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1907
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INFIDÈLES


du Robinson p ?rdu au milieu des loups, que saint Thomas avait devant les yeux, s’étaient présentées à sa considération ces masses énormes répandues sur tant de plages oii n’avait encore pénétré aucun écho de la prédication apostolique, il n’aurait certainement pas cru satisfaire aux exigences de l’immense problème, par le seul recours aux deux moyens miraculeux qu’il assigne ». Ibid., ]>. 394. Ces deux moyens sont : l’envoi préternaturel d’un missionnaire ; et l’inspiration intérieure ou révélation immédiate, à laquelle le card.nal essaie d’opposer Rom., x, 14. Voir col. 18.Ô7 sq. Du reste, quand saint Thomas parle de « toutes les nations, jusqu’aux extrémités de la terre » comme recevant un écho de la prédication apostolique, il prend ces formules, comme sainf Paul lui-même et les Pères après lui, avec l’hiq^erbole consacrée par l’usage, par la rhétorique de l’antiquité, ce n’est qu’une partie, plus en vue, des nations. Ei il n’est pas sans intérêt de remarquer qu’il prend soin de distinguer entre une « nation » et les individus qui la composent, dont beaucoup n’ont rien entendu. Il savait assez de géographie pour soupçonner des « masses énormes » et bien des « plages où n’avait encore pénétré aucun écho de la prédication apostolique 1 et d’autres où le premier écho s’était perdu comme s’il n’eût jamais existé, parce que l’Église, qui aurait pu le conserver, n’était pas et « n’est pas encore établie » dans ces plages et ces nations-là. A toutes ces multitudes, quels moyens de salut ? Parmi les moyens prochains, admis par saint Thomas, il en est un « l’inspiration intérieure » qui peut largement se multiplier, surtout à l’heure de la mort. Enfin, parmi ces infidèles négatifs, quelles foules immenses, par leur libre faute, ne profitent pas du moyen éloigné, du facere qiiod in se est avec la lumière naturelle de la raison et avec l’aide d’une grâce qui les invite et les fortifie 1 A ceux-Là, Dieu peut refuser le moyen prochain ; alors, comme vient de le dire le saint docteur, ils seront très justement condamnés, non pour un refus de croire (ou « péché d’infidélité » ) mais pour d’autres espèces de graves délits. Car avec saint Thomas, nous n’entendons pas sauver tous les fidèles en dépit de leur liberté, et encore moins tous les infidèles. Speramus in Deum, qui est salvator omnium hominum, maxime fidelium. I Tim., iv, 10.

Conclusion. — On ne semble pas autorisé à dire « que la solution des grands docteurs du moyen âge… devait finir par apparaître… de tous points déficiente » dès que les découvertes géographiques « eurent changé, du tout au tout, l’idée que s’étaient faite dco conditions de la population du globe les âges antérieurs ». Ibid., p. 395. Les découvertes géographiques n’ont fait qu’élaigir encore cette idée, qui était déjà suffisamment large en réalité pour laisser entrevoir de grandes masses d’infidèles sans secours ordinaires.

3. Notions de théologie morale unanimement considérées comme certaines : a) sur le degré de connaissance de Dieu nécessaire pour pouvoir l’offenser ; b) sur quelques préceptes de la loi naturelle connus de tous les lionunes.

a) Quelle connaissance de Dieu faul-il avoir pour pouvoir Vofjenser, — Cette question compliquée se pose ici nécessairement, puisque le cardinal estime que des multitudes immenses d’infidèles, par défaut de cette connaissance, ne sont capables d’aucune offense de Dieu, même vénielle et a fortiori mortelle. C’est qu’il exige, pour pouvoir pécher, une plénitude et une pureté de connaissance de Dieu, que le sentiment commun des théologiens ne demande pas. — a. Plénitude de cette connaissance. — Il ne refuse pas aux païens une « idée première et quasi innée de la divinité, partout reçue et partout répandue, » qu’il réduit à l’idée « vague d’une cause supérieure

