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INFIDÈLES


s’il n’y a aucune crainte (Jormido, mot qui en théologie signifie le doute) que Dieu n’ait point parlé » p. 80. Ici Estrix, comme on le voit par la manière dont il développe et prouve cette assertion, défend une doctrine probable et bien connue, celle de la suflisance de la certitude respective » qu’ont les simples à l’égard des préambules de l’acte de foi. Voir Foi, col. 219-225. Mais il ne sait pas s’arrêter où se sont arrêtés les tenants de cette doctrine ; et en changeant totalement une circonstance dans son hypothèse, il se jette dans l’inadmissible : « 34^ assertion : Un jugement probable et vrai, sur le fait de la révélation, peut suffire pour que l’acte de foi, qui en dépend, soit surnaturel, même s’il vient à l’esprit une r<Json conlr ire, et un doute sur le fait de la révélation »… Eliamsi… adsit formido, ne Deus non sit locutus, quæ hic et nunc deponi non possit, p. 85. Voici « l’exemple » qu’il donne : « Soit un enfant dont le jugement, comme l’âge, est débile ; les membres de sa famille ont des religions diverses ; il entend chaque jour des discussions religieuses entre son père* catholique, sa mère luthéri nne, un aïeul calviniste et un oncle zwinglien ; compr nant déjà la nécessité d’une religion, et que c’est à lui à l’accepter librement, il délibère comme peut le faire un enfant, et décide enfin en faveur de la religion de son père, en qui il voit plus d’autorité et de sagesse. Dieu lui paraît avoir révélé la religion de son père ; il arrive ainsi à croire sur la parole de Dieu les dogmes catholiques. Refuserons-nous à cet acte de foi d’être surnaturel et de mener au salut ? Non. Dirons-nous qu’en un pareil milieu cet enfant ne doute jamais de la religion catholique ? Non plus. Quoil direz-vous, il serait permis à un catholique d’admettre quelque doute sur sa religion, lorsqu’il a l’obligation de croire de foi divine à la parole de Dieu ? Je déclare moi-même que ce serait une grande faute, s’il avait présentes à sa pensée, ou du moins pouvait facilement se procurer, les raisons qui permettent de combattre ce doute. Cet avantage appartient à la plupart des catho iques qui ne sont pas tout àfait dépoui-vus de jugement et d’instruction, non omnino rudes ; du moins quand il s’agit de croire les mystères proposés explicitement à la foi de tous par PÉijlise, dont la parole est autorisée comme divine par tant de signes et de raisons qui détruisent la probabilité du contraire. Ceux-ci peuvent très facilement arriver (sur le fait de la révélation du mystère, etc.) à cette sécurité d’esprit, qu’on appelle certitude morale Quant aux fidèles sans culture, s’ils vivent dans un milieu catholique, ils n’ont pas coutume d’avoir des doutes, parce qu’ils n’entendent pas ce qui leur en donnerait ; mais parmi ceux qui vivent dans un milieu hérétique, si quelqu’un cherche la vérité avec tout le soin dont il est capable et ne trouve rien de certain, mais cependant croit ce qu’il juge plus probable, comment ne pas admettre qu’il a le droit de douter ? Il serait imprudent, en ne doutant pas. Diatriba Iheol…, p. 85, 86. Pour répondre aux objections contre sa doctrine, Estrix distingue entre la fermeté interne de l’acte intellectuel, celle-ci toujours proportionnée à la force des raisons intellectuelles, et sa fermeté externe, qui est uniquement dans la ferme volonté de croire. Une foi, ’qui admet quelque doute dans l’intelligence, peut, malgré cela, paraître obligatoire, à cause de l’intérêt éternel qui est en jeu ; elle peut, par suite, s’allier à une volonté très ferme de faire son devoir de croyant, jusqu’à mépriser la mort plutôt que de perdre sa foi, du moins tant que tes choses conlinæronl à apparaître à son intelligence comme elles lui apparaissent à présent. Ibid., p. 8C, 87 ; cf. p. 69, 73. Si l’apôtre, écrivant aux Galates (i, 7-9), exige davantage, c’est qu’il était intcllectuettement très certain de ne leur avoir enseigné que ce que Dieu avait dit, et il voyait que la certitude intellectuelle sur le fait

