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pas davantage à l’attention du pontife ; et les registres d’Innocent ont conservé quelques traces d’interventions en Danemark, en Suède, en Norvège, et jusqu’en Islande.

Innocent et la question d’Orient.

Maintenir sous l’hégémonie pontificale la chrétienté d’Occident, qui reconnaissait le pape pour chef, cela ne suffisait pas encore à la très noble ambition d’Innocent III. Dans le prologue d’une de ses lettres, celui-ci commente l’épisode de la pèche miraculeuse ; sur l’ordre du Christ il a lancé le filet et les mailles s’en sont garnies, à rompre, de fidèles nouveaux qui auparavant ne reconnaissaient point l’Éghse romaine, P. L., t. ccxv, col. 512 ; sans fausse modestie Innocent s’en attribue quelque gloire. Au fait, son pontificat a vu s’accroître, et pour de multiples raisons, le domaine de l’Église catholique. Ne parlons que pour mémoire desmissions en Livonie et en Esthonie, lesquelles fortement appuyées par les rois Scandinaves ont donné des résultats durables et ont définitivement annexé à la chrétienté des territoires jusqu’alors demeurés païens. C’est surtout du côté de l’Orient qu’Innocent s’est efforcé de reculer les limites de la zone d’influence romaine. Moins qu’aucun de ses prédécesseurs, il ne s’est désintéressé du schisme, qui, depuis le xi'e siècle, a définitivement séparé de Rome, rÉglise de Constantinople et les pays qui en dépendent au point de vue religieux.

Dès le début du pontificat d’activés négociations se sont nouées entre Rome d’une part, et de f autre le roi d’Arménie et son catholicos ; elles aboutissent à une véritable union de l’Église arménienne et de l’Église romaine. Le roi Léon reçoit du légat pontifical la couronne royale, et s’engage à faire appliquer dans ses États la législation romaine ; le catholicos se reconnaît comme le subordonné du souverain pontife. Bref, l’accord semble complet ; mais à partir de 1206 des raisons d’ordre exclusivement politique amènent une brouille assez vive entre Rome et l’Arménie, dont le roi finira par être excommunié. L’union des Églises survécut difficilement à ces confiits politiques.

Plus proche de Rome, la Bulgarie, qui vient de se constituer en un grand royaume aspire à se dégager de la tutelle religieuse de Constantinople ; des négociations sont engagées entre le roi Johannitza (celui que les lettres d’Innocent appellent Kalojean) et le Saint-Siège. Dès 1202, elles étaient assez avancées pour qu’Innocent crut le moment venu de faire rentrer la Bulgarie dans la mouvance de l’Église romaine. L’archevêque de Tirnovo reçoit du légat pontifical le pallium, avec le titre de primat ; et en novembre 1201, malgré les intrigues du roi de Hongrie, le roi de Bulgarie est couronné, après avoir juré fidélité au pape entre les mains du représentant pontifical. Au même moment la Serbie, après des péripéties qu’il serait trop long de raconter, rentrait dans l’obédience de l’Église romaine, et farchevêque d’Antivari recevait de Rome le pallium, signe de sa juridiction sur toute la terre serbe. Il n’est pas jusqu’à la lointaine Russie à qui des avances ne soient faites, et vers 1209 on voit s’esquisser fébauche d’une Église uniate ruthène. P. L., t. ccxv, col. 12.31.

Cet encerclement progressif de Constantinople préparait contre la capitale du schisme grec une otîensive, qui d’ailleurs réussit bien au delà des espérances d’Innocent III. Non certes que ce pontife soit responsable du détournement de la quatrième croisade. S’il a songé à une conquête de Constantinople, c’est à une conquête toute pacifique, comme en témoigne la correspondance échangée dis 1198 entre le pape et le basileus. Potthast, n. 349. Ce qu’Innocent désire avant tout, c’est l’union de tous les chrétiens pour reconquérir la Terre sainte, déjà plus cpi’à moitié

