Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 7.2.djvu/358

Cette page n’a pas encore été corrigée
1965
1966
INNOCENT IIÏ


sèment d’Otton à Bouvines par les soldats de Philippevuguste (27 juillet 1214), amènera par contre-coup le triomphe de Frédéric. Le concile de Latran en 1215 proclamerac :  ; dernier empereur élu. Innocent Illmour rait d’ailleurs assez tôt pour ne pas constater par luimême les imprudences de son choix.

Innocent et la France.

Si elle absorba durant tout son pontificat une bonne part de son attention, « l’affaire du Saint-Empire « n’empêcha pas Innocent III d’exercer sur les autres royautés de l’Europe ce droit de regard dont les circonstances politiques avaient investi la papauté. Le plus puissant des souverains de l'époque, le roi de France, Philippe-Auguste sentit à plusieurs reprises s’abattre sur lui la main pontificale. C’est d’abord à l’occasion de ses démêlés conjugaux avec la reine Ingeburge. Dès le lendemain de son mariage avec celle-ci, août 1193, le roi de France avait conçu pour son épouse une très vive aversion dont il est impossible de préciser les causes. Un certain nombre de prélats français, réunis à Compiègne, ont alors prononcé, à la requête du roi. une sentence d’annulation, fondée sur l’existence d’une parenté lointaine et douteuse entre Ingeburge et la première femme de Philippe, Elisabeth de Hainaut, décédée en 1190. De cette sentence trop complaisante, l'épouse répudiée a fait appel devant le pape Célestin III, lequel a déclaré nulL' la décision des évêques français. Nonobstant le jugement de Rome, Philippe n’en a pas moins considéré son mariage comme annulé, a épousé la bavaroise Agnès de Méranie, et n’a tenu aucun compte des protestations, d’ailleurs timides, du vieux pontife. Mais l’avènement d’Innocent III va donner à l’affaire une autre conclusion ; dès le début de son pontificat le nouveau pape, confirme la sentence rendue par son prédécesseur, et eu appuie (exécution par une menace d’interdit sur le royaume de France. Philippe essaie d’abord de résister ; le pape passe d ? la menace à l’action ; l’interdit général est lancé sur tous les domaines du Capétien ; quelques évêques, il est vrai, refusent de pubfier et d’exécuter la sentence pontificale. Tancés d’importance par le pape, menacés par lui de déposition, ils finissent par rentrer dans le devoir ; l’interdit est finalement appliqué partout. Le mécontentement du peuple contre le roi est tel que celui-ci doit céder à la pression populaire ; il se soumet à toutes les conditions qui lui sont imposées ; l’interdit est levé le 8 septembre 1200. Mais s’il avait renvoyé Agnès de Méranie, qui d’ailleurs mourut peu après, le roi s’obstinait à ne pas reprendre Ingeburge, pour laquelle son aversion était devenue telle que l’entourage royal l’attribuait à un maléfice. Étroitement gardée dans un couvent d’abord, ensuite dans un château qui était une véritable prison, la malheureuse reine ne cessait d’importuner le pape de ses suppUcations, lui demandant d’agir auprès du roi, pour que celui-ci la remît en jouissance de ses droits d'épouse et de reine. Durant douze années le pape intervint régulièrement auprès de Philippe-Auguste pour amener la réconciliation complète entre les deux époux. Il faift reconnaître d’gilleurs qu’il ne mit pas dans son action auprès du roi toute sa vigueur ordinaire ; sa politique européenne avait intérêt à ménager le Capétien. Quand en 1213 Philippe-Auguste reprendra Ingeburge il obéira, ce semble, plus à des motifs personnels, qu'à la crainte d’attirer sur soi la colère d’Innocent.

