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INNOCENT III


divine qu’est dénoué ce lien spirituel, quand par translation, déposition ou démission, l’autorité du pontife romain, vicaire de Jésus-Christ, sépare un évéque de son Église. Dés lors ces trois actes sont réservés exclusivement au pontife romain, moins par le droit canonique que de droit divin. De même donc qu’un évèquc consacre ne peut, sans la permission du pontife romain, abandonner son Église, semblablemenl un évéque élu et confirmé n’a point licence de quitter l'Église à laquelle il est attaché. Quelle que soit donc la déférence que nous professions pour nos collègues dans l'épiscopat, et spécialement pour l'évêque d’Anliochc, nous pourrions pour empêcher que l’on ne croie que le droit patriarcal donne à qui le possède le pouvoir d’opérer une translation, pour empêcher la création d’un précédent, souverainement dommageable aux privilèges du siège apostolique que nous sommes tout d’abord tenus de sauvegarder, nous pourrions, dis-je, priver le patriarche du droit de confirmer et de consacrer les évéques, et vous suspendre vous-même de l’administration de l’office épiscopal. » P. L., t. ccxiv, col. -162.

Qu’on juge dès lors si le pape se réserve un droit de regard sur l’administration épiscopale : les exemples abondent dans les registres, d'évêques sommés de venir en cour de Rome se justifier d’accusations dont ils ont été l’objet, comme aussi d’enquêtes sur la conduite de certains prélats confiées aux évoques voisins et aux abbés de quelque monastère. En plus d’un cas, négligeant la juridiction théorique du métropolitain, le pape délègue à un simple évéque le soin d’enquêter sur un de ses collègues, ou même de prononcer la suspense contre son propre archevêque. Cf. surtout Pottliast, n. 1737. Rien de plus intéressant à ce point de vue que de suivre la procédure dirigée contre l'évêque Mathieu de Toul, un vrai brigand, Il faut le dire. Potthast, n. 1()52, 2534, 2750, 2995, 3875. Le rétablissement du patriarcat latin de Constanlinople, l’union des Églises d’Arménie, de Bulgarie, de Serbie, à l'Église romaine ne feront qu’accroître le domaine où se multiplient les interventions pontificales. Il semble d’ailleurs qu’Innocent III, pas plus que ses contemporains, n’ait pu s'élever à l’idée d'Églises uniates, conservant l’ensemble de leurs coutumes liturgiques et disciplinaires, leur physionomie propre, tout en étant loyalement soumises à l’autorité du pape. Sa grande préoccupation, une fois Byzance conquise, semble être de latiniser la chrétienté grecque. Aux Bulgares, aux Arméniens il imposerait volontiers, s’il ne rencontrait une sérieuse résistance, les rites de l’ordination latine, allant jusqu'à demander, sans succès d’ailleurs, aux prêtres et aux cvêques antérieurement ordonnés, de se soumettre au cérémonial de l’onction, cette onction étant considérée par lui comme de droit divin. P. L., t. ccxv, col. 281 sq. Ajoutons à ces interventions de tous genres, une dernière qui se multiplie de plus en plus à l'époque d’Innocent III, qui excite déjà de graves mécontentements, qui sera, par la suite, la cause des récriminations les plus améres contre la cour de Rome ; c’est la collation directe par le SaintSiège des bénéfices vacants dans les divers chapitres de la chrétienté. Elles abondent dans la correspondance d’Innocent les lettres recommandant tel clerc romain, tel employé de la chancellerie apostolique, tel personnage auquel le pape croit avoir des obligations, au choix d’un chapitre, pour l’obtention d’un canonicat, bien entendu avec dispense de résidence. Si, comme il arrive fréquemment, la demande n’est pas aussitôt accueillie, elle se transforme vile en un ordre impératif, invoquant le droit souverain du pontife à disposer des biens d'Église, (^f. P. L., t. ccxiv, col. 77, etc.

