Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 7.2.djvu/354

Cette page n’a pas encore été corrigée
1957
1958
INNOCENT II


Il ne nous reste plus qu’à montrer rapidement comment s’accomplit la reconnaissance définitive d’Innocent II. Bientôt lui arrive l’adhésion de l’Angleterre. Dans une entrevue à Chartres en janvier 1131, le roi Henri reconnaît son bon droit. L’adhésion du roi d’Allemagne était un fait non. moins considérable ; elle fut accordée au pontife à l’entrevue de Liège, 22 mars 1131. Le tout avait été préparé à Wurzbourg en octobre de l’année précédente, dans une assemblée parallèle à celle d’Étampes et où saint Norbert joua un rôle très sensiblement analogue à celui que saint Bernard avait rempli en cette dernière réunion. L’entrevue de Liège entre Innocent et Lothaire ne fut que la mise à exécution du plan arrêté à Wurzbourg. On convenait de plus que le roi prêterait son concours au pape fugitif pour l’installer à Rome, où Lothaire recevrait de ses mains la couronne impériale. En octobre, alors qu’il tenait à Reims un important concile, Innocent reçut encore l’adhésion d’Alphonse VII de Castille et d’Alplionse I" d’Aragon. Bref, son obédience à la fin de 1131 est constituée par l’Allemagne, une grande partie de la France, le royaume d’Angleterre et une partie de l’Espagne. Anaclet, toujours maître de Rome, n’est reconnu que par le midi de la France, la Lombardie, et tout spécialement Milan, enfin et surtout par Roger de Sicile, à qui il a reconnu dès juin 1130, le titre de roi, avec une domination considérable dans le sud de l’Italie. Ces deux obédiences ne se modifieront pas sensiblement avant 1136.

Les partisans d’Innocent II se rendaient bien compte d’ailleurs que seule l’installation de celui-ci à Rome couperait court définitivement aux prétentions d’Anaclet. Après avoir conquis une obédience, il s’agissait maintenant pour le pontife de conquérir le siège romain. Pour cette entreprise il ne pouvait guère compter que sur les armes de Lothaire ; il eût été inutile de s’adresser à la France. Celle-ci avait eu la part principale dans la reconnaissance d’Innocent ; l’Allemagne aurait à jouer le premier rôle pour rétablir le pontife sur le trône de saint Pierre. La chose n’alla pas sans de graves difficultés. Les complications pohliques où se débattait Lothaire ne lui permirent pas de réunir pour son expédition des moyens suffisants. Entreprise en avril 1132, la campagne qui devait mener à Rome le pape et le roi aboutit à un succès fort relatif. En août 1133. l’armée allemande arriva sous les murs de Rome, après avoir rallié en Lombardie le pape qui y séjournait depuis le printemps de 1132. Un instant Anaclet fut tenté de négocier ; il proposait que le tribunal impérial discutât la double élection de 1130, avec l’arrière-pensée que cette juridiction proclamerait nécessaire le désistement des deux compétiteurs. Saint Norbert semble avoir amené Innocent à se prêter à une transaction de ce genre ; mais les pourparlers n’aboutirent pas. C’est par la force qu’Innocent entra dans Rome et s’installa au Latran ; c’est sous la protection des glaives allemands qu’il put procéder le 4 juin 1133 au couronnement de Lothaire dans la basilique constantinienne. Anaclet, en effet, se maintenait toujours dans le Transtévère, Saint-Pierre était inabordable. Et dès que le dernier allemand eut quitté Rome, Innocent ne s’y senlit plus en sûreté. Dès septembre il avait de nouveau rallié Pise. C’est là, ou dans les environs, qu’il séjournera pendant les années 1134 à 1136.

