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que le Christ, en tant qu’oint, est moindre que son l'ère. » De là vient aussi que dans l’Exode, xxii, 28, le Seigneur appelle les prêtres des dieux, tandis que les rois sont seulement nommés des princes, car il est écrit : Diis non delnihes et principi popiiU lui non maledices ; de là aussi cpie le proplu-te Malacliie, ii, 7, appelle les prêtres des anges : Lubiu sacerdolis ciislodient scienliam… angclu.s enim Domini est. I.e prêtre Jêrémie « a été établi par IJieu sur les nations et les royaumes, pour arracher et pour abattre, pour ruiner et pour détruire pour bâtir et pour planter, » Jer., i, 10, et le même pouvoir a été conféré à Pierre, quand le Seigneur lui a dit : « Tu es Pierre, etc. » Ft d’ailleurs les princes n’o’it reçu pouvoir que sur la terre, tandis que les piètres ont pouvoir aussi sur le ciel ; les premiers ne l’ont que sur les corps, les seconds l’ont aussi sur les âmes. Autant donc l'âme dépasse le corps en dignité, autant le sacerdoce dépasse le pouvoir royal. Quand Pierre, au livre des Actes, reçoit l’ordre de tuer et de manger ce qu’il aperçoit dans la grande nappe descendue du ciel, Act., x, 9-15, c’est comme si Dieu lui disait : Immole les vices, mange les vertus ; immole l’erreur, mange la vérité ; en d’autres termes, « arrache et détruis, édifie et plante, ».Jer., 1, 10, et cela dans tout l’univers ; car il est bien vrai que chacun des seigneurs a sa province à gouverner, chacun des rois son empire à régir, mais Pierre, lui, les domine tous par la plénitude de son pouvoir et par son extension, car il est le vicaire de celui à qui appartient la terre et tout ce qu’elle contient. « Par l’ancienneté encore le sacerdoce dépasse la royauté ; cela est vrai du peuple juif sans doute ; et si l’on objecte que chez les gentils il en fut autrement, que Bélus, Sarug, Nemrod furent rois avant qu’il y eût des prêtres : nous répondrons qu’ils fuient tous précédés par Noé, qui fuit rector arcæ quasi sacerdos Ecclesia' et qui d’ailleurs s’est révélé prêtre en oITrant l’holocauste après le déluge. Examinons d’ailleurs la façon dont Dieu se comporte avec le sacerdoce et avec la royauté. Contre le premier il n’autorise aucune révolte, contre la seconde au contraire il lui arrive de susciter des compétitions ; David contre Saiil, Jéroboam contre le fils de Salomon. »

Il ne fallait pas que les clercs du parti de Philippe fussent bien difficiles pour accepter sans sourciller une telle exégèse et la doctrine qu’elle prétendait appuyer. A Constantinople, on y mettait plus de façons, et I ? basikus objectait au souverain pontife les textes du Nouveau Testament qui établissent si nettement le partage des deux domaines, temporel et spirituel. Innocent n’est pas décontenancé par cette exégèse byzantine, et après avoir discuté sommairement les textes alléguis par l’empereur, il affirnie avec une nouvelle force la valeur de son principal argument. Le Christ, prêtre selon l’ordre de Melchisédech, roi des rois en même temps, a transmis ses pouvoirs dans leur intégrité à Pierre son vicaire et à ses successeurs.

Si l’on ajoute aux arguments déjà mentionnés, d’autres qui reviennent fréquemment ailleurs : les deux glaives dont il est question dans l'Évangile, les deux luminaires, dont le plus grand qui préside au jour est l'Église, l’autre qui préside à la nuit représente le pouvoir temporel, on aura à peu près l’ensemble des textes qui reviennent indéfiniment dans ces fastidieuses controverses. Jusqu'à quel point Innocent croyait-il lui-même à la valeur de ces arguments scripturaires, c’est ce qu’il est difficile de dire. Pour justifier son action politique, il disposait d’ailleurs d’une preuve autrement sérieuse : représentant sur la terre de l’autorité divine, il a comme principal devoir de faire régner la vertu, la justice, la paix. Rien ne saurait l’empêcher de remplir cette grande tâche : Nos vcro, qiios ad regimen Ecclesiæ diuina elegit dis positio, illam concepinius firmiter volunlulem, ut neque mors, neque vila ah amplexii nos possiL seu observatione justiliæ revocare. P. L., t. ccxiv, col. 195.

