Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 7.2.djvu/357

Cette page n’a pas encore été corrigée
1963
196
INNOCENT III

^

veuve ne trouve d’appui qu’auprès du pape. Sans vouloir reconnaître l'élection à l’empire du petit-fils de Barberousse, Innocent prend l’enfant sous sa protection, en tant que rdS de Sicile ; il profite de la situation pour faire proclamer, dans les formes légales, la papauté comme suzeraine du royaume, pour se faire proclamer lui-même tuteur du jeune Frédéric, pour imposer à Constance un concordat qui supprime dans le royaume les privilèges arrachés au Saint-Siège et fait rentrer lu Sicile dans le droit commun au point de vue ecclésiastique. Puis, quand Constance meurt le 27 novembre 1198, Innocenl, prenant au sérieux son rôle de tuteur, reconquiert de haute lutte, en faveur de son pupille, sur les féodaux exotiques ou indigènes le pouvoir souverain. Ce sont dix années de luttes pénibles, enfin couronnées par le succès. D’aucune de ses entreprises. Innocent III ne s’est plus glorifié que de celle-ci ; et quand en 1215, il aura finalement dirigé sur son pupille Frédéric les suffrages de toute l’Allemagne, il s’imaginera avoir remporté l’un des triomphes les plus éclatantsdontsesoit jamais glorifiée la papauté 1 Tant il est vrai que les plus clairvoyants des politiques sont parfois capables de faire douter de la sagesse des homme^ !

Innocent et l’Empire.

La plus grande des affaires où ait été impliqué Innocent III, c’est à coup sûr la compétition qui, en Allemagne, de 1198 à 1215, mit aux prises les divers prétendants à l’empire. Ils sont deux à se disputer le trône : Philippe de Souabe, frère de Henri VI l’empereur défunt, élu en mars 1198, par un groupe considérable des vassaux allemands, etOtton IV le Guelfe, élu en juin de la même année par une petite minorité de dissidents ; sans compter le tout jeune Frédéric II, trop faible pour recueillir les fruits de la politique de son père. C’est entre les trois personnages que la papauté doit choisir. Les deux Hohenstaufen, Philippe et Frédéric, représentent à ses yeux une politique qui depuis cinquante ans fait le malheur de l'ÉgUse, rappellent à son souvenir les plus cruels épisodes de la lutte du sacerdoce et de l’empire. Le Guelfe, on l’espère du moins, persévérera en des traditions moins dommageables à l'Église romaine ; et de fait, à peine élu, il multiplie à l'égard de la papauté les protestations de dévouement, consent à Innocent tou> les avantages que celui-ci réclame, renonce aux droits que l’empire prétendait sur l’Italie, abandonne même au souverain pontife telles possessions, l’exarchat de Ravenne, le duché de Spolète, encore occupées par des troupes allemandes. Fort au contraire de ce qu’il prétend être son bon droit, Philippe semble contester au Saint-Siège le pouvoir d’arbitrer le différend au sujet de la couronne d’Allemagne. Dans ces conjonctures il est donc tout naturel que les sympathies d’Innocent aillent tout d’abord vers le Guelfe. Après en avoir longuement délibéré, le pape se décide pour Otton, le reconnaît comme roi d’Allemagne et futur empereur romain (mars 1201). Le cardinal Guy de Prtneste, légat du pape en Allemagne depuis 1200, et qui a travaillé de toutes ses forces à rallier à Otton les grands seigneurs laïques et ecclésiastiques, excommunie dans une diète les adversaires du protégé d’Innocent III quibet 1201). La cause semble terminée. En réalité la lutte ne fait que commencer ; son issue dépendra moins des sentences ecclésiastiques que des événements politiques et surtout militaires. Au début la fortune des armes semble favoriser Otton ; puis viennent les revers ; en 1204 et 1205 malgré les objurgations du pape, malgré ses menaces, un certain nombre des partisans du Guelfe passent du côté de Philippe. C’est au tour de ce dernier d’entrer avec le Saint-Siège en des négociations plus serrées. En juin 1206, il tente avec Innocent une véritable réconciliation ; les revers continuels d’Otton, le refus obstiné

