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INFIDÈLES


du moyen âge à cause de leur défaul considérable de critique historique. C’est ce défaut qui leur aurait fait supposer, parmi ces infidèles éloignés et délaissés, dont leur géographie réduisait déjà singulièrement le nombre, une diffusion très exagérée de la révélation, soit avant soit après l’ère chrétienne. Il en apporte les preuves suivantes. — a. — Les Pères, et à leur suite les anciens théologiens, ont supposé faussement que les livres des juifs « étaient venus de très bonne heure à la connaissance des païens ». Ibid., p. 392. — Réponse. Nous avons noté à ce propos l’étrange exagération de saint Justin, empruntée aux plus fameux juifs hellénistes. Voir col. 1810. Mais les écrits de Justin ne firent pas école, notamment pour ce détail, parmi les Pères venus plus tard, surtout les Pères latins ; saint Thomas et les théologiens du moyen âge ne se ressentent pas non plus de cette influence. L’erreur de Justin consiste à prétendre que les grands philosophes grecs auraient tiré du livre de Moïse » tout ce qu’ils ont dit de l’immortalité de l’âme, des châtiments qui suivent la mort, de la contemplation des choses célestes et autres dogmes semblables. » Ibid. Tout en rejetant cette erreur, il semble néanmoins qu’il faille admettre de façon générale une influence salutaire des juifs pour faire des prosélytes parmi les païens, ou du moins pour transmettre à beaucoup d’infidèles le très petit nombre de dogmes nécessaires à la foi et au salut. Et c’est avec raison que saint Augustin a considéré les successives dispersions des juifs à travers les nations, et la traduction des Septante, comme des événements providentiels pour le salut de bien des païens. De civit. Dei, t. VII, c. xxxii, P. L., t. xli, col. 221 ; cꝟ. t. XVIII, c. xi.ii. — b. — Pour les temps avant J.-C, les Pères et saint Thomas ont admis que les gentils avaient reçu des révélations immédiates, et même « avaient eu, eux aussi, leurs prophètes particuliers., comme les Sibylles surtout, dont les oracles passaient pour avoir annoncé, et dans les termes les plus clairs du monde, le Christ rédempteur. » Ihid., p. 392, 393.

— Réponse. Que des révélations divines aient été faites à des païens pour leur communiquer les vérités abîoKiment nécessaires, il n’y a rien là d’impossible, c’est même un postulat de la volonté salvifique universelle, du moins si l’infidèle ne met pas lui-même obstacle à cedon. Voir 3° sustéme. Qu’au lieu de multiplier les révélations immédiates à chaqueMntéressé, la Providence ait usé parfois d’un intermédiaire pris parmi les gentils eux-mêmes et capable de faire accepter d’eux sa mission, il n’y a là rien de déraisonnable, quoi qu’il faille penser du cas particulier des Sibylles. Le fait d’ailleurs que les Pères de l’Église aient été dupes de la supercherie littéraire que constitue la fabrication des Livres sibyllins, n’est pas une raison suffisante pour que l’on puisse rejeter complètement leur autorité dans la question du salut des infidèles. — c. — Pour les temps après J.-C, le cardinal nous donne l’occasion d’étudier un très remarquable passage de saint Thomas sur le salut des infidèles, omis par nous jusqu’ici. Il y voit, lui, une preuve encore plus forte de l’ignorance que l’on avait, au moyen âge, des « véridiques dépositions de l’histoire. » Et il le cite ainsi : « Tempore apostolorum, écrit saint Thomas en propres termes, ad omnes gentes, ctiam usque ad fines mundi, pervenit aliqua fama de prœdicatione apostolorum per ipsos aposlolos vel discipulos eorum : si bien que dans sa pensée, comme aussi <ians celle de ses contemporains, à se trouver loin de tout contact, médiat ou immédiat, avec la révélation évangélique, ne seraient plus restés que ceux que des circonstances tout à fait extraordinaires auraient séparés du consortium humain, à savoir, quelques rares sauvages ayant d’aventure grandi au fond des forets et n’en