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INNOCl’.NT IV

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longue liste des engagements pris par le souverain et non exécutés, des serments violés par lui aussitôt que prêtés. Au point où en étaient les choses à l’avènement d’Innocent IV, c’était la lutte à mort entre papauté et empire, l’un des deux devait périr ; Innocent fiL en sorte que ce fût l’Empire qui succombât Nul n’a le droit de le lui reprocher.

1. Innocent à Lyon.

Et pourtant l’on commença par des négociations et même des traites de paix. Le jour du jeudi saint, 31 mars 1244, les deux envoyés de Frédéric, Thaddce de Suesse et l’ierre de la Vigne promettent solennellement au nom de leur maître l’exécution des articles dont ils sont convenus avec le pape : restitution pleine et entière de tout le patrimoine de l’Église romaine, occupé par les impériaux ; amnistie complète accordée à tous ceux, les Lombards compris, qui, pour détendre l’Église, ont pris les armes contre l’empereur. Or dès le 30 avril, le pape se plaint qu’en ce qui concerne ce dernier point les promesses faites ne sont pas exécutées. Fotthast, n. Il 359. L’empereur semblait bien décidé à ne pas les accomplir. Innocent jugea dès lors que toute négociation ultérieure serait inutile. Frédéric lui demandait une entrevue. Innocent feint de s’y prêter ; en réalité il craint de la part de l’empereur une tentative violente contre sa personne, et fait secrètement ses préparatifs de fuite. Dans la nuit du 28 juin, il quitte Sutri, dont Frédéric s’est rapproché ; déguisé en militaire, il parcourt à tranc-étrier les vingt lieues qui le séparent de Civitta-Vecchia, où il arrive le jour de la Saint-Pierre, vers l’heure de none ; le soir il s’embarquait pour Gênes, avec cinq cardinaux qui l’avaient accompagné. L’intention du pape était dès lors de se rendre en quelque ville sûre’où il pourrait convoquer ce concile général, que Grégoire IX avait inutilement tenté de rassembler. Là se liquiderait la querelle entre le pape et l’empereur. Pour de multiples raisons de convenance. Innocent choisit comme lieu de la convocation la ville de Lyon. Encore rattachée nominalement à l’empire, la cité était assez proche du domaine royal de saint Louis, pour que l’on pût espérer du roi de France, si la nécessité s’en faisait sentir, une protection prompte et efficace. Une fois de plus, dans de pénibles conjonctures, le papauté venait se meitre sous la sauvegarde de la France.

Nous n’avons pas à étudier ici le 1° concile de Lyon : (voir l’article spécial) bornons-nous à dire que malgré des empêchements de toutes sortes, il réunit un nombre de prélats suffisant pour lui donner un caractère œcuménique. La séance capitale eut lieu le 17 juillet 1245. Après un réquisitoire formidable, qui rappelait tous les crimes dont l’empereur s’était rendu coupable envers cette Église romaine, qui avait été la tutrice et la gardienne de son enfance. Innocent prononçait contre le souverain prévaricateur et félon la sentence de déposition : « Le dit prince qui s’est rendu si indigne, de l’empire, de ses royaumes (Frédéric était roi de Sicile, d’une part et de l’autre roi de.Jérusalem et de Chypre) de tout honneur et dignité, qui, pour ses iniquités et ses crimes a été rejeté de Dieu, privé par lui du droit de régner et de commander, nous le désignons à tous, et le dénonçons comme lié et rejeté à cause de ses péchés, privé par là de tout honneur et dignité, et par notre sentence, nous l’en privons, suis ligaliim pcccalis et <il>jeqiim omnique honore ac dif/nitule privulam oslendimus, jlenunciamus et niliilominiis senlenciando priDomus ; tous ceux qui lui sont liés par un serment de fidélité, nous les délions à perpétuité de ce serment ; en vertu de notre autorité apostolique, nous défendons formellement à tous de lui obéir à l’avenir comme à un empereur et un roi, de It considérer comme tel. Quiconque désormais lui prêterait aide, conseil ou faveur, nous déclarons qu’il

tombe ipso facto sous le coup de l’excommunicatioii. Ceux qui ont charge dans l’empire de l’élection inipiriale, lifi choisiront un successeur ; quant au royaume de Sicile, de concert avec nos frères les cardinaux, nous y pourvoirons connue il nous semblera expédient. Le texte dans Huillard-Bréholles, t. vi a, p. 319-327.

