Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 7.2.djvu/361

Cette page n’a pas encore été corrigée
1971
1972
INNOCENT III


dont la menaçait l’hcrosie. Tant qu’il ne s’agit que d’aberrations doctrinales bénignes et localisées, il est possible de garder à leur égard quelques ménagements ; et Innocent se montre, à ce point de vue, autrement libéral que ses subordonnés. Son attitude à l’égard de laïques messins, dont tout le crime consiste à s’assembler en dehors des réunions cultuelles, pour s’instruire les uns les autres, est plutôt bénigne si on la compare à celle de l’évêque de Metz. Potthast, n. 780, 871, 893. Il ne craint pas de ri concilier à l’Église et d’utiliser ensuite pour la prédication un certain nombre de ces Humiliés, Potthast, n. 891, de ces Pauvres catholiques, ibid., n. 3571, 3694, fds spirituels très authentiques des Pauvres de Lyon et des Vaudois, si âprement poursuivis sous les pontificats précédents. Là même où il se trouve en présence d’hérésie déclarée, il veut que l’on procède d’abord avec douceur et patience ; que l’on observe en toute rigueur et avec scrupule les règles du droit ; c’est là un grand progrès quand l’on songe à tant d’exécutions sommaires d’hérétiques qui eurent lieu avant lui. Mais quand Innocent rencontre une perversion du corps social tout entier, surtout si cette perversion atteint des villes, des provinces, des États tout entiers, alors les considérations religieuses, qui tout à l’heure lui conseillaient la douceur, font place aux réflexions du poUtique, qui apercevant l’immense danger couru par la chrétienté, ne recule pas devant les plus grands remèdes pour couper court à de si grands maux. La grande hérésie du xii<e siècle, c’est le néo-manicheisme sous des noms divers, catharisme, bogomilisme, albigéisme. Elle a gagné un terrain considérable dans r Italie centrale, infestant le l’a rimoine de Saint-Pierre et les provinces voisines. Dans cette région qui dépend directement de lui. Innocent procède contre l’hértsie avec la dernière vigueur ; et il lui est relativement facile d’appliquer des mesures que l’on jugeait alors efficaces : l’expulsion des hérétiques déclarés, la punition sévère de tous ceux qui les aident ou les favorisent. Mais quand il s’agira d’obtenir des pouvoirs publics du Midi de la France, beaucoup plus contaminé encore, l’application de semblables mesures pénales, Innocent va se heurter à une incroyable inertie qui cache mal une réelle complicité. Au fait, s’ils ne sont pas hérétiques, les grands seigneurs de Provv-nce et de Languedoc, à commencer par Raymond de Toulouse, s’accommodent volontiers de la présence en leurs États d’une Église cathare régulièrement organisée, animée d’un prosélytisme ardent, et dont les progrès sont de plus en plus sensibles. Les contraindre, au besoin par la force, à extirper l’hérésie de leurs domaines, tel est le but inlassablement poursuivi par Innocent III. Et puisque la menace des peines spirituelles n’a plus guère de prise sur eux, puisqu’ils en arrivent à transgresser leurs promesses aussitôt qu’ils les ont faites, il faudra bien aller jusqu’au bout dans la voie de la répression, les déclarer déchus de leurs droits souverains, leur substituer, au besoin par la violence, des princes plus dociles à l’Église, et donc signaler leurs domaines comme une proie, qui appartiendra à de plus zélés, à de plus fidèles catholiques. C’est toute la pensée qui inspire la croisade des albigeois ; et il reste bien entendu, dans la conscience du pape, que, du jour où les anciens souverains auront donné des preuves suffisantes de leur repentir et de leur bonne volonté à appliquer la législation de l’Église, ils pourront rentrer en possession de leurs terres et de leurs droits. Mais quelle illusion de croire que l’on pourra arrêter, au jour et à l’heure que l’on voudra, la formidable ruée qui déchaîne sur le Midi de la France la noblesse brutale et besogneuse du NordI Cette illusion. Innocent III l’a partagée, et les faits sont venus lui donner

de cruels démentis. Il s’est trouvé incapable de diriger les événements. Et si sa mémoire ne doit pas porter la responsabilité de toutes les horreurs qui marquèrent cette triste croisade, il n’en reste pas moins qu’il n’a pas su prévoir tous les inconvinients d’un système qui prétendait mettre les plus féroces passions humaines au service du droit, de la justice et de la vérité.

