Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 7.2.djvu/278

Cette page n’a pas encore été corrigée
1805
1806
INFIDÈLES


qui de l’aveu de tous ne puisse jamais ici-bas être objet de science : comme si ces mots Deus est équivalaient, par exemple, à ceux-ci : Deus est unus et triniis. De fait, pour sortir de la difficulté présente, saint Thomas a recours, en passant, à ce genre d’exégèse / ;  ! /y (/)., Il Cl. II. VoivFi I, l. VI. col. 4£9.sq. Il arriverait ainsi à tout concilier, la thèse commune et l’incompatibilité de la science et de la foi. Mais c’est une exégèse forcée de Heb., xi, 6, qui ne sera admise par aucun exégète, et sur laquelle les plus dévoués disciples du grand docteur n’osent s’appuyer.

A ce passage del’Épître aux Hébreux nous aurions pu, avec beaucoup de théologiens, ajouter d’autres textes scripturaires d’une précision suffisante, ceux où saint Paul affirme d’une manière si absolue la nécessité de la foi pour la justification, dans les Épîtres aux Romains et aux Galates. Mais les limites de cet article ne nous permettent pas de développer toutes ces preuves, nous avons préféré insister avec ampleur sur la plus précise, la plus célèbre, et la défendre contre toutes les attaques.

jv. LES PÈRi, S. — On ne doit pas s’attendre à trouver chez eux notre question traitée fréquemment, ni ex prolesso. Sans doute, ils enseignent avec l’Écriture d’une manière générale que la foi est nécessaire au salut. Et cela doit s’entendre de la foi stricte, et au moins du salut de tous ceux qui peuvent connaître la révélation chrétienne. "Voir Foi, col. 109-115, 186, 188, 280, 330, 331. Mais notre question présente va plus loin ; elle examine s’il y aurait une autre disposition providentielle pour le salut des infidèles négatifs, qui les dispenserait de la foi à la révélation à cause de leur ignorance invincible et excusable. Or une telle question ne devait pas souvent se rencontrer sous la plume de nos anciens docteurs. C’est en effet une question de circonstances subjectives. Le Christ a envoyé ses apôtres et son Église prêcher la révélation divine à toutes les nations : voilà qui est objectif et général. Mais voici un homme qui n’a pas même entendu parler du Christ, ni de ses envoyés, et qui ignore invinciblement cette révélation qu’ils prêchent ; l’ignorance invincible, circonstance toute subjective, le dispensera-t-elle de la foi nécessaire en règle générale pour être sauvé ? Les enquêtes de ce genre ne se rencontrent pas ordinairement dans les écrits des Pères. Quand, par exemple, ils proclament objectivement l’obligation pour tout homme d’observer la loi naturelle, ils n’ont pas coutume de discuter les cas d’ignorance invincible par rapport à certains commandements de cette loi, ni d’insister sur les péchés, très graves de leur nature, qui pourraient être ainsi excusés surtout chez les païens ; c’est la remarque de Mausbach dans le Katholik, 1900, n. 11, p. 260. C’est de plus une question subtile, supposant des distinctions multiples entre ni’cessité de précepte et nécessité de moyen, entre nécessité de moyen absolue et nécessité in re vel in volo, entre infidèles positifs et négatifs, etc. Donc il ne faut pas s’attendre à la voir traitée par tant de Pères qui fuient les questions subtiles pour s’en tenir aux dogmes et à la pratique, tels que les Pères apostoliques, et beaucoup d’autres. C’est aussi une question qui ne concerne que des païens : donc on ne la rencontre pas chez des Pères luttant uniquement contre les Itcrésies, ou uniquement occupés à exhorter les fidèles. C’est même une question en dehors du cercle ordinaire des « Pères apologistes >, bien qu’ils s’adressent aux païens. Nous voyons en effet ces Pères travailler seulement à réfuter les calomnies des païens contre les chrétiens, à donner une idée générale de notre religion, avec des motifs de crédibilité, voir Crédibilité, t. iii, col. 2240 sq. ; Foi, t. VI, col. 185 sq., enfin à démolir les fables du polythéisme. Or notre question restait en dehors de tout cela. D’ailleurs elle était délicate pour les païens,

