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INFIDÈLES


regarder la volonté salvifique de Dieu comme sérieuse pour les adultes, quand par l’obstacle des causes secondes, physiques ou morales, ils sont mis dans l’impossibilité de recevoir la révélation évangéllque que Dieu leur avait préparée, avec la grâce intérieure, pour faire l’acte de foi stricte, fondement pour eux de toute justification. Et Dieu n’est pas tenu davantage de recourir à l’extraordinaire et au miraculeux pour sauver les uns que pour sauver les autres. On ajoute môme que cet âge tendre, ne laissant place à aucun péché personnel et actuel, est moins indigne de la bienveillance divine, suivant la remarque de saint Augustin, que les adultes, qui au péché originel ont ajouté d’autres délits.

Réponse. — Si des adultes étaient traités comme le prétend ici l’opinion adverse, peut-être pourrait-on parler encore d’une « volonté sérieuse » que Dieu aurait de leur salut, tant ces termes gardent quelque chose de vague et d’imprécis ; et le texte de saint Paul pris tout seul pourrait, à la rigueur, s’interpréter ainsi et s’appliquer aux adultes dans le sens où on l’applique aux enfants ; voilà ce qu’on peut concéder à cette opinion. Mais la sainte Écriture ne se suffit pas sans la tradition qui l’explique et la précise. Or comment les Pères, suivis par la doctrine très commune des théologiens, expliquent-ils pour les adultes l’obstacle qui empêche Dieu de réaliser sa promesse conditionnelle de justification et de salut ? Cet obstacle, ce ne sont jamais les seules causes extérieures à l’homme, physiques ou morales : c’est toujours, d’une manière ou d’une autre, la libre faute, la faute sans excuse, de cet homme lui-même, qui se prive des secours de la révélation et de la grâce intérieure, ou bien n’y consent pas.

Les Pères qui soutiennent ce principe, parmi les latins, ce n’est pas seulement l’Ambrosiaster, cité plus haut, col. 1829, avec saint Prosper, ibid. C’est déjà saint Ambroise, en ces termes : « Ce soleil mystique de justice est né pour tous, a souffert pour tous, est ressuscité pour tous…. Si quelqu’un ne croit pas au Christ, il se prive lui-même (ipse se fraudât) d’un bienfait commun à tous ; de même qu’en fermant ses fenêtres on exclut la lumière du soleil, etc. « In ps. cxriil, serm. viii, n. 57, P. L., t. xv, col. 1318. — C’est saint Augustin, qui sur ces mots « Nul ne peut se cacher de sa chaleur », dit : « Quand le "Verbe s’est fait chair, il n’a permis à aucun des mortels de s’excuser s’il reste à l’ombre de la mort ; car la chaleur du Verbe a pénétré cette ombre même. In ps. xviii, n. 7, P. L., t. XXXVI, col. 155. Et non seulement avant la controverse pélagienne (cf. De Gencsi cont. manichœos, t. I, c. iii, P. L., t. xxxiv, col. 176), mais encore depuis, Augustin soutient ce principe. Sans doute, il maintient la priorité de la grâce dans la foi. « La volonté même de croire, on ne peut dire que l’homme l’a en lui sans l’avoir reçue ; car c’est la vocation divine qui la fait surgir du libre arbitre, reçu dans la création. Mais, ajoute-t-il, Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, et viennent à la connaissance de la vérité, sans toutefois leur enlever le libre arbitre, dont ils se serventbien ou mal, ce qui sera l’objet d’un très juste jugement de Dieu. Si les infidèles ne croient pas à son évangile, (à la révélation qui leur est ou donnée, ou offerte, ) c’est contre sa volonté ; et ils ne sont pas alors les vainqueurs de cette volonté divine : mais (7s se privent euxmfimes d’un grand et souverain bien, et s’enchaînent aux peines futures, où ils éprouveront la puissance de celui dont ils auront méprisé les dons et la miséricorde… Quiconque, au contraire, aura cru, et se sera confié à Dieu pour être dégagé par lui de tous ses péchés et guéri de toutes ses mauvaises habitudes, pour être enflammé et illuminé de sa chaleur et de sa lumière, aura par sa grâce les bonnes œuvres qui le conduiront à l’incorruptibilité même du corps, à la couronne, à ces