Le concile de Latran, novembre 1215, marque l’apogée du règne d’Innocent III. C’est la liquidation du passé, surtout en ce qui concernait la croisade des albigeois ; l’ensemble des actes de Simon de MontforI était approuvé, la déchéance de Raymond de Toulouse sanctionnée. C’est aussi la préparation d’un avenir meilleur pour l’Église, par une réforme dont on parle déjà, mais qui ne viendra guère. C’est surtout la mise au point des plans grandioses d’Innocent 111 pour la récupération de la Terre sainte. A tous égards cette date de 1215 marque donc le point culminant de la puissance pontificale au moyen âge, et le IV" concile de Latran est le digne couronnement du grand pontificat que nous venons d’étudier. Voir l’article spécial.

IL Idées théologigo-politiques. — Bien qu’elle ait été dominée plus d’une fois par les évenements, il s’en faut que l’action politique d’Innocent III soit l’aboutissement d’une improvisation de hasard. Tout au contraire, elle est la mise en œuvre systématique d’un plan très arrêté, l’application aux contingences de l’histoire de vues très précises sur le rôle de la papauté. Dès son avènement. Innocent III s’est fait une théorie très nette de ses droits et de ses devoirs de pontife suprême.Il n’est pas inutile dans un ouvrage comme celui-ci d’en synthétiser les principaux aspects. On arrivera ainsi à une théologie de la primauté romaine et des rapports de l’Église et de l’État, où il sera facile de distinguer, des parties devenues caduques, les vérités qui ont survtcu. Il conviendra de remarquer, d’ailleurs, que cette théologie. Innocent III ne l’a pas improvisée de son chef. Il en a trouvé les tlements dans le droit canonique de son époque, tel qu’il l’avait étudié à Bologne, dans les actes de ses prédécesseurs, dans la pratique de la curie romaine, dans toutes les idées de son temps. Cette synthèse n’est donc pas seulement d’Innocent III, elle est de toute son époque ; mais ce pape a su lui donner une forme si nette, si personnelle, que c’est ici qu’il convient de l’étudier.

Le pape et l’Église.

Le pape est sur la terre le vicaire de Jésus-Christ, le représentant direct, immédiat de Dieu. On remarquera cette appellation de vicaire de Dieu ; elle est nouvelle ; les papes précédents se nommaient volontiers les vicaires de Pierre ; par une fiction, assez difficile a justifier en théologie, c’était l’apôtre qui était cen é agir par eux et parler par leur bouche ; c’était l’apôtre qui était censé gouverner encore l’Église. Le titre de vicaire de Pierre ne se rencontre jamais dans le volumineux bullaire d’Innocent : au fait, il lui semble beaucoup plus conforme à la logique et à l’histoire de penser que les pouvoirs conférés à Pierre par Jésus sont passés à la mort de l’apôtre sur la tête de son successeur. Et si Pierre fut vraiment, après l’ascension, le représentant du Sauveur sur la terre, ses successeurs légitimes ont hérité de la même prérogative. Il n’y a donc point à chicaner Innocent III pour avoir employé un vocable, plus logique après tout que celui dont usait ses prédécesseurs.

Représentant de Dieu sur la terre, le pape dispose donc d’une autorité absolue et universelle sur l’Église de Jésus-Christ. Aucune Église particulière, quelqu’ancienne qu’elle soit, ne saurait dés lors se soustraire à cette puissance. Les négociations pour la réunion des Églises orientales ont amené Innocent III