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INFIDÈLES

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la même justice à connaître et à pratiquer » qustice actuelle). Jbid., n. 94, col. 69C. On peut ajouter que, lorsqu’il parle aux païens eux-mêmes, Justin leur représente la foi comme si nécessaire, que l’enfer attend a ceux qui ne croient pas ce que Dieu a enseigné par le Christ. » Apol., I", n. 19, col. 357. On voit qu’en parlant de la nécessité de la foi, il a en vue la foi stricte, celle qui croit ce que Dieu a enseigné par une révélation surnaturelle comme fut celle du Christ.

2. Objection.

Justin a été cité comme adversaire de la thèse commune des théologiens. Dans un passage célèbre il touche à la question des infidèles négatifs avant la venue du Christ, comme à une difficulté que lui feront quelques païens ; et pour la résoudre, il semble ne faire appel qu’à la foi large, à la raison naturelle qu’avaient ces infidèles. N’est-ce pas dire que la foi stricte n’était pas nécessaire à leur salut ? Voici le texte : « On objectera que les hommes qui ont vécu avant (le Christ) ne sont pas coupables. » Et il répond : « Le Christ est le premier-né de Dieu, son Verbe, auquel tous les hommes participent… Ceux qui ont vécu selon le Verbe sont chrétiens, eussent-ils passé pour athées comme chez les Grecs Socrate, Heraclite et leurs semblables, et chez les barbares Abraham, Ananias, Azarias, Misacl, Élie et tant d’autres dont il serait trop long de citer ici les actions et les noms. Et aussi, ceux qui ont vécu contrairement au Verbe ont été vicieux, ennemis du Christ, meurtriers des disciples du Verbe. Au contraire, ceux qui ont vécu ou qui vivent selon le Verbe sont chrétiens, et intrépides, et sans peur. » Apol., 1% n. 46, P. G., t. vi, col. 397 ; trad. Pautigny, Justin, Apologies, Paris, 1904, p. 95. Cette solution très brève, et par là-même obscure, appelle deux éclaircissements préliminaires.

a) En quel sens est-il dit que tout homme participe au Verbe ou Logos ? — Quand saint Jean, l’inspirateur de Justin, dit du « Verbe », qu’il « éclaire tout homme, « Joa., i, 9, il faut entendre tout d’abord la révélation naturelle, appartenant à l’ordre de la création : le Verbe « par qui tout a été fait », ibid., 3, révèle Dieu à tout homme par le fait qu’il crée en lui la nature raisonnable et la conscience, et qu’il lui donne le spectacle de la création pour éveiller sa raison et pour la conduire par la vue des elîets jusqu’à a première cause. Mais il faut encore entendre ici la révélation surnaturelle et proprement dite donnée aux hommes dès l’origine (révélation primitive), développée ensuite par d’autres révélations, surtout celles de Moïse et des prophètes, enfin portée à son plus haut point par le Verbe fait chair (révélation chrétienne). Saint Jean vise nettement cette révélation surnaturelle et positive, quand il ajoute : « La loi a été donnée par Moïse, la gi’âce et la vérité sont venues par Jésus-Christ. .. Le Fils unique, qui est dans le sein du Père, c’est lui qui a fait connaître Dieu ». Ibid., ! " ?, 18. Ces deux révélations, l’une naturelle, l’autre positive, ne s’excluent pas, mais se complètent ; la seconde présuppose la première ; puisque la foi divine, que la révélation positive tend à obtenir, suppose nécessairement la connaissance naturelle des préambules de la foi, c’est-à-dire la révélation naturelle. Voir Foi, t. vi, col. 176 sq. 183 sq. L’infidèle de bonne foi qui n’a que cette révélation naturelle, est déjà, quoiqu’à un degré inférieur, participant du Verbe ; et ce qu’il possède de lumière morale et religieuse, s’il ne l’éteint pas et s’il y conforme sa vie, l’achemine d’ailleurs vers une révélation plus haute. En ce sens " la semence du Verbe est innée dans tout le genre humain. » Apol., II*, n. 8, trad. franc., p. 165. Et ces deux révélations, vraiment connexes, Justin pouvait d’autant plus facilement les unir et les prendre comme une seule illumination du Verbe, qu’alors on ne connaissait guère les distinctions de nature et de grâce, de naturel et de surnaturel. Sur

la doctrine johannique du Logos, voir Jules Lebrcton, -Les origines du dogme de la Trinité, 4^ édition entièrement refondue, Paris, 1919, p. 450 sq. Cf. p. 496 sq., . 591 sq.