qu’il oppose aux légats qui lui demandent de se soumettre à l’arbitrage proposé par Philippe, contribuent à détacher du Guelfe les sympathies d’Innocent ; il la fin de 1207 tout' allait à une reconnaissance officielle par Rome de l'élection du Hohenstaufi’en ; un accord se préparait entre celui-ci et le pape au sujet de l’Italie centrale, accord dans lequel la famille d’Innocent III n'était pas oubliée. Le meurtre de Philippe de Souabe par Otton de Wittelsbach (21 juin 1208) vint remettre une nouvelle fois en question le sort de la couronne d’Allemagne. Du coup les chances d’Otton remontent. Innocent inonde l’Allemagne de lettres où il recommande aux princes laïques et ecclésiastiques de s’incliner devant le jugement de Dieu, et d’accepter la royauté guelfe ; en aucun cas le souverain pontife ne reconnaîtrait la candidature de Frédéric. Otton accepte alors de se soumettre à une nouvelle élection qui, cette fois, est unanime (Helbeistadt, 22 septembre 1208). Le Il novembre suivant, la diète de Francfort rallie autour du Guelfe l’ensemble de l’Allemagne, et règle au mieux les questions pendantes entre les deux maisons rivales ; il ne reste plus à Otton qu'à aller ceindre à Rome la couronne impériale. C’est- à ce moment qu’Innocent, qui jusqu’alors s’est laissé mener par les événements plutôt qu’il ne les a dirigés, va reprendre tous s-'s avantages. Assez peu sûr de son droit, tant qu’il s’est agi d’arbitrer le différend entre les deux prétendants, il retrouve tous ses moyens quand il s’agit de conférer à l'élu de l’Allemagne la plénitude de ce pouvoir mi-spirituel, mi-temporel que donne la cérémonie du sacre. Avant de convoquer Otton à Rome, Innocent lui fait prévoir les concessions qu’il exigera. Le Guelfe passe partout ce qu’on demande ; la charte de Spire, 22 mars 1209, consigne solennellement ses promesses : il reconnaît les frontières de l'État pontifical, telles qu’Innocent III vient de les élargir ; de concert avec le pape, il travaillera à l’extirpation de l’hérésie ; surtout il renoncera à tout droit d’influence sur les élections ecclésiastiques. Belles promesses 1 Mais du jour où il foulerait le sol de l’Italie, le Guelfe ne se retrouverait-il pas Gibelin ? C’est ce qui arriva. A l'été de 1209, Otton se met en marche pour Rome à la tête d’une armée considérable. Le 4 octobre il est sacré à Saint-Pierre. A peine le nouvel empereur a-t-il ceint la couronne de Charlemagne, qu’il entre en conflit avec celui-là même qui vient de la lui imposer. C’est l'éternelle question de l’indépendance italienne devant le César germanique, qui va mettre aux prises, une fois de plus, le sacerdoce et l’empire. Après de longues et pénibles négociations, qui réussissent seulement à mettre en relief l'égale obstination des deux partis, la lutte à main armée commence dans l'été de 1210. Le 18 novembre de cette même année. Innocent III lance contre Otton l’anathème, puis, allant beaucoup plus loin, délie tous les sujets de l’empereur du serment de fidélité. Bientôt la papauté ne voit plus d’autre issue au conflit que de « substituer à Saiil désobéissant, un jeune David », que l’on espère devoir être plus soumis à la tutelle du sacerdoce. Le roi de Sicile, le jeune Frédéric II, le fils du Hohenstauflen excommunié, va rtevtii r contre le Guelfe le champion de la papauté 1 A l’appel d’Innocent, les princes italiens et allemands, le roi de France Philippe-Auguste se rangent du côté du petitfils de Barberousse. La diète de Nuremberg, en septembre 1211, offre à Frédérida couronne d’Allemagiuque celui-ci finit par accepter. Innocent, il est vrai, a mis une condition formelle à cette acceptation. Le nouvel élu renoncera à la couronne de Sicile, qui reviendra à son jeune fils, jamais il n’y aura d’union politique entre la Sicile et l’empire. A ces conditions Innocent permet à Frédéric de recevoir à Francfort la couronne d’Allemagne, le 5 décembre 1212. L'écra-