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INNOCENT IV


cent IV n’en était pas moins animé de sentiments humains et vraiment libéraux, qui font contraste avec la dureté générale de son époque. Il a cherché à réprimer les redoutables abus qui dès ce moment se glissaient dans la répression de l’hérésie. Potthast, 11 083, 11 193. Les juifs brutalement persécutés dans le midi de la France recourent à lui, comme ils avaient recouru à ses prédécesseurs et trouvent auprès de lui de la justice, de la bienveillance même. Les lettres par lesquclleb Innocent prend la défense des juifs de Valréas. font le plus grand honneur à leur auteur. Berger, Registres, n. 2815, 2838.

II. Idées théologico-politiques.

Comme pour Innocent III, il n’est pas inutile, à cette place, de préciser les idées générales qui ont dirigé l’activité d’Innocent IV, de signaler les sources où il les a puisées, de marquer les oppositions qu’elles ont suscitées et qui finiront, tôt ou tard, pai' en réduire l'âpreté. Comme ses prédécesseurs immédiats Innocent est avant tout un canoniste : ses actes, aussi bien que ses écrits sont le fidèle reflet de l’enseignement juridique qui depuis le xiie siècle se donnait à Bologne, qui s'était cristallisé dans le Décret de Gratien et plus récemment dans les Décrétales de Grégoire IX. A cette édification du droit canonique, Innocent a apporté lui aussi sa contribution qui n’est pas sans importance. Mentionnons seulement pour mémoire son petit traité de cxceplionibus qui est sans doute antérieur à son pontificat, mais le volumineux Apparatus in quinque libros decreialium. mérite de la part des canonistes une étude approfondie. C’est un commentaire suivi des cinq livres des Décrétales publiés par le pape Grégoire IX, plein de remarques ingénieuses, d’idées générales, en même temps que d’applications extrêmement pratiques. Cet ouvrage publié à Lyon, peu de temps après le concile, était destiné, dans la pensée du pape, aussi bien aux praticiens de la jurisprudence qu’aux théoriciens du droit. L’Apologelicus dont Ptolémée de Lucques fait également honneur à Innocent, avait un objectif plus restreint : il s’agissait d’affirmer le droit de l'Église dans les choses temporelles que commençaient à contester les légistes de Frédéric II, et tout spécialement l’ierre de la Vigne. L’ouvrage serait perdu, encore qu’une hj’pothèse assez ingénieuse semble l’avoir retrouvé ; on reviendra sur cette question.

1° Les théories aiili-ecclésiastiqucs au XIIIe siècle. — Les idées d’Innocent IV sur les rapports du spirituel et du temporel, de l'Église et de l'État, de la papauté et de l’empire ne diflèrent pas sensiblement de celles que nous avons vues exposées par Innocent III. Mais tandis que ce dernier demeure en tranquille possession, jouit sans conteste de la suprématie qu’il revendique sur l’ensemble de la chrétienté, Sinibald Fiesco se heurte à une terrible opposition, qu’avaient seulement esquissée les timides remontrances de l'âge précédent. Le grand adversaire de la papauté, Frédéric II, s’est nettement rendu compte que le duel entre pape et empereur ne met pas en conflit uniquement des revendications particulières et de petites ambitions territoriales, qu’il s’agit bien plutôt de la lutte entre deux grandes conceptions du monde et de l’autorité, l’idéal théocratique dont les canonistes viennent de rédiger les formules, l’idéal séculier dont les légistes du souverain sont justement en train de préciser les contours. Les théories ecclésiastiques vont à concentrer tout pouvoir, spirituel et temporel, entre les mains du pape ; retournant aux traditions du droit romain, les légistes frédériciens s’elTorceront de justifier l’attribution à l’empereur de l’ensemble de la souveraineté tant séculière qu’ecclésiastique. Le plus remarquable de ces lliéoriciens impériaux est sans contredit Pierre de la Vigne, d’abord grand juge puis logothète du royaume

