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INNOCENT II

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Pierleoni et Joiialhas. Ils en furent empêchés, paraîtil, par certains cardinaux évoques. A-t-on le droit de supposer que ceux-ci avaient partie liée avec Aymerie et cherchaient par là à empêcher l’exécution de ce qui avait été précédemment résolu ? Je ne serais pas éloigne de le penser. Mais je pense aussi que Pierleoni a relevé le défi d’un cœur léger. Du moment qu’il n'était plus possible de faire exécuter les décisions prises à l’assemblée générale, il lui était loisible de reprendre sa liberté d’action ; ni lui, ni Jonathas ne remirent plus le pied à Saint-André. Par contre, ils semblent s'être ojcupés fort activement durant cette nuit à des pourparlers et à des conciliabules dont il est assez facile de s’imaginer l’oljjet. Quoi qu’il en soit, au matin du 13 février, une grande agitation se remarquait dans Rome ; le bruit courait que le pape était mort. La foule se porta tumultueusement vers le couvent où le pontife agonisait, et celui-ci, rassemblant ses dernières forces, dut se montrer à une fenêtre pour apaiser l'émotion populaire. Cette effervescence, ou, si l’on veut, cette émeute, indiquait du moins à Aymerie ce qui arriverait lorsque se répandrait dans Rome la nouvelle authentique de la mort du pape. Le comité d'élection avait été disloqué aussitôt que formé ; le compromis de la veille était déchiré aussitôt que signé. Il n’y avait plus qu'à faire bonne garde autour du lit du mourant ; et sitôt le décès constaté, on procéderait le plus rapidement possible à une élection, qui serait ce qu’elle pourrait. L’essentiel était de faire vite, de mettre Pierleoni et ses partisans en présence d’un fait accompli. Devant un pape régulièrement investi, déjà revêtu de la chape rouge, on n’oserait plus, Aymerie le pensait, procéder à l'élection qu’il redoutait par-dessus tout. Le péril de l'Église justifiait ces moyens extraordinaires, c'était l’intime persuasion du chancelier. Si l’on sortait de la légalité, c'était pour rentrer dans le droit. Bref, la conscience d’Aymcric s’accoutumait durant cette journée du 13 à la pensée d’un coup d'État.

Dans la soirée, ou dans la nuit, Honorius mourut ; les portes du couvent furent aussitôt fermées, et nul des cardinaux qui se trouvaient au dehors ne put rentrer dans Saint-André. Ceux des membres du Sacré-Collège, qui y avaient passé la nuit se réunirent au petit jour. Pour respecter la lettre, sinon l’esprit des décisions arrêtées l’avant-veille, on procède à un simulacre d’inhumation ; puis, sans convoquer les cardinaux absents, on se préoccupe d'élire le successeur d’Honorius. Pierre de Pise proteste vainement contre ces démarches hâtives et anticanoniques ; il n’est pas écouté et se retire. Sur la personne de Grégoire de Saint-Ange, toutes les voix des cardinaux présents s’unissent ; ils sont là tout au plus une quinzaine, parmi lesquels il faut compter, il est vrai, quatre cardinaux évêques. Du comité désigné par le compromis du 12 février cinq membres seulement sur huit sont présents. Après les hésitations et les refus d’usage, Grégoire accepte le lourd fardeau, prend le nom d’Innocent II, et en toute précipitation élu et électeurs se hâtent vers la basilique du Latran ; le plus essentiel des cérémonies de l’intronisation s’accomplit en toute célérité ; quant à la remise des insignes pontificaux, elle ne se fera qu’au couvent du Palladium, à l’abri des tours des Fraiapani. Vers neuf heures du matin tout est terminé. « La légitimité de l'élection d’Innocent, écrit M. Vacandard, n’est pas de ces vérités historiques qui s’imposent à l’esprit. » lieinic des qiicsLions liifioiùqucs, 1888, t. xuii, p. 65. C’est ce que nous conclurons également du récit que nous avons esquissé aussi impartialement que possible.