Cette affaire matrimoniale ne fut pas la seule qui amena quelque tension entre Rome et le roi de France. A plusieurs reprises la papauté voulut intervenir dans la lutte que, durant tout son règne, le Capétien mena pour reconquérir sur l’Angleterre les provinces cojntinentales occupées par celle-ci. La politique des Plantagenets avait abouti en France à des résultats considérables, la Normandie, l’Aquitaine, le Poitou,

le Limousin, à l’avènement de Philippe-Auguste, reconnaijsaient l’Anglais pour suzerain. Par séduction, par ruse, par violence Philippe finira par reprendre aux Plantegenets ce magnifique héritage. Assez peu scrupuleux sur le choix des moyens, il rencontrera plusieurs fois sur son chemin le pape Innocent III, s’efforçant de faire régner entre les princes chrétiens, la justice, la concorde, le respect des traités. Dès 1198, le pape a manifesté son intention de se rendre personnellement dans les provinces continentales de Richard Cœur de Lion pour régler la querelle de celui-ci avec Philippe-Auguste. Potthast, n. 235. S’il n’exécute pas ce plan, du moins il réussit par ses légats à faire signer le 13 juin 1199 la trêve de Vernon, qui marque un temps d’arrêt dans la politique conquérante de Philippe-Auguste. Trois ans plus tard, quand Jean Sans Terre, condamné par la cour royale de Paris pour toutes les violations du droit féodal dont il s’est rendu coupable, entend prononcer la confiscation de toutes les terres qu’il tient du roi de France, Innocent III essaie encore d’intervenir pour maintenir la paix. Son intervention, il est vrai, est fort mal accueillie par Philippe ; elle n’empêche pas celui-ci de procéder d’urgence à la conquête de la Normandie ; et quand, au concile de Meaux en août 1204, les légats du pape veulent contraindre le Capétien à la paix, il se trouve une majorité d' évêques français pour forcer les envoyés pontificaux à abandonner leur procédure. Quelques années plus tard les rôles vont changer. Maintenant c’est la papauté qui, en guerre ouverte avec Jean Sans Terre, veut lancer contre lui le roi de France. Rien ne pouvait être plus agréable à Philippe-Auguste, qu’une telle mission ; depuis longtemps il caressait l’idée d’un débarquement en Angleterre ; il n’y avait renoncé que sur les pressantes injonctions d’Innocent ; maintenant c’est le pape lui-même, qui le convie à cette expédition, qui l’y envoie comme à une croisade. Quelle aubaine pour le Capétien I Mais aussi quelle déception, quand la soumission inattendue de Jean Sans Terre amène le pape à rapporter ses ordres primitifs, à interdire positivement au roi de France la continuation de son entreprise ! Après la Rocheaux-Moines, après Bouvines, Jean San, - Terre, qu est venu porter la guerre sur le continent, serait perdu si Innocent ne s’interposait encore pour empêcher ^on dépouillement complet, et obfiger les deux adversaires à la paix de Chinon, 18 septembre 1214. Philippe ne se risque plus à attaquer ouvertement le Plantegenet, c’est son fih aîné Louis, qui continue la lutte^ obscurément d’abord, puis à visière levée, jusqu’au jour où il force Innocent III à l’excommunier. Cette politique du pape ne semblera manquer de suite qu'à ceux qui ne voient en lui qu’un homme d'État ordinaire ; nous essayerons plus loin d’en dégager le.s lignes directrices, et l’on verra qu’elles ne manquent pas de quelque grandeur.

Innocent et l’Angleterre.

Autant faut-il en dire de celle qu’il suit à l'égard des souverains anglais. C’est ici surtout que se manifeste son intrépidité, sa constance à persévérer dans le chemin choisi, son mépris absolu de ce qui est grandeur et puissance terrestre. Les relations d’Innocent III avec Richard Cœur de Lion ont été ce que nous avons dit plus haut. En défendant les possessions continentales de celui-ci, le pape a le sentiment qu’il protège le roi chevaleresque, qui a étonné de ses prouesses l’Orient musulman, et de l’absence de qui l’on a profité pour mettre au pillage son domaine d’Occident. Avec Jean Sans Terre les rapports seront tout autres. De 1199 à 1213, il semble que le roi félon se soit appliqué à pousser à bout la patience d’Innocent III, à multiplier ces atteintes aux droits de l'Église, si âprement ressentis par les papes de cette époque. Ingc-