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INFIDÈLES


aux données de Polybe et de Strabon. A l’occident, les colonnes d’Hercule ; à l’orient, l’extrémité de la chaîne des monts Taurus ; au sud, le littoral méditerranéen da l’Afrique ; au nord, une ligne allant des pays Scandinaves à la mer Caspienne, telles étaient les bornes de la terre habitée, au delà desquelles il n’y avait plus rien ». Ibid., p. 391, 392. — Ouvrons V Allas anliquas duD^Wilhelm Sieglin, Gotha, Perthes, 1893. Dans la première carte, Orbis terrarumsecundiim illustrissimox Yelerum geographos, on nous montre d’après Hérodote, ve siècle avant J.-C, le périple des Phéniciens, qui, passant par la mer Rouge, côtoyèrent le continent africain tout entier, et après trois ans de circumnavigation, rentrés dans la Méditerranée par Us Colonnes d’Hercule, revinrent au logis. Donc, on connaissait déjà, de l’Afrique, plus que son littoral méditerranéen. Puis nous voyons le monde d’après Strabon, né 63 ans avant l’ère chrétienne. Il n’arrête pas l’Asie à l’extrémité de la chaîne du Taurus, mais décrit, comme de juste, l’empire d’Alexandre jusqu’aux Indes ; la limite extrême du monde de Strabon vers l’Est renferme, du Sud au Nord, l’île de Taprobane (Ceylan) et les Sères (Chinois). Mais le commerce fit de grands progrès, et l’œuvre de Strabon fut dépassée et effacée par celle de Ptolémée, vers 150 après J.-C. — « Cet astronome alexandrin, dit la Grande Encyclopédie, eut la bonne fortune que son livre fut pendant douze siècles le fond de la géographie, et n’est devenu inulil ; qu’au xviii^.. Par delà l’Inde, il connaît la Chersonèse d’Or (presqu’île de Malacca)…, nomme la place commerciale de Cattigara (Sumatra)… Il sait également la route de mer et la route de terre pour aller en Chine, soit chez les Sinæ (Chine méridionale), soit chez les Sères (Chine septentrionale)… En Afrique il place assez exactement les lacs marécageux d’où sort le Nil… Il couvre le Sahara de noms de tribus inconnues des auteurs antérieurs. » Article Géographie, p. 787, 788. Cf. Atlas anliquus, loco cit. — Sans doute, occupés à d’autres soins, les Pères de l’Église n’étaient pas de grands géographes. Cependant ils n’ignoraient pas, du moins les plus érudits, les données les plus curieuses de la science géographique de leur temps ; par exemple, plusieurs d’entre eux ont partagé cette vague idée qu’avait l’antiquité d’un continent de l’autre côté de l’Atlantique. C’est le premier de tous les Pères, Clément de Rome, qui nous dit : « L’Océan infranchissable aux hommes, et les mondes qui sont au delà, sont gouvernés par les mômes dispositions de la providence de Dieu. » i Cor., c. xx ; P. G., t. I, col. 249, 252. On peut voir dans cette édition en des notes très copieuses les interprétations soutenues par divers commentateurs de l’épître. La nieilleure semble bien celle qui voit dans ces « mondes au delà de l’Océan » de vastes pays au delà de l’Atlantique, Jbid., col. 254, note. Ce passage de Clément romain a été cité par Clément d’Alexandrie, Origène et saint Jérôme ; voir les références dans Capéran, p. 219, note. Il ne faut pas se laisser tromper par cette expression vague des Pères, empruntée d’ailleurs à saint Paul, que la foi du Christ a été annoncée « dans ! e monde entier » in univcrso rrundo. Sous cette formule hyperbolique et sonore on entendait l’empire romain, ou même seulement sa partie la plus connue. Saint Irénée énumore les pays où le christianisme existe ; il signale déjà, en dehors de l’empire, quelques églises fondées chez les barbares limitrophes ; ce que fait Tertu) lien. avec plus d’abondance et de précision. Voir Capéran, ibid., p. 33, 34. Mais l’hyperbole de cette formule n’empêchait pas les Pères de savoir qu’il y avait dans l’cvangélisation des lacunes énormes. Origène affirme que « beaucoup de nations, non seulement chez les barbares, mais même dans l’empire, n’ont pas entendu la parole chrétienne. Mais à la fin

