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papes d’Aviiinon. Un problème analogue se posait déjà au lendemain de l'élection de 1130. Comment la chrétienté allait-elle le résoudre ?

II. La RECONNAISSANCE d’Innocent II.— Si.dedroit, il n’existait aucune autorité susceptible de trancher le traf^ique différend, en fait, la puissance séculière se trouvait investie de par les circonstances de l'époque d’un pouvoir considérable en la matière. Celui des deux concurrents que parviendrait à se faire reconnaître par les principaux souverains de l’Europe, jouirait sur l’autre d’un avantage considérable. De ces souverains il en était deux qu’il importait au plus haut point de conquérir ; le roi des Romains, Lothaire, dvfenseur-né de la papauté, le roi de France, Louis le Gros, vers qui déjà, en des circonstances critiques, les papes du xiie siècle avaient été heureux de se tourner. Chacun des deux compétiteurs s’employa activement à se faire reconnaître par l’un et par l’autre de ces rois.

Étant données les difficultés intérieures dans lesquelles se débattait Lothaire, ce serait Louis le Gros surtout qui deviendrait l’arbitre de la querelle. La France capétienne qui est restée presque entièrement à l'écart de la querelle du sacerdoce et de l’empire va jouer à présent un rôle considérable. Et dans cette France un homme sera le grand artisan de la reconnaissance d’Innocent II, aux dépens d’Anaclet : l’abbé de Clairvaux, saint Bernard. Il est difficile d’exagérer l’influence qu’il possédait alors dans l'Église de France, influence qui ne fera d’ailleurs que grandir à pnrtir de ce moment. Du fait que le roi était sollicité de prendre parti, du fait qu’il devait consulter l'Église de France pour savoir à quelle obédience se ranger, il était inévitable que l’abbé de Clairvaux eût une part prépondérante dans les décisions qui seraient prises. La consultation de l'épiscopat français eut lieu à Étampes, vraisemblablement vers le mois d’août ou de septembre, peut-être un peu plus tard, alors que déjà Innocent II avait mis le pied sur la terre de France. Incapable, en effet, de se maintenir à Rome où Anaclet avait la haute main, Innocent s'était d’abord réfugié à Pise (mai ou juin), puis s'était décidé à venir solliciter personnellement l’intervention de la France. Au début de septembre il débarquait à Saint-Gilles, en amont d’Aigues-Mortes ; puis à petites journées se dirigeait vers Cluny, où Pierre le Vénérable lui faisait un accueil roj’al ; le pape y séjournerait du 24 octobre au 3 novembre. Les historiens sont partagés sur le point de savoir si le synode d'Étampes eut lieu avant ou après le débarquement du pape en France. Ceux qui admettent la seconde hypothèse, insistent sur le fait que la reconnaissance d’Innocent par Piene le Vénérable, le chef de l’ordre clunisien, constituait en faveur du pontife un préjugé considérable. Ceux qui se rangent à la première mettent davantage en évidence le rôle de saint Bernard. Mais quoi qu’il en soit, il est certain que ce dernier eut au synode d'Étampes une action des plus considérables. Encore qu’il ne soit pas évident que l’assemblée lui ait confié l’arbitrage, au sens plein et absolu du mot, il reste que son intervention en faveur d’Innocent amena d’un seul coup la reconnaissance de ce pontife par le synode, par la France et par la chrétienté. Il vaut donc la peine de préciser les raisons qui ont détemiiné la conscience de l’abbé de Claivaux. Tous les documents s’accordent à déclarer. que la délibération roula beaucoup moins sur les circonstances dans lesquelles s'était accomplie la double élection, que sur les mérites respectifs des deux compétiteurs. Les événements du 14 février, d’une part, étaient assez mal connus et il paraissait difficile, sinon imprudent, d’instituer une enquête et de remuer tout ce passé. Une semble pas, d’autre par :, qu’on eût à

