Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 7.2.djvu/322

Cette page n’a pas encore été corrigée
1893
1894
INFIDÈLES


multitude considérable d’infidèles qui du commencement à la fin de leur existence, seraient restés ou resteraient encore dans une invincible ignorance du vrai Dieu et de sa loi, à classer par conséquent parmi les non-adultes, auxquels la vie future réserve ce lieu mitoyen entre le ciel et l’enfer, connu dans la tradition chrétienne sous le nom de limbe des enfants. » Ibid., p. 517, 518.

Critique. Occupé encore à la célèbre théorie de saint Thomas, nous devons remettre à plus tard l’exanren complet du système du cardinal. Un mot seulement sur la confirmation qui lui serait donnée par le docteur angélique. Nous avons peine à voir comment, par sa théorie de l’enfant arrivant à l’usas rationis', saint Thomas peut conférer une garantie à un système dont la base est si différente dé la sienne. Prenons les Quæst. disp. de verit., q. xiv, a. 11, ad 1. Le docteur angélique y pose comime ailleurs le grand principe du Facienti quod in se est : t II appartient à la divine Providence de pourvoir qui que ce soit des moyens nécessaires de salut, pourvu que de son côté l’attributaire n’empêche pas cette Providence par le mauvais usage de sa liberté. » Cf. col. 1853. On objecte au saint docteur « un homme nourri dans les forêts, au milieu des loups : celui-là ne peut rien connaître explicitement de la foi. » Voilà certes un type d’infidèle abandonné, privé de toute instruction. Mais il a la raison naturelle, dont saint Thomas ne désespère pas. « Si quelqu’un en de telles conditions, dit-il, suivait comme guide la raison naturelle (et il ne dit nullement que cette hypothèse soit impossible), s’il cherchait le bien et évitait le mal », etc. Il n’est donc pas question de faire aussitôt un acte de charité parfaite ; dès lors ce texte favorise singulièrement l’interprétation de Gajétan, à rencontre de celle de Capréolus suivie par le cardinal ; on ne peut donc attribuer avec quelque certitude à saint Thomas le fait d’avoir été « beaucoup plus loin » que le cardinal « dans l’assignation des conditions de l’adulte spirituel », en allant « jusqu'à admettre comme requise (parmi ces conditions) une conscience déjà formée sur l’obligation de s’ordonner à Dieu, et dès le premier instant, par un acte de charité parfaite. » Du même coup s'écroule la « confirmation a fortiori » dont on se réclamait.

2 » Conclusion finale. — 1. Il est hors de doute que saint Thomas a vraiment tenu ce système relatif à l’enfant arrivant à l'âge de raison, malgré quelques traces d’hésitation connne dans Quæst. disp. de nvdo, q. V, a. 2, ad 8, et que la grand autorité du saint docteur donne à ce système, qui n’a d’ailleurs jamais été critiqué par l'Église, une telle valeur extrinsèque, qu’on peut le suivre avec sécurité, sans crainte de se trouver en contradiction avec les règles de la foi.

2. Quant à la valeur intrinsèque, elle ne semble pas prouvée avec certitude. — Parmi les plus célèbres théologiens dominicains, plusieurs ont considéré comme seulement probable ou le système tout entier, ou du moins l’une de ses parties. Suarez apporte contré cette valeur intrinsèque plusieurs bonnes raisons, auxquelles on ne voit pas qu’on ait suffisamment répondu.

H 3. Il est un cas tout spécial, remarqué déjà par Suarez, /oc. cit., n. 10, p. 5j2, où la théorie de saint Thomas nous semble sortir de la simple probabilité pour entrer dans la certitude intrinsèque, parce que les preuves qu’il donne acquièrent alors une pleine efficacité. C’est lorsqu’aux circonstances générales de l'éveil moral et du facere quod in se est, auxquelles le saint docteur attache soit la première oldigation de se tourner vers Dieu, soit la promesse divine d’une justification toute prochaine, vient s’ajouter cette autre circonstance très particulière, que la mort soit toute procluiine, elle aussi. Alors la volonté salvifique

exige aussitôt unç révélation immediate, avec les grâces surnaturelles qui donnent au mourant, s’il le veut, de faire les actts de foi et de charité. Alors il n’y a pour lui que justification ou péché mortel, ciel ou enfer. — Il nous reste donc la consolation de suivre la théorie de saint Thomas dans une certaine mesure, si restreinte qu’elle soit.

