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INFIDÈLES

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séquence est bonne : pas de Dieu, donc pas de péché. Or cet enfant ignore invinciblement s’il y a un Dieu, ou s’il n’y en a pas : donc il ignore invinciblement si le pi ché existe ou non (et partant, ne peut pas le commettre). » Banez traite ce raisonnement de sophisme. « Dans toute la. dialectique, dit-il, vous ne trouverez pas cette règle, que si l’antécédent est invinciblement ignoré, le conséquent doit l'être aussi, » Il renverse la prétendue règle par un exemple contraire : La terre (à tel moment) se trouve interposée entre le soleil et la lune, donc il y a éclipse de lune. Un paysan ignore absolument l’antécédent ; et pourtant il n’ignore pas le conséquent, qui lui est manifesté par l’expérience. De même en notre cas : l’homme constate par expérience qu’il est lié par le diclamen naturel de la conscience, bien qu’il n’ait pas aussitôt la connaissance d’un Dieu législateur, qui est l’auteur de cette obligation et l’a imprimée dans les âmes des hommes. » Ibid., p. 246. Bafiez suppose ce fait, que la marche de Ja connaissance humaine peut parfois être à l’inverse de la genèse réelle des choses, sans nuire cependant à la vérité de la connaissance ; chez nous ror(Jre logique ne suit pas toujours l’ordre ontologique. — 3 « objection : Un précepte affirmatif n’oblige pas pro semper, mais pour des actes espacés avec une certaine liberté. Pourquoi donc le vôtre oblige-t-il nécessairement à ce moment-là, et si rigoureusement ? Pourquoi l’enfant ne peut-il alors, sous peine de péché mortel, exercer sa liberté sur une bonne action particulière qui se présente à lui, et lui semble même nécessaire ? — Réponse. « Parce qu’il s’expose à un péril manifeste de s'égarer, s’il commence son voyage en délibérant sur lui-même sans la régie qu’il peut naturellement connaître. Et c’est le principal argument pour l’opinion de saint Thomas. » Ibid. L’objection est-elle pleinement résolue ? L’enfant ne pourrait-il connaître et appliquer la règle de sa conscience d’abord à une action particulière, puis à une autre, etc.? Sans doute, l’adhésion universelle et réfléchie à la règle, et qui porterait sur tout l’avenir dès le premier usage de la liberté, aurait de grands avantages ; mais c’est un acte bien difficile pour un enfant, et plus à la portée d’un philosophe : comment peut-on garantir que tout enfant aura infailliblement cette pensée, et n’est-ce pas bien rigoureux de dire que, s’il ne di)nne pas à la règle des mœurs cette adhésion spécialement difficile, il pèche mortellement ? Si les documents positifs de la révélation disaient que tout enfant a vraiment cette obligation, et la connaît, alors on serait autorisé à supposer une lumière spéciale de Dieu pour la lui faire connaître ; mais les documents se taisent là-dessus, comme l’admettent les thomistes eux-mêmes. — 4 « objection. KUe part des principes que Banezvenait d'établir avec saint Thomas, dans l’article auquel il a adjoint comme appendice la discussion de la théorie de l’enfant, et les tourne contre lui. « Si nous parlons de la foi en tant que nécessaire à la justification, avait-il dit, beaucoup d’infidèles sont excusés du péché d’infidélité. Dieu, en cfiet, n’oblige personne à l’impossiljle. Or il est impossible que l’homme connaisse par la lumière naturelle qu’il est enfant de colère à cause du péché originel, et que Dieu a résolu de justifier ïe pécheur. Ce sont là des choses que l’on tient par la loi seule. Avant donc que ces vérités aient été révélées surnaturellement à l’homme et présentées, soit par un prédicateur tel qu’il le faut, tandis que la grâce au dedans aide surnaturellement 'auditeur, soit par Dieu lui-même manifestant intérieurement les vérités nécessaires à la justification (révélation immédiate), jamais l’homme ne commettra le péché d’infidélité : il en sera excusé par l’ignorance invincible de la révélation. » In II"-^ 11^, q. X, a. 1, dub. 1, 2° conclus., p. 242. Partant de ces principes mêmes, l’adversaire de la théorie de l’enfant