submergée, pour barrer la route à l’invasion musulmane qui reprend vers l’Occident sa marche conquérante. Le basileus devrait être, dans sa pensée, fun des principaux auxiliaires de cette croisade que le pape a commencé de prêcher dès les premières semaines de son pontificat, qu’ilprêchera jusqu’à son dernier souffle. Quelle illusion d’ailleurs, que de compter en la circonstance sur l’appui du byzantin ! Cependant la croisade est prêchée au cours de Tannée 1199, avec un succès très relatif ; les croisés se rassemblent à Venise au cours de l’hiver 1201-1202, le départ est fixé au 21 juin ; fÉgypte désignée comme objectif. On sait le reste, et comment f expédition, qui devait délivrer Jérusalem, dévia de sa route par les intrigues des Vénitiens et aboutit finalement à la prise de Constantinople et à la fondation de l’Empire latin (avril 1204). Ce n’est point la faute d’Innocent si la croisade a dégénéré en une aussi singulière aventure. Dès l’été de 1202, alors que les croisés, pour payer leur dette à Venise, s’attardent au siège de Zara, le pape les a vivement rappelés à leur devoir, les a menacés d’excommunication, finalement a réalisé ses menaces. Il faut bien que les foudres ecclésiastiques aient perdu déjà de leur efficacité, puisqu’elles n’ont pas empêché les barons de persévérer dans leur dessein. Du jour où celui-ci sera complètement réalisé. Innocent n’aura plus qu’à s’inchner devant ce qu’il va désormais considérer comme un jugement de Dieu, comme un des coups les plus admirables de la Providence. Au fait, la chute de l’empire byzantin, la déchéance de l’Église schismatique, f installation d’un patriarche latin dans Sainte-Sophie, un tel succès de la chrétienté latine et de f Église romaine, comment ne pas les saluer d’un grand cri d’allégresse ? Ne faisons point un crime à Innocent III d’avoir poussé ce cri, d’avoir eu foi dans les destinées de cet empire dont la constitution augmentait d’autant le nombre des fidèles de FÉglise romaine. Pouvait-il, avec sa mentalité de féodal, comprendre combien était instable l’établissement d’une féodalité sur les rives du Bosphore et dans les pays qui dépendaient de Byzance ? Constantinople conquise, latinisée, l’œuvre de la croisade, il le pensa d’abord, était plus qu’à demi faite. De cette base d’opérations plus rapprochée et plus sûre, les latins pouvaient partir maintenant à la délivrance du Saint Sépulcre. Nouvelle illusion 1 Loin d’être de quelque secours pour la conquête de la Terre sainte, f empire latin est un poids mort qui entravera toute nouvelle tentative. Après quelques tâtonnements. Innocent III finira par s’apercevoir qu’il n’y a rien à faire du côté de Constantinople pour la délivrance de Jérusalem. Dès 1207 son parti est pris : il faut prêcher une nouvelle croisade et l’organiser de telle sorte que la direction en reste tout entière, cette fois, dans la main du*’pape. Diverses circonstances viennent retarder l’exécution de ce grand dessein ; c’est seulement après Bouvines et le couronnement de Frédéric II à Aix-la-Chapelle que fidée est vraiment au point. Le concile de Latran y met le dernière main ; le départ est fixé au 1’= juin 1217, Brindisi et Messine assignés comme lieux de rassemblement. Le pape s’y rendra de sa personne pour bénir les croisés et prendre, s’il est nécessaire, la direction même de l’entreprise. Innocent III avait le droit de rêver d’ajouter à toutes ses gloires, celle de grand capitaine, il n’avait que cinquante-six ans. Cette gloire la Providence la lui refusa ; il mourait le 16 juillet 1216, sans avoir pu réaliser le rêve de toute sa vie ; la reprise aux infidèles du tombeau de Jésus-Christ.

Innocent et la répression de l’hérésie.

Non moins redoutable que le péril extérieur que créait à la chrétienté l’avance conquérante de l’Islam, se révélait aux yeux d’Innocent III le danger intérieur