de cette révélation était à leur disposition, car ils en avaient vu tant de signes divins, qu’il leur suffisait d’y rclléchir. Ibid., p.84. De même pour les Pères de l’Église : s’ils supposent que jamais il ne sera permis de cesser de croire, c’est qu’ils considèrent seulement ceux qui ont sur le fait de la révélation une véritable et absolue certitude intellectuelle ; ou bien ces Pères veulent parler de la fermeté inébranlable d’assentiment intellectuel que méritent nos dogmes et leur preuve apologétique, bien qu’elle ne soit pas à la portée de tous à un tel degré, p. 87, 88. Du reste, ajoute Estrix, le doute mêlé à l’assentiment de foi, de la manière que nous avons dit, n’est pas injurieux à l’autorité divine ; car le croyant ne craint pas alors que Dieu se trompe, ou le trompe ; ce qu’il craint, et à bon droit, c’est que Dieu n’ait point parlé. » Ibid., p. 85. Mais cette seconde crainte, dirons-nous, suffit pour priver la foi de cette fermeté souveraine, sans laquelle elle ne peut fonder la justification : il faut donc l’éviter aussi. j*

Nos citations montrent qu’Estrix. non seulement défend l’erreur qui correspond à la proposil ion 21 « condamnée par Innocent XI, mais en même temps, par la liaison nécessaire des idées, ne peut l’expliqi er ni la défendre qu’en s’appuyant sur ses autres erreurs qui correspondent aux propositions 19" et 20’; tout cela se tient étroitement, et c’est une preuve de plus (après ce que nous avons dit de la 19" et de la 20") qu’il est l’auteur de la proposition 21". — Nous avons, du reste, de graves autorités pour la lui attribuer. Havermans, qui a eu tant de part à la condamnation de toute cette liste, dit que la 21" a été tirée de la Diatriba d’Estrix, et qu’elle a été soutenue encore depuis par les frères mineurs d’Anvers dans leurs thèses publiques de 1674. Op. cit., n. 85, p. 99 ; et n. 87, p. 103. Voir plus haut, col. 1793. Duplessis d’Argentré nous apprend que ce qui avait surtout choqué dans la Diatriba et l’avait fait mettre à r Index, c’était l’assertion qu’un jugement mêlé de doute sur le fait de la révélation peut suffire à la foi surnaturelle ; que cette doctrine d’Estrix, déjà auparavant proposée par Ripalda, a fourni la proposition 21’condamnée. Collectio judiciorum, 1736, t. iii, p. 338. Cf. Hurter, Nomenclator lilterarius, 3e édit., Inspruck, 1910, t. iv, col. 330.

A Rome, on regardait donc dès ce moment Ripalda, mort depuis une trentaine d’années, comme l’auteur premier de la doctrine d’Estrix ; et c’est bien le maître qu’Innocent XI a voulu frapperen frappant le disciple, et d’abord en mettant à l’Index la Diatriba en 1674, puis en condamnant, dans son décret de 1679, tout ce groupe de propositions, de la 19" à la 23" inclusivement. D’ailleurs la lecture de Ripalda lui-même, dans son traité de la foi divine, montre clairement sa paternité relativement à ce groupe, et sa parenté avec Estrix, qui souvent le copie ; donnons-en un ou deux exemples, Parmi les catholiques, dit Ripalda^ la seule proposition (du fait de la révélation) par les parents ou les instituteurs sulTit aux simples (rudibus) pour avoir une évidente crédibilité (pour qu’ils jugent sans aucun doute qu’ils peuvent et doivent faire l’acte de foi) : et cela, parce qu’il ne s’offre à eux aucune raison de douter. Il n’en est pas de même dans les pays où l’on a permis à chacun de professer la religion qu’il veut : là, il n’est pas rare de trouver, dans une même maison ou famille, bien des religions diverses. Il peut arriver que le père de famille propose (aux enfants) le catholicisme, la mère le luthéranisme, l’oncle le calvinisme, l’aïeul la secte de Zwingle. Celui qui choisit la religion catholique, il faut croire qu’il fait de vrais et surnaturels actes de foi, méritoires devant Dieu. Voilà une affirmation qui n’a d’autre base que ce qu’il a dit plus haut : « l’acte de foi étant nécessaire à Irus pour le salut, il faut croire que la ^onté divine ne l’a pas rendu