cnvQoiÈME SYSTÈME. — Admission de nombreux infidèles de tout âge dans le limbe des enfants. — Sous ce titre général se rangent deux conceptions très diverses, suivant que l’on suppose ou non, dans ces infidèles, l’existence d’acte moraux.

1° Admission de ces infidèles aux limbes pour recevoir la récompense de leurs actions morales, naturellement bonnes. — Cette idée, avec des variantes, apparaît à diverses reprises, et dès le début du xvie siècle. La découverte récente de l’Amérique avait rendu le problème des infidèles plus aigu, et l’humanisme rendait les esprits plus aventureux.

1. Donc au début du xvie siècle un allemand, l’abbé Trithème († 1516), et un jurisconsulte français, conseiller de Louis XII et entré tard dans les ordres, Claude de Seyssel, mort archevêque de Turin († 1520), expriment cette solution, dans un latin d’humanistes. — a) En réponse à une question de l’empereur M..ximilien, et tout en maintenant avec force la nécessité de la foi, et même de la foi explicite au Christ, pour le salut des infidèles, Trithème indique le premier un peu vaguement cette solution.. Parmi ceux qui * n’ont jamais entendu parltr du Christ, dit-il, s’il en est qui aient vécu selon la loi naturelle sans péché jusqu'à la mort, je ne pense pas qu’ils aient donné lieu de croire qu’ils seront condamnés à la peine du sens, bien qu’ils soient éternellement privés de la vision de Dieu, ce que les théologiens appellent la peine du dam. » Voir Capéran, Essai hisL, etc., p. 220-222.

b) Sey.ssel développe beaucoup plus ce système, dans son traité De divina providentia, Paris, 1518, ' part. II, a. 2. Il part de ce fait : « Il y a des pays où la' révélation évangélique n’a pu arriver par aucune voie. » Et il prend parmi les habitants de ces pays « ceux qui, suivant les lumières de leur raison, ont reconnu leur Auteur et lui ont rendu un culte, ont observé lu loi naturelle, et ont fait pénitence de leurs fautes. » Il distingue deux classes parmi eux. D’abord, ceux qui ont vraiment fait tout leur possible pour connaître la vérité religieuse. « A ceux-là. Dieu fera entendre son appel comme à Abraliam et les dirigera dans le ch min de la vérité » sans doute par la révélation immédiate, qui les dirigera vers le ciel. Ensuite « ceux qui ont montré moins de zèle pour les choses divines, tout en observant, à la lumière de la raison, la religion envers Dieu et la justice envers le prochain. Ceux-là n’iront ni au ciel ni en enfer, mais dans un lieu intermédiaire : où est-il, l'Écriture n’en dit rien ; et je pense que nous l’ignorons, bien qu’on parle de limbes pour ceux qui n’ont pas eu la possibilité de pécher… Pour les infidèles dont je parle, dit encore Seyssel, comme pour ceux qui n’ont pu commettre aucun péché actuel, un lieu a été assigné où sans aucun tourment ils restent relégués.. Mais q lel que soit l’endroit où les troupes de ces esprits ymocents passent leur vie immortelle, je pense qu’ils remercient vivement la divine bonté, qu ils se regardent comme heurei : x en comparaison des damnés, et n’envient pas la félicité des bienheureux mais acceptent paisiblement leur sort. » Voir Capéran, ibid., p. 222224. — Un docteur mi’aTiais du collège ambrosien, François Collius († 16^10), assez averti sur les Pères, les conciles et les opinions plus ou moins communes en théologie, s’en est scrvr pour réfuter Seyssel avec assez de justesse, bien qu’avec cette rhétorique des humanistes, qui donne a l’expression d’un blâme une couleur exagérée, et qui surtout, en cachant la marche