dont dépendent l’ordre et la marche du monde. » Il proteste qu’il n’entend pas le « moins du monde rejeter le sentiment des saints Pères, qui ont toujours regardé cette idée quasi-innée, comme une première assise posée au fond de l’âme naturellement chrétienne. » Études, 5 déc. 1920, p. 522. C’est ce que les théologiens appellent la connaissance obscure de Dieu, destinée à faire place à une idée claire, bien que confuse encore : claire, parce qu’elle suffit à le distinguer de tout autre être. Voir dieu (son existence), t. IV, col. 876 sq. Pour pouvoir offenser Dieu, dit le cardinal, il faut non seulement une idée claire qui le désigne, mais encore la connaissance de certains attributs divins, qui est nécessaire à la connaissance du pcclu. Voici comment il la décrit : « C’est la notion, bien déterminée déjà, d’un Dieu personnel, distinct du monde qu’il a créé et qu’il gouverre ; d’un Dieu unique, souverainement bon, souverainement parfait, dont la loi, qui n’est autre que la raison ou volonté divine ordonnant de garder l’ordre naturel et d’étendant de le violer, s’impose à la conscience. Car telle est bien la notion requise en l’adulte spirituel, sans laquelle., toutes les conditions de la vie morale font défaut. C’est donc sur cette notion, ainsi définie, que porte la discussion présente ». Et ailleurs : « Nous sommes loin de prétendre que, pour être capable de péché, il Soit nécessaire d’avoir de Dieu une idée aussi précise et aussi nette que celle qu’en a le chrétien bien instruit de sa religion.., ou qu’elle doive être absolument épurée de toute erreur… Nous disons seulement qu’elle doit être assez déterminée déjà pour représenter Dieu à l’esprit comme distinct du monde et de chacune de ses parties.. ; qu’il y faut la notion de cette perfection transcendante qui constitue Dieu fin et législateur de l’ordre moral.., de cette raison et volonté souverainement droite, règle suprême de toute rectitude et de toute justice » Études, 5 mai 1921, p. 270. Il faut encore qu’on n’invoque pas la divinité pour les seuls « intérêts de l’ordre temporel » comme le faisaient souvent les païens, et « au dire de beaucoup de missionnaires, tant de pauvres idolâtres dont l’ignorance ne voit, dans le culte de la divinité, rien autre chose que le moyen el’écarter d’eux les accidents malheureux, etc. » Ibid., p. 271. « Il n’est pas d’adulte au spirituel, c’est-à-dire pas de vraie notion du’bien et du mal, pas de conscience possible de l’obligation et de la responsabilité morale, tant que la raison en son développement n’est pas arrivée à la connaissance du Dieu vrai et vivant, notre créateur et notre maître, premier auteur de notre être, et fin dernière de toute la oie humaine, » 20 août 1920, p. 390.

— Critique Voilà bien des concepts exigés pour la plus modeste vie morale. Tous les chrétiens mêmes les ont-ils ? Ils ne seraient dore pas des adultes spirituels ? Ne suffit-il pas de la notion de suprême Législateur, ordonnant de garder l’ordre naturel, imposant une loi. une règle obligatoire à la conscience ? Le péché se conçoit surtout par l’opposition à une telle règle : magis est de ratione peccati præterire regulam ordinis, quam etium deficere ab actionis fine, dit saint Thomas, De malo, q. ii, a. L La notion de fin et surtout de fin dernière de la vie humaine » n’est donc pas nécessaire à tout péché ; le péché véniel n’est pas oppose à la fin dernière Quant au concept de « créateur », il a manqué aux plus grands philosoph.’s grecs : faudra-til les regarder, eux aussi avec tout le reste djs païens comme non-adultes ? On ne voit pas non plus pourquoi le concept difficile de « souverainement parfait » ou d’infinie perfection serait nécessaire à pouvoir pécher ; ni pourquoi il ne suffirait pas de connaître Dieu d’une manière plus générale comme « distinct du monde » sans le connaître en plus comme » distinct de chacune de ses parties » — ou de le connaître