Étampes une notion très exacte des règles canoniques relatives à l'élection pontificale ; l’abbé de Clairvaux, en particulier, n’a jamais eu le fétichisme de la légalité ; volontiers (on le voit à plusieurs reprises dans sa vie) il tranchait des questions compliquées où un juriste aurait été mal à l’aise, par l’appel au Ijonsens, à des idées religieuses, à une espèce de divination de sa conscience qui lui dictait le parti à prendre. Ce procédé peut être infiniment dangereux ; il n’est conscience si droite qui ne soit humaine, et qui, dès lors, ne risque de se laisser surprendre. Dangereux ou non, saint Bernard l’employa fréquemment. Il l’employa ici. Se dresser comme un juge entre les deux partis, constater que l’un et l’autre avaient des torts, que l’un et l’autre avaient abouti à une élection anticanonique et imlle et dès lors les renvoyer dos à dos, en demandant qu’il fût procède à un nouveau choix, la piété de l’abbé de Clairvaux lui interdisait de le faire ; la prudence même le déconseillait. Le mieux n'était-il pas de supposer le problème résolu ; d’admettre que le pouvoir pontifical n'était pas tombé en déshérence, que l’un des deux compétiteurs était bien le pape authentique. La discrimination se ferait par la comparaison des mérites respectifs des deux élus. C'était la mise en œuvre d’un principe énoncé par le pape saint Léon en matière d'élection épiseopale : Is alteri præponatur qui majoribus sludiis juvatur cl meritis. En cas de partage, le candidat doit être préféré qui réunit le plus de suffrages et le plus de mérites. Ni saint Bernard, ni le synode, ne s’appesantirent sur la première partie de l’adage : l'élection d’Innocent n’avait pas précisément été faite à la majorité des suffrages ; mais on appuya énergiquement sur la question des mérites. Ainsi posé, le problème serait incontestablement résolu en faveur d’Innocent. Sa vie publique avait toujours été digne, sa vie privée sans tache, et ses adversaires eux-mêmes devaient reconnaître qu’il était impossible à ce point de vue d’attaquer sa réputation. Il en allait différemment de la personne d’Anaclet. Bien qu’en bonne critique il soit impossible d’ajouter foi à toutes les accusations que le parti adverse faisait courir sur son compte, il ne laissait point de circuler sur Anaclet des bruits assez fâcheux. La vie privée de Pierleoni n'était sans doute ni meilleure, ni pire, que celle de beaucoup de dignitaires ecclésiastiques de l'époque ; dans sa vie publique, il n’avait pas échappé à tout soupçon de partialité. Surtout son ambition était notoire ; elle avait pu l’entraîner à des manœuvres, à des brigues, qui suffisaient à vicier son élection dans le principe. Toutes ces considérations firent pencher la balance en faveur d’Innocent. Comme le dit naïvement le biographe de saint Bernard : Ille diligenler proseculus electionis ordinem, cleclorum mérita, vilam et jamam prioris decli, aperuit os suum et Spirilus Sanctus rcplcvit illud.

L’adhésion de saint Bernard à Innocent II entraînait celle de la France et par contre-coup celle de la catholicité. Peu à peu la reconnaissance du pontife deviendra unanime et il semble assez naturel de considérer cette acceptation du fait accompli comme une espèce de sanatio in radiée, qui aurait conféré après coup la légitimité à une élection de prime abord irrégulière. En d’autres termes il faudrait considérer le temps qui s'écoule entre la mort d’Honorius II et la reconnaissance quasi unanime d’Innocent II comme une longue vacance de la papauté, vacance qui s’est terminée par une élection extraordinaire, d’un genre assez spécial, à savoir le consentement quasi unanime de l'Église. Il me semble que saint Bernard se serait rallié à la théorie que je propose. Ce sont des arguments analogues à ceux-ci qu’il fera valoir quelques années plus tard lors des discussions organisées devant Roger de Sicile entre partisans d’Anaclet et partisans d’Innocent 1 1.