et n’en eût pas été facilement comprise. Il fallait leur prêcher simplement la nécessité de se convertir à la foi chrétienne, sans épiloguer sur le degré et la nature de cette né(cssité, sur la question de savoir si elle pouvait admettre des exceptions, ce qui aurait pu fournir un prétexte à leur indifférence religieuse ; comme l’observe Liese, Der heilsnutwendi(je Gluube, 1902, n. 80, p. 08. Tandis que l’apologie et la prédication, auxquelles se livraient les Pères, se bornent à insister tantôt sur un point tantôt sur un autre, suivant le besoin pratique du moment, seule la théologie a pour mission de considérer tout f ensemble, et de mettre à leur place scientifique toutes les vérités contenues dans le dépôt de la réxélation ru en dérivant, lors même qu’elles apparaissent comme pratiquement peu importantes. A cette dernière espèce de vérités appartient la question présente, et c’est, iourquoi elle a été beaucoup moins traitée par les Pères qu’ensuite par les théologiens. Cf. Mausbach, loc. cit.

Malgré tout, la question s’est posée plus ou moins clairement pour un certain nombre de Pères. Mais on ne peut songer à en tirer un argument certain, pour lequel il faudrait prouver, par des textes assez nombreux et assez représentatifs de toute la catholicité, l’unanimité morale du magistère ordinaire, au moins à une époque donnée des temps patristiques. D’ailleurs les limites nécessaires de cet article nous obligent à nous borner à quelques noms célèbres et des plus anciens, soit pour prouver qu’on a eu tort de les opposer à la thèse commune des théologiens, soit pour montrer que celle-ci n’est pas sans fondement dans l’ancienne tradition. Nous entendrons : 1° saint Justin ; 2° Clément d’Alexandrie ; 3° Origène ; 4° saint Irénée.,

1 » Saint Justin. — 1. Appui qu’il donne à la thèse commune. — Dans son Dialogue avec le juif Tryphon, il pose en principe que Dieu est le Dieu de tous les hommes, qu’il les destine tous au même héritage céleste, et leur demande à tous comme moyen nécessaire pour arriver à cette fm une même justice, laquelle ne consiste pas dans les observances mosaïques, mais, du moins partiellement, dans la foi à la révélation, telle que fut la foi d’Abraham (foi stricte) ; et il faut noter que notre apologiste ne se préoccupe que des adultes et de leur justice actuelle, qui consiste en des actes vertueux. Or des principes aussi universels excluent absolument cette hypollièse qu’une partie des adultes puisse arrivei exceptionnellement au salut par un autre moyen que l’acte de foi stricte : car alors tous n’auraient pas la même justice actuelle..Justin rejette donc ces exceptions, ce qui caractérise la thèse commune. Voici quelques-uns des textes où il pose ces principes. Si l’on prétend que la loi mosaïque est un moyen nécessaire au salut de tous, « il faudra, dit-il, tomber dans l’absurde et admettre, ou bien que Dieu n’est pas le même Dieu que du temps d’Hénoch et de tant d’autres qui n’ont pas eu la circoncision, le sabbat et autres institutions de la loi mosaïque, ou bien qu’il n’a pas toujours demandé à tout le genre humain la même espèce de justice, ce qui est ridicule et insensé. Abraham, lui-même encore incirconcis, a été justifié par la foi avec laquelle il a cru à la parole de Dieu, comme l’affirme l’Écriture. » DiaI. cum Tnjph., n. 23, P. G., t. VI, col. 525. « Les païens qui ont cru au Christ, et qui ont fait pénitence de leurs péchés partageront l’héritage des patriarches des prophètes et des justes nés de Jacob, bien qu’ils n’obsei-vent pas le sabbat ni la circoncision ni les fêles judaïques ; ils entreront tout à fait dans le saint héritage de Dieu. » Ibid., n. 26, col. 532. Les cérémonies judaïques n’ont été instituées que pour préserver les juifs de l’idolâtrie où ils tombaient si facilement : <> autrement il faudra dire que Dieu n’a pas donné à tous les hommes