Quelques lieurcs après, vers midi, Pierleoni pré DICT. DE THKOL. CATHOI, .

parait sa revanche. Depuis le matin on avait vu accourir à l'église de Saint-Marc, à cause de sa position très centrale, un certain nombre Ce cardinaux, de dignitaires romains de tous ordres, d’abbés de monastères, de représentants de la noblesse romaine et une multitude considérable de gens du peuple. Il est bien difficile de croire qu’aucun mot d’ordre n’avait occasionné une si imposante réunion ; bien difficile d’admettre que rien n’avait encore filtré de la mort d’Honorius et des évéi ements qui l’avaient suivie. Quand ils nous disent que tout ce monde était là pour attendre la nouvelle de la mort du pontife, et lui procurer de dignes funérailles, les partisans d’Anaclet II veulent nous en faire accroire. Toute cette mobilisation ne s’est pas faite sans que des directives très précises aient été données par ceux qui avaient intérêt à la déclancher. Il n’est pas impossible que Pierleoni, dont l’ambition n'était un secret pour personne, ait songé lui aussi à brusquer les choses et à prévenir par une élection emportée de haute lutte les menées du chancelier Aymerie. Or, vers la fin de la matinée, il apprend, par Pierre de Pise sans doute, que son rival l’avait devancé. Vivement irritée par les procédés du chancelier, la grande majorité des cardinaux se hâtait maintenant vers Saint-Marc ; treize cardinaux prêtres, neuf cardinaux diacres, et, chose importante^ l'évêque de Porto, doyen du Sacré-Collège se ralliaient autour de Pierleoni. Qu’on y ajoute les évêques de Tusculum, Legni et Sutri, une abondante représentation du clergé romain, et l’on comprend que Pierleoni n’ait pas reculé lui non plus, devant une violation de la légahté. Sans prendre le soin de discuter juridiquement l'élection d’Innocent, sans débats contradictoires, l’assemblée cardinalice casse la sentence du matin, acclame la candidature de Pierleoni qui finalement est élu et prend le nom d’Anaclet H. Il est dilïicile d’imaginer pareille légèreté. Americ était dépassé. La situation imposante que Pierleoni et ses cardinaux pouvaient s’acquérir dans l'Église, en mettant en question par toutes voies de droit, l'élection illégale d’Innocent II, ils la perdaient par cet autre coup de force. Dans une cause où ils pouvaient être arbitres, ils se faisaient à la fois juge et partie. La seconde élection de cette tragique journée était plus illégale encore que la première.

Surtout elle perdrait davantage encore les apparences du bon droit par les violences dont elle allait être le signal. Sitôt élu, Anaclet s’empressait de s’installer au Latran ; puis d’occuper Saint-Pierre. Cette manœuvre ne réussit que par des moyens brutaux ; une expédition à main armée tentée contre le couvent du Palladium où s'était réfugié Innocent II aboutit à un échec. Pierleoni entrait visiblement dans des voles de plus en plus illégales ; pour soutenir la justice de sa cause il devait se procurer des ressources en hommes, en argent. Il ne regarda pas aux movens. Ses adversaires l’accuseront plus tard d’avoir dissipé à cette fin les trésors de l'Église romaine et d’avoir hypothéqué des parcelles considérables de son patrimoine. Le reproche était trop vraisemblable pour ne pas trouver créance. Toujours est-il qu’en cette soirée du 14 février, la chrétienté avait deux papes. Pour qui aurait eu entre les mains toutes les pièces du procès, la situation eût été claire. Entachée l’une et l’autre de flagrantes illégalités, l’une et l’autre élection était nulle. Mais quelle autorité pouvait s’interposer entre les deux partis, les obliger l’un et l’autre à un désistement devenu indispensable ? En droit on n’en connaissait pas ; trois siècles plus tard, quand il s’agira d'éteindre le grand schisme, l'Église se trouvera également prise au dépourvu. Rien de plus contestable que les prétentions du concile de Pise à régler le différend qui mit aux prises les papes de Rome et les,

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