Le théologien ne manquera pas de peser tous les mots de cette sentence rendue par un pape avec l’approbation d’un concile ; c’est l’expression la plus nette de ce pouvoir de l’Église sur le temporel dont nous avons vu la théorie définitivement élaborée à l’époqu.’et en partie par les soins d’Innocent III. On remarquera tout spécialement comment le texte pontifical distingue entre deux sentences rendues contre Frédéric. L’une a été prononcée dans le ciel par Dieu, qui a rejeté l’empereur à cause de ses péchés ; celle-là le pape est chargé de la proclamer oslendimiis et denanciamus ; l’autre c’est le pontife lui-même qui la profère, et niliilominus sentenciando privamns. Le nihilominus en particulier est une vraie trouvaille qui justifie l’existence d’une sentence terrestre après que déjà la sentence céleste a été prononcée.

A la sentence pontificale, Frédéric répondit par une vigoureuse contre-attaque. Aux divers princes de l’Europe, au roi de France, saint Louis, aux barons d’Angleterre, aux seigneurs français, il prétend montrer en des termes irrités comment sa cause est celle de toutes les têtes couronnées, comment il est urgent de liguer contre les ambitions et les avidités ecclésiastiques, les forces combinées de tous les souverains temporels. Nous verrons ultérieurement les effets produits par cette intense propagande et la constitution, en ce milieu du xiiie siècle, de théories antiecclésiastiques qui s’opposent à la doctrine du pouvoir absolu de la société spirituelle. En même temps que cette offensive morale, Frédéric en essayait une autre, dont les résultats eussent été plus immédiatement tangibles. Des négociations habilement conduites durant l’année 1246 avec le comte de Savoie semblent devoir lui ouvrir la route des Alpes ; de gros préparatifs sont faits dans la Haute Italie au printemps de 1247 ; il.s’agissait de marcher sur Lyon et de contraindre Innocent par tous moyens de faire sa paix avec l’empereur. En ce péril extrême. Innocentent recours aux bons offices du roi de France. A plusieurs reprises, depuis que le pape s’était réfugié à Lyon, saint Louis avait cherché à interposer sa médiation entre les deux puissances en guerre. Personnellement le saint roi déplorait cette querelle qui, au grand détriment des intérêts de la chrétienté, absorbait toutes les forces vives de l’Europe occidentale, à l’heure même où d’immenses dangers menaçaient l’Orient ; malgré la sentence du concile de Lyon, il n’en continuait pas moins à traiter Frédéric en empereur, avec la courtoisie et les égards dus à son rang souverain. Sans en avoir jamais discuté à fond la théorie, il n’admettait pas le procédé, qui consistait pour l’Église à vider des querelles d’ordre temporel par le recours aux armes spirituelles. Innocent.se serait gravement trompé, s’il avait cherché dans le roi de France, un appui dans ses offensives contre Frédéric. Mais l’empereur se trompait plus lourdement encore, quand il pensait trouver un allié dans le saint roi. On le vit bien en ce printemps de 1247. Prévenu du danger (lu’Innocent courait à Lyon, saint Louis fit entendre au pape qu’il était bien décidé à le défendre contre toute entreprise violente, partie d’Allemagne ou d’Italie. Que l’empereur franchît les Alpes et toutes les forces de la monarchie française allaient s’avancer jusqu’aux bords de la Saône et du Rhône. Des lettres émues du pape dirent aussitôt sa reconnaissance à la reine Blanche et au roi : Vocem gementis Ec.clesix, l’otthast.n. 12 574 ; Lsetentiir cœli et cxidtet terra, il’id., .1.12 573. Elles sont du 17 juin. Or, dès la veille, les pré-