étant jamais sortis : ad quos non per venit (prœdicatio) utpote si lueruni in silvis enulriti. » Ibid., p. 393-394. — Et il cite en passant un autre texte du saint docteur déjà étudié par nous à propos des révélations immédiates, où il ne s’agit pas de déterminer l’étendue de la prédication des apôtres. De verit., q. XIV, a. 11, ad lum. Voir col. 18.52. Analysons le nouveau texte cité, avec son contexte. In Paulum, Rom., x, 18, Icct. III. Saint Thomas commence par dire (§ 2) « que selon Augustin (epist. lxxx), quand l’apôtre parle au passé (Numquid non audierunt ?), l’évangéfisation apostolique n’était pas encore accomplie, mais qu’il en prévoyait l’accomplissement ; et à cause de la certitude de la prédestination divine, Paul met le passé pour le futur, comme le psalmiste dont il emprunte les paroles : In omnem terram exivii sonus eorum. Et, ajoute saint Thomas, Augustin fait cette remarque parce qu’il atteste lui-même que, de son temps encore, il y avait en Afrique des nations auxquelles la foi du Christ n’avait pas été prêchée. » Ce qui embarrasse pourtant le docteur angélique, c’est que Jean Chrysostome dit le contraire, dans son commentaire sur Matth., xxiv, 14 : « Il faut que l’évangile soit prêché dans le monde entier… et alors viendra la fin. » Jean Chrysostome entend cette fin de la destruction de Jérusalem, ce qui précipiterait beaucoup la prédication apostolique dans le monde entier. Mais, pour concilier autant que possible.lean Chrysostome et Augustin, saint Thomas dit que « l’affirmation de chacun d’eux a quelque chose de vrai, aliqualiter verum. » Ici se placent les lignes citées par le cardinal : « du temps des apôtres, à toutes les nations, même jusqu’aux extrémités de la terre, est parvenue quelque rumeur de la prédication des apôtres, ou de leurs disciples. .. Et c’est ce que veut dire Jean Chrysostome. Mais l’Église ne s’est pas établie encore dans toutes les nations, ce qui doit avoir lieu avant la fin du monde, d’après Augustin. » Et si l’on a des raisons de préférer l’exposition de Jean Chrysostome, « il ne faut pas l’entendre en ce sens que la rumeur de la prédication apostolique soit parvenue à chacun des hommes, bien qu’elle soit parvenue à toutes les nations. » Puis saint Thomas pose une question (§ 3) : « Ceux à qui elle n’est point parvenue, si par exemple il s’agit d’homme ayant grandi dans les forêts — (c’est pour lui un exemple, utpote si, et non pas le seul cas possible, d’ignorance invincible, comme s’il y fallait « des circonstances tout à fait extraordinaires » ) — sont-ils excusés du péché d’infidélité ? Je réponds que, suivant la parole du Seigneur, Joa., xv, 22, ceux qui n’ont pas entendu la parole du Christ ni par lui-même ni paises disciples sont excusés du péché d’infidélité ; mais cela n’entraîne pas la grâce de la justification, de la rémission de leurs autres péchés, ou contractés en naissant (péché originel), ou surajoutés en vivant mal, pour lesquels ils sont justement condamnés (cf. Sum. theoL, lia Ilæ, q. x, a. 1 et 4). Si pourtant quelques-uns d’entre eux avaient fait leur possible, quod in se est, Dieu selon sa miséricorde aurait pourvu à leur justification en leur envoyant « par des moyens prcternaturels » un prédicateur de la foi, comme il a envoyé Pierre à Corneille, Act., x, et Paul aux Macédoniens, Act., XVI. Mais cependant ce fait même d’accomplir leur possible, en se tournant vers Dieu, vient de Dieu même qui meut leurs cœurs vers le bien, suivant cette parole : Converte nos, Domine, ad te, et convertenmr, Thren., v. 21. » Le cardinal ajoute : « C’est cette réponse qui contient le dernier mot de la grande théologie du moyen âge touchant la question présente (du sort des infidèles) ; et au surplus, nous n’avons nulle intention d’en contester ici la recevabilité. Nous disons seulement que ce serait bien à tort que l’on voudrait y voir une solution de portée générale, satisfaisante en tout état de cause… Si au lieu