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1869
1870
INFIDÈLES


avoir développe l’enchaînement de ses trois conclusions, Cano revient à la première, la plus importante de toute ?, pour répondre aux objections des adversaires qu’il avait énoncées dès le début. — La première objection, venue sans doute de quelque thomiste, posait en principe la théorie de l’enfant, ! ' U^, q. Lxxxix, a. 6. Sur ce texte elle raisonnait ainsi : « Il se peut que l’enfant, arrivé à l'âge de raison ignore le Christ et même Dieu, élevé qu’il est chez des barbares sans aucune religion. Pour faire ce qui est en lui, il suffît à celui-là de se tourner vers la fin honnête comprise par la raison naturelle. Mais alors il ne pèche pas mortellement, faisant le bien suivant son âge, et vu l'éducation qu’il a ; et il ne peut rester dans le seul péché originel, comme nous le savons par l’autorité de saint Thomas. Il obtiendra donc la grâce (qui justifie) sans connaissance de Dieu, et par conséquent sans aucune foi au Christ. » Ibid., p. 337. — Réponse de Cano : « Quand on nous oppose en premier lieu l’autorité de saint Thomas, nous soutenons que cette erreur nouvelle (la justification sans la connaissance de Dieu et sans la foi) ne peut ni ne doit lui être attribuée. Car ci> docteur a enseigné le contraire en maint endroit, comme I » U^, q. cxiii, a. 4 ; 11^ 11^, q. X, a. 4, adSum ; la Rom., c. x, lect. 3 ; In Hebr., c. X, lect. 4, et c. xi, lect. 1. — Quant à l’opinion que tient saint Thomas dans la I^ II », q. lxxxix, a. 6, elle est probable. Qu’un adulte, en effet, meure avec le seul péché originel, cela semble heurter un sentiment commun des fidèles, qui admettent des limbes pour les enfants, et non pas pour les adultes. Mais cependant cette opinion du saint docteur n’est pas tellement certaine, qu’il ne soit pas tout naturel (le lui donner le dessous, quand on vous l’apporte contre une vérité certaine et ferme. De plus l’argument, dont saint Thomas se sert pour inviter à (saadere) cette opinion, n’est pas une preuve démonstrative, mais de convenance ; ces preuves de convenance, si l’on y tranche dans le vif, sont souvent trouvées faibles. Aussi saint Thomas lui-même ne prend pas comme sûr cet antécédent : A celui qui fait son possible par les forces naturelles. Dieu donne au même instant la grâce sancti fiante, par laquelle l’homme est justifié. On pourrait avec vraisemblance dire comme Durand, In IV, dist. IV, q.vii, qu’il n’est pas nécessaire que l’enfant soit justifié aussitôt qu’il suit la voix de la raison naturelle ; que c’est bien assez qu’il le soit bientôt après, ou même après un certain délai, au gré de la divine providence ; dans l’intervalle, il pourra parfaitement être instruit des choses surnaturelles, et les tenir par la joi. » Ibid., p. 342. — ^'oilà l’appréciation mesurée et sage de Melchior Cano : plût à Dieu que des thomistes plus récents ne s’en fussent pas écartés, et parfois à l’extrême ! Ils ne mentionnent guère la dissertation de cet auteur que pour lui reprocher ce qu’il dit avant la partie que nous avons soigneusement analysée. Et c’est vrai que dans ces premières pages (333-336) il a une idée blâmable : impressionné surtout par certains textes difficiles de saint Augustin et de saint Thomas, il réclame absolument, pour le salât depuis la promulgation de l’Evangile la foi explicite au Christ, celle qu’ensuite, comme nous l’avons vii, il ne réclame pas pour la justification. C’est ce qui l’a engagé à traiter de la nécessité de la foi explicite au Christ en deux endroits de sa dissertation, ce qui l’allonge inutilement, et en embrouille fâcheusement la marche ; mais surtout, en exigeant de l’homme déjà justifié une nouvelle condition de nécessité de moyen pour être sauvé, il méconnaît cette vérité, que quand un homme est justifié, s’il vient à mourir en cet état, il est sauvé, sans avoir rien eu à ajouter qui fût de vraie et absolue nécessité de moyen. Voir col. 1754. « Melchior Cano, dit le