pose ce dilemme : « Le précepte de se tourner vers Dieu à l'âge de raison, que vous affirmez, est un précepte ou surnaturel (c’est-à-dire le précepte de la foi et des autres vertus théologales), ou naturel. Surnaturel ? Un tel précepte n’est pas connu ordinairement dès l'âge de raison ; et si, avec Capréolus, on soutient qu’il l’est toujours, tout enfant qui y manquerait commettrait dès lors le péché mortel d’infidélité, en ne se tournant pas vers Dieu par des actes de foi, d’espérance et de charité, il n’y aurait donc point d’infidèles négatifs, excusés par l’ignorance invincible, ce qui serait contre les principes de saint Thomas. En ferezvous un précepte naturel ? Un précepte naturel ne peut s'étendre à ce qui est impossible à faire par les forces de la nature. Or dans notre état actuel de nature corrompue, nul ne peut par les forces de la nature se tourher efficacement vers Dieu, c’est-à-dire prendre, comme vous le voulez, une résolution générale et sérieuse d’accomplir la loi naturelle pendant toute une longue vie, cet objet étant au-dessus des forces de la nature : autrement il faudrait dire que l’homme par les forces de la nature peut accomplir toute la loi naturelle, ce qui est pélagien. » Ibid., dub. 2 p. 244. — Réponse de Bafiez : « Tout homme est tenu de se tourner vers Dieu, et par un précepte naturel, et par un précepte surnaturel : avec cette différence, que personne n’est excusé du précepte naturel, parce qu’il lui est naturellement intimé… dès l’usage de la raison ; tandis que celui à qui le précepte surnaturel n’a pas été promulgué en est excusé, et donc ne pèche pas contre la foi, l’espérance et la charité. Le précepte naturel ne s' étend pas à ce qui est absolument impossible aux forces de la nature, c’est vrai ; mais un homme dans l'état de nature corrompue, surtout s’il

j ignore sa faiblesse, peut désirer vivre suivant la droite raison toute sa vie. et en prendre la résolution. Ce désir et cette résolution seront inefficaces ; car sans le secours divin l’homme ne tiendra pas toute sa vie ni très longtemps sur toute la ligne du bien moral. Mais si dans cette première délibération il a fait vraiment ce qui était en lui, c’est une pieuse croyance qu’il sera illuminé et justifié par la grâce de Dieu ; ainsi paraît l’enseigner saint Thomas, I' II’e, q. lxxxix, a. 6. » S’il s’agit de l’illuminer aussitôt par une révélation immédiate, suivie de la justification sans retard, ce n’est en effet qu’une « pieuse croyance » : Dieu est libre de différer, comme l’admet M. dîna et plus tard Suarez. Voir col. 1871 et 1860.

Remarques. — a. — On aura noté que Banez exige, pour la justification, la connaissance de la révélation et qu’il ne saurait se contenter, comme plus tard Ripalda, de la « foi large ». De là cette conclusion qu’il développe très bien dans un autre article : « La connaissance naturelle de Dieu n’a jamais été la foi implicite en un mystère, par exemple en Dieu justificateur et rémunérateur… La foi implicite et la foi explicite, dans le vrai sens de ces expressions, ne diffèrent pas spécifiquement, l’oè/W en est le même, plus ou moins enveloppé. Au contraire, la connaissance naturelle de Dieu est d’un autre ordre que la connaissance surnaturelle de la foi ; celle-ci ne peut donc y être contenue implicitement, pas plus que l’homme dans la graine d’une plante… On objecte : Si l’on sait naturellement que Dieu existe, et qu’il a une providence, on a implicitement, dans l’idée naturelle de son existence, toutes ses perfections nécessaires et éternelles (y compris la Trinité) et dans l’idée de sa providence, tout ce que Dieu a de fait disposé dans le temps pour conduire

1 l’homme à la béatitude, (y compris l’Incarnation, la grâce, la vision béatifique). C’est donc la foi implicite aux mystères eux-mêmes. » Banez répond que, si dès maintenant nous connaissions Dieu sicuti est, I Joan., m, 2, notre connaissance de Dieu embrasserait tout