biens éternels qui satisferont tous nos désirs et dépassent ici-bas notre intelligence. » De spiritu et Utt., n. 58, P. L., t. xuv, col. 238, 239. — Un disciple d’Augustin, l’auteur inconnu des beaux livres De vocatione omnium gentiura, nous dit. : « L’ineiTable bonté de Dieu, comme nous l’avons abondamment prouvé, a eu toujours et a encore un tel soin de Y universalité des hommes, que d’une part ai/f un de ceux qui périssent éternellement ne peut s’excuser en disant que la lumière de la vérité lui a été refusée, et que d’autre part personne n’a le droit de se glorifier de sa justice ; car pour les uns c’est leur propre rnalice qui les plonge dans les peines éternelles, pour les autres c’est la grâce de Dieu qui les conduit à la gloire. » De voc. gent., t. II, c. xxix, P. L., t. Li, col. 715.

Parmi les Pères grecs, qui affirment ce principe si important dans la question des infidèles, citons saint Irénée. Après avoir insisté sur le libre arbitre que Dieu a donné à l’homme, il montre d’autre part l'œuvre de la grâce. C’est Dieu qui façonne sa créature pour « l’immortalité », pour « être mise en participation de sa propre gloire… Puisque tu es l’ouvrage de Dieu, attends la main de l’ouvrier qui fait tout avec opportunité… Si tu lui donnes ce qui est à toi, c’est-àdire la foi en lui et la soumission, tu seras son œuvre parfaite. Mais si tu ne crois pas à sa parole, si tu fuis les mains de l’artiste divin, la cause du mal devra être cherchée en toi, qui n’auras pas obéi, et non en lui, qui t’a donné la vocation, qui vocavil. Il a envoyé inviter tout le monde aux noces ; mais ceux qui n’ont pas obéi à l’appel se sont privés eux-mêmes du festin royal. Ce n’est donc pas l’art de Dieu, qui est en défaut ; il peut des pierres mêmes susciter des fils d’Abraham ; mais celui qui n’obtient pas en soi l’effet de cet art, est lui-même cause de sa misère. La lumière ne s’affaiblit pas parce qu’on s’est aveuglé soi-même. Elle demeure ce qu’elle est ; mais qui s’est aveuglé reste par sa faute établi dans les ténèbres… Dieu, d’ailleurs, a préparé aux uns et aux autres l’habitation qui leur convient : à ceux qui cherchent la lumière de l’incorruptibilité, il donne avec bonté la lumière qu’ils désirent ; à ceux qui la méprisent, ou s’en détournent et la fuient, et pour ainsi dire s’aveuglent eux-mêmes, il a préparé les ténèbres ; aux insoumis, le châtiment qui leur convient. Mais comme en Dieu sont tous les biens, ceux qui par leur propre sentence se détournent de lui, se privent eux-mêmes de tous les biens…, et en conséquence tomberont sous le juste jugement de Dieu. » Cont. hær., t. IV, c. xxxix, n. 2-4, P. G., t. vii, col. 1110, 1111. Irénée rappelle ensuite le jugement dernier, Matth., xxv, où il y a deux sentences seulement : ou le ciel, ou le feu éternel ; nouvelle preuve de ce fait, qu’il entend bien parler de l’universalité des hommes, et des infidèles même négatifs, de tous ceux dont la raison a été suffisamment développée. — Saint Grégoire de Nysse, dans sa Grande catéchèse, où il parle du malaise qui trouble certains esprits en face de l'œuvre du Christ : « Une autre de leurs difficultés, dit-il, vient de ce que la foi n’a pas envahi tous les hommes… Tandis que plusieurs ont adhéré à la parole de Dieu, pourquoi un si grand nombre a-t-il été laissé en arrière, soit que Dieu n’ait pas voulu donner à son bienfait abondance et plénitude, soit qu’il ne l’ait pas pu ? Dans l’un ou l’autre cas, c’est pour lui un défaut.. Si la foi est un bien, pourquoi la grâce de la foi ne descend-elle pas sur tous ? » Grégoire répond : « On aurait quelque raison de faire cette critique au mystère que nous prêchons, si selon nous le plan divin de la distribution de la foi aux hommes était d’en appeler quelques-uns, et de laisser les autres en dehors de tout appel. Mais si la vocation divine fait le même honneur à tous, et n’admet pas de distinction de dignité, d'âge, de nation, ce qui a été symbolisé par la