En août 1136, Lothaire un peu plus rassuré sur l’état de l’Allemagne se met en route, pour une nouvelle expédition, avec des effectifs plus imposants. L’objectif, cette fois, est de marcher directement sur Roger de Sicile, le plus sûr appui d’Anaclet, et de ne se tourner contre Rome qu’après avoir fait tomber cet obstacle considérable à l’installation d’-lnnocent. Le

plan s’exécute tant bien que mal dans les premiers mois de 1137. Devant les forces considérables amenées par l’empereur, Roger avait pris la fuite et s’était réfugié en Sicile ; il fut dès lors relativement facile de soumettre, au moins en apparence, les États continentaux du roi fugitif. Mais rien de définitif ne peut être obtenu ; à peine le pape et l’empereur sont-ils partis pour Rome que Roger débarque à Salerne. D’ailleurs, la bonne intelligence entre Lothaire et Innocent passait par une pénible crise. Au sujet du Mont-Cassin des dissentiments assez vifs s’étaient fait jour entre les deux alliés ; des paroles très regrettables avaient été échangées, des deux côtés on s’était amèrement reproché les services que l’on s’était rendus. Sur d’autres points encore des froissements eurent lieu. Pape et empereur se séparèrent sans regret ; ils ne devaient plus se revoir. Lothaire mourut sur le chemin du retour, dans un pauvre village des Alpes, automne de 1137.

Resté seul à Rome, Innocent s’efforça de consolider sa situation en face d’Anaclet qui dominait toujours une partie de la ville. Mais la situation de l’antipape, (il faut bien maintenant l’appeler ainsi) était beaucoup moins favorable que quatre ans plas tôt. Son obédience s’était de plus en plus restreinte ; l’action de saint Bernard en Aquitaine, à Milan, en Lombardie, dans l’Itahe du sud, avait fini par détacher de lui le plus grand nombre de ses partisans. La plus précieuse conquête, faite par Bernard, avait été celle du cardinal Pierre de Pise, dont nous avons dit qu’il exerçait sur ses contemporains un ascendant considérable. Lui disparu du collège cardinalice d’Anaclet, il n’y restait plus guère que des personnages ou médiocres ou tarés ; la noblesse romaine, elle-même, se fatiguait de son élu Bref, les chances de reconnaissance d’Innocent allaient croissant, tandis que diminuaient celles de Pierleoni. Une maladie rapide em./orta ce dernier en quelques jours au début de 1138 ; il mourut le 25 janvier. Samort aurait dû être la fin du schisme ; mais quelques irréductibles prétendirent donner un successeur à Anaclet dans la personn* du cardinal Grégoire, qui prit le nom de Victor IV. Cette fantaisie ne pouvait réussir. A la Pentecôte suivante, cédant aux instances de saint Bernard, le malheureux venait se jeter aux pieds d’Innocent en implorant son pardon. Innocent II était désormais seul pape de droit et de fait.

Il s’en faut ^"ailleurs qu’Innocent ait retrouvé dès lors une parfaite tranquillité. Les documents, beaucoup moins abondants sur les dernières années de son pontificat, nous laissent néanmoins entrevoir les nombreuses difficultés auxquelles il se heurta. A l’été de 1139, au lendemain du concile de Latran, où l’excommunication avait été lancée contre Roger de Sicile, toujours rebelle, le pape voulut presser lui-même les armes à la main l’exécution de la sentence. Fait prisonnier par son adversaire, le pape ne put sortir de captivité que par une capitulation peu honorable ; il dut lever l’excommunication portée et confirmer à Roger le titre de roi de Sicile, de Pouille et de Capoue. La rentrée du pontife à Rome ne fut nas un triomphe. Il fallut ensuite rétabhr l’autorité pontificale dans les petites villes des États romains ; la guerre avec Tivoli dura longtemps. Si elle se termina par une paix honorable pour le pape, il s’en faut que cette paix ait satisfait les Romains, qui voulaient la ruine définitive de la cité rebelle. Le mécontentement grandit d„ns la capitale, le mouvement communal, qui à la même époque agitait nombre de villes en France et en Italie, s’en trouva favorisé. Un jour vint où la population romaine proclama la république, réorganisa le sénat, nomma des consuls. Bref, laissant au pape la gestion des alïaires de la chrétienté et de l’Église, Rome, entreprenait de se gouverner elle-même.