Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 7.2.djvu/362

Cette page n’a pas encore été corrigée
1973
1974
INNOCENT III


à écrire à plusieurs reprises de petits traités de la primauté de l'Église romaine. La lettre adressée au patriarche grec de Constantinople le 12 novembre 1199, est la plus complète de ces dissertations. P. L., t. ccxiv, col. 758 sq. On y trouvera les preuves devenues classiques de la primauté romaine ; une exégèse suffisamment convaincante des textes consacrés : Tu es Petriis, et Pasce oves meas, mais aussi de ces commentaires allégoriques d'épisodes évangéliques sur lesquels le moyen âge élevait volontiers des preuves. Jésus, par exemple, a dit à Pierre : Tu t’appelleras Ceplias, or Cephas = caput. Quand Pierre s’est jeté à la mer pour aller au-devant de.Jésus, « il a exprimé par ce gdte, le privilège du pontificat unique (pontificii singularis), qui lui donnait le droit de gouverner tout l’univers » ; car la mer représente l’ensemble du monde ; pour aller au Christ, les autres apôtres n’ont que leur barque, figure des Églises particulières. Pierre au contraire a le monde tout entier. De même encore, quand il a marché sur les eaux de la mer, il a montré par là qu’il avait reçu pouvoir sur tous les peuples. Sans doute le Christ a dit à tous les apôtres rassemblés : « Ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel » ; mais il l’avait dit d’abord à Pierre tout seul, non tamen aliis sine ipso, sed ipsi sine aliis. A la question de l’apôtre : « Combien de fois dois-je pardonner à mon frère ? » le Christ a répondu : « Soixantedix fois sept fois », ce qui signifie que le Christ lui permet à lui, et à lui seul, d’accorder à tous sans exception la rémission de tous leurs péchés, solus PetrKs poiest non solum omnia sed omnium crimina relaxare. En lui disant après sa résurrection : « Pour toi, suis-moi », Joa., xxi, 19, le Christ l’invitait bien moins à le suivre dans sa passion, que dans son triomphe glorieux. En fait, sitôt après l’ascension, Pierre exerce dans l'Église naissante le pouvoir souverain ; la vision rapportée, Act., x, 9-16, indique bien qu’il a reçu tout droit sur tous les hommes, car cette grande nappe qui descend du ciel, signifie le monde entier et tout ce qu’il contient, l’ensemble des nations c t. nt juives que païennes. Passant d’Antioche à Rome, l’apôtre y emporte avec lui son droit de primauté : « Et quand il eut consacré l'Église romaine par son sang (ou plus exactement c’est Notre-Seigneur luimême qui a versé son sang à Rome, puisqu’il a dit à Pierre, dans la scène du Quo vadis : « Je vais à Rome pour y être de nouveau crucifié » ), il a laissé à son successeur la primauté de sa chaire, et lui a transmis tout entière la plénitude de son pouvoir. » On remarquera l’allusion à l'épisode du Quo vadis ; elle se retrouve plusieurs fois dans des lettres aux Orientaux ; ceux-ci se glorifient d’habiter la terre où le Seigneur a soulïert, Rome peut tirer vanité, elle aussi, du supplice de Pierre, ou plus exactement du supplice du Christ qui y fut crucifié dans la personne de son vicaire.

Le patriarche byzantin goûta médiocrement toute cette exégèse, et demanda avec quelque impertinence, où l'Église romaine prenait le droit de s’appeler l'Église une et universelle ; la réponse d’Innocent III ne va à rien moins qu'à confondre les deux vocables de catholique et de romain. D’ailleurs, cinq ans plus tard, les barons latins se chargeaient d’une manière plus efficace de la démonstration. C’est à eux, quand ils se sont installés à Constantinople, qu’Innocent adresse une petite homélie qui devait les persuader de la justice de la cause latine, f^. L., t. ccxv, col. 456 sq. Le pape, pour montrer la supériorité de l'Église romaine sur la grecque, utilie l'épisode évangélique qui montre Pierre et Jean au matin de Pâques, courant ensemble au sépulcre. Joa., xx, 3 sq. Pierre représente l'Église latine, Jean, l'Église grecque : « Le peuple latin, comme Pierre, a pénétré jusqu’au fond du