du monde, l’Évangile sera prêché de telle sorte que toute nation l’ait entendue. » Il ajoute : « On ne dit pas que l’Évangile ait été prêché à toutes les tribus de l’Ethiopie, surtout à celles qui sont au delà du fleuve. D’ailleurs ni les Sères, ni d’autres peuples de l’Orient n’ont entendu parler du Christ. Et que dire des Bretons et des Germains qui bordent l’Océan, ou des Daces, des Sarmates et des Scythes, dont un grand nombre n’ont pas entendu la parole évangélique ? » In Matthœum commentarii, c. xxiv, 14 ; P. G., t. XIII, col. 1654, 1655. Saint Augustin lui-même sait qu’il y a encore des nations qui n’ont pas été évangélisées ; et il se sert de ce fait, pour prouver cette inégalité de faveurs divines dans l’ordre du salut, qu’est la prédestination à la grâce. Sur son disciple Prospcr, voir col. 1743.

Voilà pour les Pères. Quant à saint Thomas et aux théologiens jusqu’à la fin du moyen âge, ce qui leur a donné une assez vraie conception du monde habité, ce qui les a amenés à concevoir un assez grand nombre d’infidèles délaissés, c’est d’at)ord l’influence des Arabes. Sans parler de leurs remarquables voyageurs et des descriptions qu’ils écrivirent, un de leurs khalifes fit traduire en arabe les œuvres de Ptolémée, que leurs astronomes corrigèrent même, par une détermination plus exacte des latitudes et des longitudes. « Le principal mérite des géographes arabes, dit la Grande Encyclopédie, fut d’être des intermédiaires entre la science grecque et l’Occident, auquel ils en transmirent le dépôt. Albert le Grand, Roger Bacon et Vincent de Beauvais furent en Europe les rénovateurs de la géographie. » Ibid., p. 789. Vincent de Beauvais, par exemple, un des premiers dominicains, mort en 1264, avant saint Thomas, donne quelques notions justes sur la géographie générale de la terre : à côté d’écrivains latins comme Pline, Macrobe, etc., il utilise des Arabes comme Avicenne et le livre De naturis rerum, où des passages d’autres auteurs arabes sont transcrits. On y prouve la forme sphérique de la terre, le climat des différentes zones, on discute les endroits habitables. Spéculum mnjus, t. i. Spéculum naturale, t. VI, c. ii, sq., édit. des bénédictins. Douai, 1624, col. 370 sq. — Ajoutez surtout « les voyages politiques ou commerciaux accomplis au xiii » siècle (par les européens eux-mêmes) dans l’Asie centrale et orientale où régnaient alors les souverains mongols ; ces voyages procurèrent aux Européens une connaissance de l’Asie presque égale à celle des Arabes ». Les résultats de ces voyages ont certainement été connus de saint Thomas, qui ne commence à enseigner tout jeune les livres des Sentences qu’en 1251, à Paris, et n’achève la I" et la II « partie de la Somme Ihéologique, qu’en 1269, en Italie, et meurt en 1274. « Des négociants vénitiens, favorisés par les Turcs ou Mongols, parcourent toute l’Asie. Les Polo.. (entre autres) passent au Nord de la Caspienne, de l’Aral, gagnent Bokhara, puis la Chine (1254-1269)… Ils repartent de Venise en 1271, avec le jeune Marco Polo, qui devait écrire une admirable relation, base de la géographie de l’Asie pendant plusieurs siècles. » Ibid., p. 789, 790. Ainsi les renseignements géographiques n’ont pas manqué à saint Thomas, ni à ses successeurs du xin « et du xive siècle, pour se faire une assez juste idée de la grandeur des régions lointaines du monde habité, et par conséquent du nombre immense des infidèles négatifs. S’ils n’ont pas eu recours à la solution qui met tant d’hommes aux limlies des enfants, c’est donc un effet, non pas de leur ignorance en matière profane, mais plutôt, semble-t-il, de leur science sacrée, qui leur interdisait de songer à une telle solution.

b) Le cardinal récuse encore, dans l’espèce, le jugement des Pères, de saint Thomas et des théologiens