eux. Ce sont elles qui se proposent sous forme plus ou moins voilée selon les correspondants à qui l’on s’adresse, dans la série de protestations qui, à la suite de la sentence de Lyon, partent pour les divers États de l’Europe. Et ces excitations ne restent pas sans résulLat, d’autant que, depuis un siècle, les divers dépositaires de la souveraineté laïque supportent avec impatience les continuelles interventions de l'Église dans certains domaines qu’ils prétendent, de plus en plus, se réserver. Il est deux terrains particulièrement sur lesquels tendent à se multiplier les conflits entre gens d'Église et souverains temporels. Par le jeu des circonstances, il se trouve que l'Église durant le haut moyen âge, s’est. vu réserver un pouvoir judiciaire qui dépasse de beaucoup son apparente compétence. Ce pouvoir, elle prétend le maintenir au moment même où se réorganisent les cours séculières, lesquelles revendiquent maintenant une foule de causes attribuées jusque-là par la coutume ou le droit écrit aux tribunaux d'Église. De là proviennent, de multiples conflits entre ofiiciers judiciaires, ecclésiastiques et laïques. D’autre part, l’excessif développement de la centralisation entraîne une extension correspondante de la fiscalité ecclésiastique. Sans cesse à court d’argent, la curie romaine multiplie en toute la chrétienté des taxations de plus en plus lourdes. Tondus d’un peu près par les agents pontificaux, les contribuables, qu’ils soient gens d'Église ou laïques, commencent à protester. Ces deux causes de mécontentement Frédéric sut les exploiter. C’est à son époque que l’on entend devenir particulièrement bruyantes les réclamations de certains pays, contre la fiscalité pontificale. L’Angleterre est la plus âpre en ce genre de protestations. En I-"rance c’est plutôt la question de la juridiction ecclésiastique qui prend un caractère aigu. A la veille du départ de saint Louis pour la croisade, on voit se former une ligue des barons français, décidés à repousser les empiétements, réels ou supposés, du clergé contre la juridiction séculière. Elle groupe, cette ligue, les plus puissants seigneurs du royaume avec, à leur tête, le duc de Bourgogne, les comtes de Bretagne, d’Angoulôme, de Saint-Pol, lesquels sont chargés de défendre les droits de la noblesse et d’appliquer à la défense commune la levée annuelle du centième de leur revenu que les ligueurs ont décidé de percevoir sur leurs propres biens. Texte du pacte dans Huillard Bréholles, t. vii, p. 468. Durant l’absence du roi, la régente Blanche de Castille n’hésite pas à entrer personnellement en conflit avec des gens d'Église pour des questions analogues. Cf. Potthast, n. 12 536, 13 071, 14 135, 14 921. Nous savons enfin par une bulle du 20 juin 12.52, Potthast, n. 14 644, qu’en France des grands, des barons et autres possesseurs de pouvoirs séculiers interdisaient à leurs sujets de donner aux églises ou couvents des terres, dîmes ou revenus. Bref, nous assistons en France au premier éve de ce qu’il faut bien appeler l’anticléricalisme.

Il serait exagéré d’attribuer à Frédéric tout seul la responsabilité d’un mouvement qui avait dans le passé des racines profondes, mais il faut reconnaître aussi que l’infatigable propagande de l’emijcrcur n’a pas peu contribué à rendre le mouvement phis organisé et plus agissant.

2° Lu riposte d' Inmicent IV et de ses théolocjiens. — Ainsi la papauté, sous Innocent IV, se trouve en présence d’une opposition redoutable. Ce n’est plus seulement le pouvoir du souverain pontife qui est mis en question, c’est la conception même de l'Église, qu’avait lentement élaborée la coutume, et qu’avaient codifiée les canonistes du xii<e siècle, qui se trouve attaquée. La brillante synthèse, dont nous avons vu Innocent III, développer les diverses parties, révèle presqu’aussitôt ses insuffisances et ses faiblesses. Ce n’est pas une raison pour Innocent IV de l’abandonner, mais au contraire de la renforcer ; les doctrines qu’avaient affirmées ses grands prédécesseurs, il les fait siennes. Avec une nuance pourtant. Ceux-ci avaient particulièrement insisté sur l’autorité personnelle du pape, vicaire de Dieu. Innocent IV mettra surtout en avant le pouvoir de l'Église et l’origine divine de sa constitution. A ce point de vue la bulle Agni sponsa nobilis, fin mars 1246 est particulièrement intéressante. C’est une réponse directe à l’cneyclique de Frédéric sur la réforme de l'Église et le retour de celle-ci a son état primitif. On en remarquera le début solennel : « La noble épouse de l’Agneau, mystérieusement formée du côté de celui-ci endormi sur la croix, dotée de perles incomparables, consacrée par son sang vivifiant, l’emporte à juste titre sur tous les princes de la terre. La sainte mère Église universelle commande en tous les lieux du monde, puisque par tous les climats règne et domine son noble époux, Jésus-Christ, par qui régnent les rois, d’où procède toute puissance, en qui nous vivons, nous nous mouvons, nous sommes, dont le pouvoir atteint d’une mer à l’autre, et du fleuve jusqu’aux extrémités de la terre. Et les fils de l'Église ont donc pouvoir sur toute la terre, super omnem terram obtineni prineipalnm ; à eux fut conféré le droit d’arracher et de détruire, d'édifier et de planter. Exaltée par une large richesse et d’innombrables honneurs, la troupe illustre des frères et amis, qui font la volonté de l'épouse, se réjouit et préféie à tout l’amour de celle-ci. Épouse si grande d’un si magnifique époux, ornée du diadème royal… elle ne craint pas, que dis-je, elle n’en estime que plus insensée, la témérité du présomptueux qui ose, dans sa superbe, élever le talon contre la dominatrice de l’univers contra universorum dominam, et toucher à la montagne d’où vient à tous le secours… S’attaquer à l'Église, c’est s’attaquer à l’auteur même du salut. » Texte dans Huillard-BrchoUes, t. vi, p. 396-399. Non moins remarquable est la bulle A diebiis Frederici, du 8 décembre 1248 ; elle énumère avec une volontaire emphase tous les attentats dont l’empereur s’est rendu coupable contre l'Église, tout spécialement en Sicile, et se termine par l’affirmation du droit exclusif qui appartient au pape de réformer l'Église. HuillardBréholles, t. vi b, p. 676-681.

Mais le document de beaucoup le plus important poui juger des idées que l’on se faisait à la cour pontificale, sur les droits et les devoirs de l'Église, c’est, à coup sûr, une pièce insérée par l’ancien légat pontifical Albert de Béham, dans son registre publié par Hofler. Ce livre curieux, composé par un fonctionnaire en vue de la cour pontificale, n’a aucun caractère officicl. Le compilateur y a recueilli au jour le jour, à côté de documents ou décomptes, d’ordre purement personnel, certaines pièces d’intérêt plus général, dont beaucoup sont relatives à la querelle d’Innocent et de Frédéric : lettres encycliques de ce dernier, allo'^n-