Cette autorité que le pape possède sur les souverains temporels, elle s’exerce tout d’abord dans les questions proprement spirituelles, et nul, ici, ne s’avise de la contester. Gardien de la morale chrétienne, le souverain pontife a le devoir d’en faire respecter les règles, même par les têtes couronnées. Rien de plus légitime que son intervention dans les diverses questions matrimoniales que nous avons passées en revue. C’est au nom du même principe que le pape se croit autorisé en certains cas à légitimer des naissances irrégulières, et à déclarer les bénéficiaires de ces mesures aptes à la succession royale. Les enfants que Philippe-Auguste a eus de son mariage illégal avec Agnès de Méranie sont déclarés capables de lui succéder. Voir dans Potthast, n. 1794, une théorie complète de ce droit pontifical. Au nom du même principe encore, et comme gardien de la loi morale, le SaintSiège se permet d’intervenir dans les questions monétaires ; n’est-il pas de son office de veiller à ce que soit observée, par les rois comme par les sujets, la justice dans les transactions ? Lettre au roi d’Aragon. Potthast, n. 656.

Mais, si l’on pousse à bout l’application de cette idée, qui ne manque ni de justesse ni de grandeur, on en arrive à légi.imer l’intervention du pape dans des questions strictement politiques, car il n’en est guère qui ne relèvent, d’une manière ou de l’autre, de la loi morale. Qu’il s’agisse de contestations entre princes voisins, de différends entre un prince et ses sujets, de compétition entre deux prétendants, une question de bon droit et de justice est toujours au point de départ de semblables démêlés. Et voici, le souverain pontife obligé par son principe, à s’immiscer en des querelles qui ne regardent plus que de très loin les choses religieuses. Innocent III n’a pas reculé devant cette conséquence ; une lettre à Philippevuguste, en date de 31 octobre l’iOli, explique au mieux cette doctrine du pouvoir indirect, qui deviendra fameuse dans les siècles suivants. Le roi de France a cité le roi d’Angleterre, son vassal, à comparaître devant la cour de Paris, pour répondre de ses nombreux manquements à la loi féodale. La cour du roi a condannié par contumace Jean Sans Terre à la confiscation de tous les fiefs qu’il tient du Capétien ; et Philippe a procédé d’urgence à l’exécution de la sentence. Aussitôt le pape envoie des légats pour rétablir la paix entre France et Angleterre ; mais les envoyés pontificaux ont été fort mal reçus ; à' leurs objurgations, le conseil de roi, seigneurs et évêques, a répondu : « Il s’agit ici de droit féodal et d’hommage (de jure jeudi et hominio) ; on n’est pas tenu sur ce point d’obéir au commandement du siège apostolique. Le pape n’a rien à voir dans les affaires qui se discutent entre rois. » Cette réponse de la France a vivement ému le souverain pontife ; « il semblerait par là que le roi veuille ou puisse restreindre la juridiction du pape, juridiction que non point l’homme, mais Dieu, ou plutôt r Homme-Dieu a tellement élargie, quand il s’agit de choses spirituelles, qu’elle ne peut l'être davantage, puisc|ue la plénitude ne saurait recevoir aucun accroissement. » Le pape ne veut pas discutera fond les paroles du roi, mais lui proposer un certain nombre de raisons qui militent contre une opinion si hasardée : Le souverain pontife d’abord est tenu par son office de procurer partout la paix ; d’autre part il est aussi de son devoir de juger des questions qui touchent au salut ou à la damnation des âmes. Or n’est-ce point chose qui mérite la damnation éternelle et qui éloigne du salut, que d’entretenir la discorde, d’exposer un pays à toutes les calamités, à toutes les misères physiques