bj En quel sens saint Justin a-t-il pu appeler’chrétiens » d’anciens philosophes, comme Socrate et Heraclite ? — Ce n’est pas au sens strict du mot, puisqu’il oppose clairement ailleurs ces anciens aux chrétiens, et note l’immense infériorité de leur philosophie par rapport à la doctrine révélée. « Ces enseignements, dit-il, que nous avons reçus du Christ et des prophètes ses prédécesseurs, sont seuls vrais, et plus anciens que ceux de vos écrivains. » Apol., l’; n. 23, trad. franc., p. 47. « Notre doctrine, dit-il encore, surpasse toute doctrine humaine, parce que nous avons tout le Verbe dans le Christ qui a paru pour nous, corps, verbe et âme. Tous les principes justes que les philosophes et les législateurs ont découverts et exprimés, ils les. doivent à ce qu’ils ont trouvé et contemplé partiellement du Verbe. C’est pour n’avoir pas connu tout le Verbe, qui est le Christ, qu’ils se sont souvent contredits eux-mêmes. » Apol., II%n. 10, p. 169. Et enfin : « Chacun d’eux a vu du Verbe divin disséminé dans le monde ce qui était en rapport avec sa nature, et a pu exprimer ainsi une vérité partielle ; mais, en se contredisant eux-mêmes dans des points essentiels, ils montrent qu’ils n’ont pas une science supérieure et une connaissance irréfutable… Ces écrivains ont pu voir indistinctement la vérité, grâce à la semence du Verbe qui a été déposée en eux. Mais autre chose est de posséder une semence et une ressemblance propoitionnée à ses facultés, autre chose l’objet même dont la participation et l’imitation procèdent de la grâce qui vient de lui. » Ibid., n. 13, p. 177, 179. Ainsi, dans la doctrine révélée il existe une inerrance absolue, qui vient soit de l’infaillibilité divine, soit de la grâce d’assistance donnée parle Verbe à son organe humain ; au contraire, dans l’enseignement des philosophes il y a des contradictions, des vérités mêlées d’erreurs. Si Justin les nomme « chrétiens », c’est donc dans un sens large, autorisé toutefois par les points de contact que voici avec les véritables chrétiens, a. « Tout ce qu’ils ont enseigné de bon nous appartient, à nous chrétiens. » Ibid., C’est donc en quelque sorte un fragment de christianisme, puisque nous possédons la pleine vérité dont ils ont reproduit quelques traits. — b. Ces philosophes ont été monothéistes, -malgTé les erreurs polythéistes de leur milieu. « Socrate, dit-il, chassa de sa république les mauvais démons et les divinités qui commettaient les crimes racontés par les poètes… ; et il en détournait les hommes et les exhortait à chercher à connaître par la raison le Dieu qu’ils ignoraient. » Apol., H », n. 10, p. 171. Or le monothéisme est une vérité de telle importance, et si réservée au christianisme, surtout dans ces temps-là, qu’elle donnait presque droit au nom de « chrétien ». De là chez nos apologistes du iie siècle, tout occupés à lutter contre le polythéisme gréco-romain, la tendance à prendre, au sens large, le nom de « chrétien » comme synonyme de € monothéiste », mot qui n’était pas alors en usage. Par exemple, Tertullien, observant chez les païens certaines exclamations populaires où la divinité était nommée au singulier et non au pluriel, comme : « Grand Dieu ! Bon Dieu ! Plaise à Dieu… », entendait là le cri de la nature, y voyait le témoignage spontané « d’une âme naturellement chrétienne », c’est-à-dire naturellement monothéiste. Il corrige, pourtant, au début de son livre De testimonio animée, l’excès de son expression qui semble faire sortir le christianisme de la nature humaine : il note que l’âme ne naît pas chrétienne, mais le devient ; alors il prend le nom de " chrétien » au sens propre. Pour les textes, voir A. d’Alès, La théologie de Tertullien, Paris, 1905, p. 1-3, 38-41. Cf.