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INFIDÈLES


est un état de mort de l’âme ». Nous croyons comme lui cette vérité révélée ; mais nous rejetons la singulière déduction qu’il veut en tirer ; la voici : « Comme un cadavre n’exige pas les principes des mouvements et des actes vitaux de l’ordre naturel, ainsi l’âme en état de péché, de mort, n’a aucun droit aux secours de la grâce, qui sont les principes des mouvements et des actes vitaux de l’ordre surnaturel. » Nous concédons qu’elle n’y a aucun droit par elle-même. « Elle mérite, continue Gonet, d’en être privée en punition du péché précédent ; et si Dieu en agit autrement dans sa miséricorde et donne ces grâces au pécheur, alors dans cet ordre surnaturel c’est une dérogation, præler ordinem, » un miracle ; et il renvoie à saint Thomas, Cont. génies, t. III, c. CLxi, puis conclut : « Si Dieu agit praoter ordinem (miraculeusement) toutes les fois qu’il donne la grâce à un homme en état de péché, où est donc cette loi imaginée par nos adversaires de donner infailliblement la grâce, du moins la grâce suffisante, à l’homme qui fait le bien moral par les forces de la nature ? » Ibid., n. 201, p. 409. Observons, en passant, que nous ne prenons pas les « forces de la nature » .seules et sans aucune grâce, même surnaturelle quoad modum voir col. 1789 ; et recueillons l’autre argument que Gonet donne à cet endroit, et qui complète sa pensée : « Si l’essence du péché mortel consiste à faire tourner le dos à la fin dernière surnaturelle (aversio a Dec, opposée à conversio ad Deum se tourner vers Dieu), ce péché doit a fortiori, autant qu’il est en lui, faire tourner le dos aux motjens par où l’on peut se retourner vers cette fin ; qui n’a pas droit à la fm, a encore moins droit aux moyens, parmi lesquels on compte principalement la grâce. Donc, par le péché mortel, on se met dans la nécessité de manquer de tous les moyens de salut. » Ibid., n. 200. Il ne faudra donc pas s’étonner que beaucoup d’infidèles manquent de tout accès aux moyens intérieurs et surnaturels. — Les Salmanlicenses sont à bon droit sévères pour ce double argument de Gonet : « S’il prouvait quelque chose, disent-ils, il prouverait, contre Gonet lui-même, que les secours surnaturels ne sont donnés à aucun pécheur, même fidèle ; et même, qu’ils ne sont pas offerts à tous, que le Christ n’est pas mort pour tous, ni les sacrements préparés pour tous, puisque d’après lui tout péché mortel s’oppose par un démérite à toute grâce (actuelle, tant extérieure qu’intérieure) et, en détournant de la fin dernière, ddourne l’homme de tous les moyens de salut. Or ces assertions sont si absurdes, que ce n’est pas la peine de s’y attarder. En deux mots, nous concédons que le péché mortel suffirait à mériter le refus de tous ces bienfaits, et même l’anéantissement de la personne… Mais il ne mérite pas cette peine effectivement, parce que Dieu n’a pas décrété ni taxé pour le péché mortel une telle punition ; et cette peine du refus de tous les liienfaits surnaturels, il l’a réservée pour l’autre vie dans la personne des damnés. De même, le péché d’Adam aurait pu sufRrepour que Dieu refusât au genre humain les secours surnaturels même généraux : et toutefois Dieu, même après la chute, veut que tous les hommes soient sauvés, et pour cela a envoyé son Christ, institué les sacrements, ordonné que l’évangile fût prêché à tous. Et cela, non pas que l’homme déchu l’exige, mais grâce à une providence et miséricorde de Dieu qui nous est révélée dans l’Écriture et les Pères… Et bien que ces secours de la grâce, et la justification à laquelle ils conduisent, puissent être appelés extraordinaires, à l’égard d’un pécheur, præter ordinem, tout considéré ce n’est pas un miracle, parce que, supposé la fin surnaturelle et la volonté salvifique universelle, une loi générale de l’ordre surnaturel présent destine ces secours à tous les adultes, comme le dit assez clairement le saint docteur, Sum. theol., 1I « - II « ,

q. cxiii, a. 10. » Salmanlicenses. O. C. Cursus theologicus. De gratia, disp. VI, n. 93, édit. Palmé, 1878, t. IX, p. 778, 779.