tombeau, c’est-à-dire jusqu’au plus profond des mys tères de l’Ancien Testament ; il a vu les linges plies et le suaire mis à part, car il a su distinguer entre les mystères de l’humanité et ceux de la divinité. Il sait en Dieu ne point distinguer la nature, mais distinguer les personnes ; inversement dans le Christ il ne distingue point la personne, mais sait distinguer les natures. Les grecs, eux, ne connaissent point très exactement tout cela, aussi est-il dit de Jean, leur représentant, « qu’il ne connaissait pas encore les Écritures. » Allusion aux erreurs de l'Éghse grecque en ce qui concerne le double procession du Saint-Esprit. Suit une comparaison bien inattendue entre la sainte Trinité où les deux personnes du Fils et de l’Esprit Saint procèdent du Père et la descendance des latins et des grecs qui tous deux procèdent des juiꝟ. 1 Et cette extraordinaire conclusion : « Les latins représentent le Fils, car c’est à eux qu’a été donné le vicaire du Christ. Pour que toutes choses soient dans l’ordre, il faut que les grecs tiennent leur doctrine non seulement des juifs, mais encore des latins, de même que le Saint-Esprit tient son être, non seulement du Père, mais du Fils. » On voit par ce seul exemple en quel imbroglio s’embarrassait parfois la théologie d’Innocent III ; en fait, sa thèse de la supériorité de l'Église romaine valait beaucoup mieux que les preuves qu’il en prétendait administrer.

Universelle, la juridiction du pape sur l'Église est encore immédiate. Nulle part Innocent n’a exprimé cette idée d’une manière absolument tranchée, mais toute son administration ecclésiastique semble dominée par cette idée que les évêques ne sont, par le monde, que-ses représentants, et pour tout dire ses délégués. En tout cas, c’est de toute manière qu’il intervient dans leurs afïaires. Dans leur élection d’abord. Sans doute, les règles canoniques qui ont confié aux chapitres cathédraux la désignation de l'évcque restent encore théoriquement en vigueur ; mais dans la pratique que d’exceptions à ces règles générales ! On ne compte* pas les cas où Innocent annule des élections, substitue un candidat de son choix à l'élu du chapitre, nomme directement l'évêque (cf. surtout la nomination de l’archevêque de Reims, Potthast, n. 2269). Le cas d’Etienne Langton, étudié plus haut, est caractéristique ; la désignation de Pierre de Corbeil, l’ancien professeur de Paris, comme archevêque de Sens, est non moins intéressante. Potthast, n. 1043, 1196, 1197. De droit, la confirmation de l'évêque élu est encore réservée au métropolitain, lequel régulièrement doit demander au Saint-Siège sa propre confirmation. Mais la pratique pour les simples évêques de demander à Rome leur confirmation s’est tellement généralisée à la fin du xiie siècle, qu’efie est presque devenue la règle ; en fait, bien peu d' évêques s’abstiennent de la chercher à Rome. En tout cas, le métropolitain n’a aucun pouvoir pour autoriser la translation d’un évêque d’un siège à un autre, pour accepter la démission d’un prélat que l'âge ou la maladie contraignent à résigner ses fonctions. Sur ce point. Innocent se montre intraitable, et considère comme une injure personnelle de semblables actes, même s’ils émanent d’un patriarche. Pour justifier son point de vue, il allègue le lien spirituel, analogue au lien matrimonial, que crée entre un évêque et son Église, la confirmation et à plus forte raison le sacre : « Ce lien spirituel, écrit-il à l’archevêque d’Apamée qui a été transféré par le patriarche d’Antioche, étant plus fort que le lien charnel, on ne saurait douter que le Dieu toutpuissant ne se soit réservé le droit de dissoudre le mariage spirituel qui existe entre l'évêque et son Église, lui qui a réservé exclusivement à son tribunal la dissolution du mariage charnel. Ce n’est point en effet par une puissance humaine, mais par la puissance