de Sicile. Encore qu’il soit difficile de faire le départ dans la volumineuse correspondance qui lui est attribuée entre le certain, le douteux et l’inauthentique, il reste assez de pièces, qui sont incontestablement de lui, pour que l’on puisse, sans trop de fantaisie, reconstruire l’ensemble de ses idées. Elles s’expriment au mieux dans les protestations rédigées par lui, au nom de son maître, après la déposition de celui-ci par le concile de Lyon, pour être adressées aux divers souverains de l’Europe. Celle qui est expédiée aux barons, aux nobles et aux communes d’Angleterre est de beaucoup laplus importante ; c’est une critique en règle, très modérée dans laforme, infiniment pénétrante dans le fond de la sentence pontificale, de ses attendus et de ses considérants. Ceux-ci, tout particulièrement, sont soumis à un examen qui n’en laisse rien subsister, car c’est la compétence même du juge qui est niée : il n’y a point de sentence là où un juge incompétent a pro nonce. Très habilement d’ailleurs le légiste prétend ne point nier la plenuriam in omnibus potestatem de l'Église. Simple concession de forme, car il ajoute aussitôt : Il Quoi qu’il en soit, on ne lit nulle part qu’une loi divine ou humaine ait concédé à l'Église le droit de transférer le pouvoir à sa fantaisie, celui de punir les rois au temporel par la privation de leurs royaumes, celui de juger les princes de la terre. Bien qu’en effet le droit et la coutume concèdent à celle-ci le droit de nous consacrer, elle n’a pas davantage le pouvoir de nous déposer que les divers prélats qui, dans les divers royaumes, consacrent et oignent les rois, suivant les coutumes établies. » Comment d’ailleurs l’empereur pourrait-il être atteint par des hommes, lui qui ne relève que de Dieu ? « L’empereur romain, gouverneur impérial et seigneur de majesté, imperialis reclor et dominas majestatis, on prétend le condanmer comme coupable du crime de lèse-majesté. Il est ridicule de prétendre s^oumettre à une loi, celui qui, par sa dignité impériale, est soustrait à toute loi, qui legibns omnibus imperialiter est solutus, de prétendre soumettre à des peines temporelles celui qui n’a point de supérieur temporel. Cela n’appartient qu'à Dieu. » Le texte dans Hôfler, Albert von Beham, ).lQ-9, ^.

Sans doute, le même document poursuit en déclarant que l’empereur reconnaît la légitimité des peines spirituelles, mais l’on sait de reste ce que pesaient, aux yeux du premier des libres-penseurs modernes, les sentences ecclésiastiques, que les plus fervents de ses contemporains prenaient déjà d’un cœur léger. Il est inexact d’ailleurs de prétendre que Frédéric acceptât sans ambages ni restrict-ion l’autorité spirituelle de l'Église. M. Huillard-Ba-éholles, encore que plusieurs de ses concrusions aient été contestées, semble avoir mis dans un jour particulièrement heureux la pensée fondamentale de Frédéric II et de ses conseillers. Elle tend à absorber l'Église dans l'État, à conférer au souverain politique une suprématie religieuse analogue à celles qu’exercent les monarques orientaux, grecs ou musulmans, avec lesquels Frédéric s’est trouvé en relations. Ce pouvoir, l’empereur investi d’une autorité quasi-divine, en usera surtout pour opérer dans l'Église une réforme qui s’impose. Le mot magique qui retentira durant tout le xiv<= et le xv siècle, et qui amènera en 1517 la révolution que l’on sait, Frédéric un des premiers l’a prononcé, avec le sens que lui donneront les grands agitateurs religieux des siècles suivants. C’est lui, qui, l’un des premiers, déclare qu’il est grand temps de ramener l'établissement ecclésiastique à la pureté, à la simplicité, à la pauvreté de ses origines. Depuis qu’ils se sont chargés des multiples soucis de la souveraineté séculière et de la propriété temporelle, les héritiers et successeurs des apôtres onperverti le concept d'ÉglisqJLeurs pères, jadis, accomt plissaient des miracles et convertissaient peuples et