2. Du reste, cette controverse entre bannésiens est rendue confuse par le mélange d’une autre question qui aurait dû se traiter séparément. Les deux questions sont proposées ensemble par les Salmanlicenses sous ce titré : « Dieu confère-t-il réellement, effectivement, â tous et à chacun des adultes les secours de la grâce surnaturelle suffisants pour le salut ? » Ibid., n. 58, p. 759. Ils entendent « surnaturelle » quoad substantiam, et constatent que sur la question ainsi posée les thomistes se divisent ; qu’elle est fort difficile, et que les deux réponses opposées, l’affirmative et la négative, ont des preuves sérieuses ; que pour eux, ils préfèrent l’affirmative, avec Médina, O. P., Alvarez, O. P., etc. Ibid., n. 60, 61, p. 700. Ils énumérent comme étant leurs adversaires Bafiez lui-même, Godoy, Gonet, etc. Ibid., n. 90, p. 776. — a) Bafiez, plus ancien et moins développé, nous semble plus modéré que les autres. Sur la question de la volonté antécédente du salut de tous les hommes, dans sa V et sa 2 « conclusion il juge « probable » l’opinion qui y voit une volonté formelle et proprement dite, et en trouve les preuves « assez fortes pour qu’on doive mettre en Dieu cette volonté, sinon formellement, au moins éminemment ; » il regarde cependant comme « bien plus probable » l’opinion qu’il suffit de la mettre en Dieu « éminemment ». Cette expression est modérée ; car eminenter dit plus que metaphorice. Voir Formellement, t. vi, col. 593. La raison qui lui fait préférer la 2 « opinion c’est « l’imperfection intrinsèque » qu’il y a d’après saint Thomas dans cette volonté ou velléité, à savoir « l’inefficacité d’une volonté qui ne peut faire ce qu’elle désire, comme le marchand qui voudrait bien sauver ses marchandises, mais qui les jette à la mer parce qu’il ne peut les sauver en même temps que sa vie. » Du reste, comme il le remarque lui-même, la 1’" opinion entend bien aussi qu’on ne mette pas en Dieu cette imperfection et cette impuissance, ce qui fait peu de différence entre les deux. In 7^"° parlem D. Thomæ, q. xix, a. 6, Venise, 1587, col. 688-691. En terminant le commentaire de cet article, Bafiez cherche la meilleure explication de I Tim., ii, 4, et préfère celle-ci : « Dieu veut et fait, par l’opération du Saint-Esprit, que les justes (y compris saint Paul, et le Christ lui-même) veuillent et désirent le salut de tous les hommes. » Ibid., col. 692. Sur la question plus comphquée des secours de la grâce donnés ou non à tous les adultes, il cherche sans parti pris àj s’orienter dans ce dédale. Parmi les anciens théologiens ou interprêtes de saint Thomas, il ne va pas chercher les plus rigoristes, un Bradwardin, un Grégoire de Rimini, etc. Il cite un thomiste large et libéral envers les pécheurs même endurcis, et les infidèles, Dominique Soto, De natura et gratia, t. I, c. xviii, qui ne pense pas que Dieu punisse un homme de péchés précédents en lui retirant définitivement tout secours, mais le laisse agir selon sa volonté propre, toujours prêt à lui tendre la main, qu’il ne tient qu’à l’homme d’accepter. » Ibid., q. xxiii, a. 3, dub. iii, col. 786. Bafiez plus loin semble approuver Soto, tout en réservant les droits de la prédestination, col. 804 ; mais la prédestination regarde les grâces efficaces, plutôt que des grâces suffisantes dont il est ici question. Il attaque un ancien théologien plutôt rigoriste, Adrien, quand il refuse à tout infidèle le bénéfice de l’ignorance invincil ^le, voir col. 1753, et cite de lui à cepropos une doctrine large : « Si l’infidèle par les forces de la nature, faisait ce qui est en son pouvoir. Dieu l’illuminerait surnaturellement. » Seulement, il blâme, et à bon droit, cet auteur, s’il suppose que la nature seule commence, et qu’à la bonne action naturelle la grâce sur-