On le voit, les résistances du clergé aux interven tions incessantes de la curie romaine se manifestent surtout quand celui-ci se sent menacé dans ses intérêts matériels. D’autres velléités d’indépendance se font jour aussi quand le pape veut obliger les hauts dignitaires ecclésiastiques à suivre ses directions politiques. C’est vainement, par exemple, qu’après la double élection allemande de 1198 le pape cherchera à détacher certains évéques allemands du parti de Philippe de Souabe pour les rallier à Ollon. INlais dans les questions d’ordre strictement spirituel, en tout ce qui touche les questions dogmatiques, morales, disciplinaires, l’ensemble du clerg, é, de premier ou de second ordre, témoigne à l’autorité pontificale une absolue déférence. C’est le clergé lui-même qui sollicite à tout instant des réponses de Rome. Rien de plus curieux que d'étudier un certain nombre de cas de conscience soumis par la simplicité des clercs inférieurs ou même des évéques, au jugement du pape. La plupart sont enfantins et tels qu’un séminariste moyen de nos jours les résoudrait sans peine. Le pape néanmoins 1 s examine avec gravité et donne avec condescendance et bonne grâce la réponse demandée. lréquemment il invoque en tête de sa réponse les spéciales prérogatives du siège romain : « Comme c’est dans le siège apostolique que réside la magistrature de toute la discipline ecclésiastique, il est juste que, chaque fois qu’il s'élève quelque doute sur une alïaire quelconque, on recoure au jugement de celui, qui, par la disposition divine, a mérité d’obtenir la primauté parmi toutes les Églises. » Que l’on songe après cela aux difficultés des communications à ctt.e époque ; aux lenteurs qu’amène l’encombrement de la curie, au fait que la plupart des appels à Rome sont suspensifs et l’on appréciera aisément les dangers qu’une telle centralisation pouvait faire et a réellement fait courir à l'Église.

Le pape et les souverains temporels.

Non moindre se révèle le péril que créera bientôt l’ingérence du Saint-Siège dans des questions d’ordre strictement politique. De cette mainmise du pape sur les couronnes, Innocent III a formulé la théorie avec une raideur et une précision de juriste, avec le plus parfait mépris des contingences historiques. Représentant sur la terre du Christ qui est le roi des rois et le seigneur des seigneurs (cette formule revient plus de vingt fois dans les registres), le pape participe de toute évidence à la puissance universelle de Dieu, à son souverain domaine sur l’ensemble des hommes. S’il est question, à plusieurs reprises, dans la correspondance d’Innocent, de l’union du sacerdoce et de l’empire, n’entendons point ceci de la collaboration amicale par laquelle les deux puissances chercheraient, chacune dans sa sphère, à assurer le bien de la société. Cette union est bien plutôt celle du maître et du serviteur que celle de l'époux et de l'épouse. La supériorité du sacerdoce sur l’empire est affirmée à plusieurs reprises avec une netteté qui ne laisse rien à désirer. Voir surtout la lettre à Philippe de Souabe, P. L., t. ccxvi, col. 1012 sq., et celle à l’empereur Alexis de Constantinople, ibid.. col. 1182. Il vaut la peine de signaler les arguments Ihéologiques apportés par Innocent à la défense de son point de vue ; on verra en quelle étrange manière s’y mêlent les meilleures raisons et les preuves les plus contestables. C’est d’abord l’exemple de Melchisédech qui est invoqué ; « roi et prêtre tout ensemble, il montre la concorde qui doit régner entre les deux pouvoirs ; toutefois pour faire voir la prééminence que possède le sacerdoce sur le pouvoir royal, il reçoit la dîme d’Abraham et il le bénit. Rois et prêtres d’après la loi divine reçoivent l’onction ; mais les rois la reçoivent des prêtres, tandis que la réciproque n’est pas vraie. El qui reçoit l’onction est moindre que celui qui la donne, de même