P. Hugueny, essaie de concilier les deux enseignements de saint Thomas en expliquant comment, depuis la prédication de l'Évangile, l’acte de foi élémentaire en Dieu providence (ou rémunérateur) suffît encore à la justification, quoiqu’il ne suffise plus à assurer l’entrée au ciel et le salut sans un acte de foi exphcite à la sainte Trinité et à l’Incarnation…. Il y aui ait donc des justifiés auxquels la grâce de justification n’apporterait pas tout ce qu’il faut pour le salut, contrairement aux déclarations du concile de Trente, sess. VI, c. XVI, Denzinger-Baunwart, n. 809. Ce n’est point admissible. "Revue thom., t. xiii, p. 513. — Mais cette erreur de Cano n’infirme pas ce qu’il dit de la foi explicite au Christ comme n'étant pas, aujourd’hui même, d’absolue nécessité de moyen pour la justification. Elle n’infirme pas davantage ce que dit Cano de la théorie de l’enfant chez saint Thomas.

e) Barthélémy de Médina († 1581). — A propos de l’article où saint Thomas, brièvement résumé par lui, donne la théorie de l’enfant. Médina commence en ces termes : « Sur cet article s'élèvent de graves et innombrables questions, et la doctrine de cet article a été une occasion d’erreur pour des hommes très savants et très subtils ; en l’expliquant…, ils sont tombés dans des opinions condamnées, par exemple, que l’on pourra obtenir la grâce et la rémission du péché sans la lumière surnaturelle de la foi ; que l’homme peut se disposer à la grâce et aux dons surnaturels sans aucune connaissance de Dieu. » Exposilio in /am //ae^ q. Lxxxix, a. 6, Venise, 1590, p. 470. Sa marche ensuite est un peu confuse, surtout parce qu’ayant, d’après l’usage du temps, commencé par exposer les objections des adversaires de la théorie de saint Thomas, il en adopte au moins deux et ne répondra aux autres qu'à la fin de son long commentaire de l’article. Voici les principales objections : a. — Cette grave obligation de l’enfant arrivant à l'âge de raison n’est mentionnée par aucun théologien, excepté saint Thomas. — Il répondra, p. 473, que « les défenseurs sont peu nombreux et les preuves aussi, mais qu’elles sont sérieuses et graves. » — b. — Ce précepte n’a pas d’argument certain tiré de l'Écriture ou de la tradition. — « C’est vrai, dira-t-il, mais il se prouve par la lumière de la raison naturelle. » — c. — Personne, même des plus timorés ne se confesse de l’avoir transgressé dans son enfance ; et pourtant personne ne se souvient de l’avoir observé. — Réponse : « Les bons chrétiens s’en confessent, quand ils s’accusent en général de leurs péchés douteux ; et Cajétan dit que cela suffît et qu’il ne faut pas se tourmenter de scrupules, n Médina serait un peu plus sévère, mais aujourd’hui on trouverait la réponse de Cajétan bien suffisante. — d. — Personne ne peut savoir avec certitude le moment où il arrive à la raison : donc personne ne sait quand ce précepte oblige ; c’est un signe qu’il n’existe pas. — Réponse : « On peut savoir le moment par conjectures, comme on connaît le temps où pour la première fois le précepte de la confession, ou de la communion, oblige. » — e. — Arrivé à l’usage de la raison, on ne peut alors connaître Dieu avec certitude, il faut trop de temps pour cela ; — f. — pour connaître une loi obligeant en conscience, un préambule nécessaire est de connaître Dieu comme législateur, ce qui demande encore plus de temps ; on ne peut donc savoir, alors, qu’on est tenu de se tourner vers Dieu. — A ces deux objections, Médina concédera tout ; mais, dit-il, cela prouve seulement que la solution de Cajétan pour interpréter cet article de saint Thomas vaut mieux que celle de Capréolus.Voir col.l8(>G. Après sa liste d’objections, il établit deux propositions ou conclusions :

Première proposition. — « Arrivé à l’usage de la raison, on n’est pas tenu de se tourner vers Dieu