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INFIDÈLES


traire, l’opinion émise par Ripalda n’avait jamais été condamnée, et le soin qu’il avait pris de se garder du pélagianisme et du semi-pélagianisme risquait de lui susciter des adeptes. Ainsi raisonne le P. Martin, O. P., De necessitale credendi et credendorum…, Louvain, 1906, p. 78 ; et il cite pour cette interprétation Steyært (l’un des docteurs de Louvain, qui se sont occupés de faire condamner à Rome ces propositions), Opuscula theologica, Louvain, 1703, 1. 1, p. 15, et p. iii, XIII : et Viva, S. J., Damnalæ thèses, Padoue, 1723, p. 239. Sans doute Viva excuse personnellement Ripalda d’une condamnation, en ce sens qu’il a déclaré « adhérer à la thèse commune », voir col. 1767 ; mais, ce qui est pour nous le principal, Viva fait tomber la condamnation sur « la foi large surnaturelle ». De même Cardenas, S. J. Crisis theologica, 5e édit., Venise, 1700, p. 286, 287. De même la grande majorité des modernes : tels, par exemple, Franzelin, De tradltione, Rome, 1875, Appendix, p. 615, 616 en note ; Chr. Pesch, Præleciiones, 3e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1910, t. viir, n. 439, p. 205, 206.

Plusieurs détails historiques, fournis par nos recherches, nous semblent fortifier beaucoup la réponse affirmative. — a) L’expression même de fides late dicla{ou fides lata), qui figure dans cette proposition condamnée, a été inventée par Ripalda, comme il nous en avertit lui-même, De ente super naturali, t. III, disp. LXIII, n. 30, Paris, 1871, t. ii, p. 201. Elle était donc en quelque sorte inféodée à son opinion et servait naturellement à la désigner. — b) Les œuvres de Ripalda, publiées en 1632, venaient d'être rééditées en 1663, et cette opinion sur la « foi large », qui tient une assez grande place en plusieurs endroits de ses ouvrages pouvait alors attirer certains esprits. — c) De fait, le témoignage de Platel, S. J., enseignant alors à l’université de Douai, nous apprend avant le décret d' Innocent XI « que l’opinion ingénieusement inventée ou du moins savamment développée par Ripalda sur la suffisance de la foi large… était regardée comme probable et très conforme à la bonté de Dieu… par de doctes contemporains dans leurs leçons manuscrites. » Synopsis cursus theologici. Douai, édit. nouvelle de 1706, p. 268. part. III, n. 222, Lui-même pourtant n’y voulait pas souscrire, et donnait ses raisons contre Ripalda, loc. cit., auxquelles il ajoutait plus tard : " un argument convaincant, la condamnation par Innocent XI. » Sijnopsis synopseos, ou table largement détaillée, avec additions et corrections, publiée à la fin de la même édition (sans pagination). — d) Havermans, prémontré, un des docteurs de Louvain qui dénoncèrent à Rome ces propositions laxistes et provoquèrent le décret d’Innocent XI, atteste que cette proposition sur la « foi large » est tirée mot pour mot des thèses que Gilles Estrix, S. J., fit soutenir à Louvain le 30 juin 1670, et qu’elle a été adoptée ensuite par d’autres jésuites et par les frères mineurs des Pays-Bas. Epistolà apologetica ad Innocentium XI, Cologne, 1692, c. iv, n. 81, p. 97 ; et n. 87, p. 103. C'était sans doute dans le sens de Ripalda qu’Estrix entendait cette proposition, soit parce qu’il dépendait beaucoup de ce maître comme nous le verrons tout à l’heure, soit parce que Platel, vivant au môme pays et au même temps, nous y a signalé des partisans de Ripalda parmi les professeurs. — e) Deux ans après ses thèses de Louvain, Estrix publie un livre qui, à une apologie assez remarquable de la religion, de l'Église catholique, de la primauté du pape et de son infaillibilité (même sur la question de fait), joint des assertions théologiques très audacieuses sur l’acte de foi. Diatriba theologica, siue Manuductio ad fidem divinam, etc., Anvers, 1672 ; mis à l’Index en 1671. Dans ce petit livre surchargé de matière, il ne t ouche pas à la question de la nécessité de moyen de la

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

foi, ni par conséquent à sa thèse de Louvain sur la « foi large ». ]Iais, si cet ouvrage ne nous donne pas de renseignement direct sur la proposition que condamnera bientôt Innocent XI sous le n. 23, il défend toute une série d’autres propositions qui avoisineront immédiatement celle-ci dans le décret du pape : prop. 19-21, Denzinger-Bannwart, n. 1169 sq. Cf. Diatriba, 28<= assertion, p. 68 : Assensus fidei nequit esse in se magis firmus quam sint ii assensus, ex quibus dependet… Corollaire, p. 70 : Non potest e/ficere voluntas nostra, ut assensus fidei sit in seipso magis firmus, quam mereatur pondus rationum ad assensum impellentium. Plus loin, p. 83, Estrix tire de toute sa doctrine ce corollaire que le pape condamnera sous une forme plus concise : Accidere potest, ut is. qui credidit assensu fidei supernaturali ac saluiari rem quampiam a Deo revelatam, incipiat deinde prudenter de eadem dubitare. Et il cherche à le prouver ainsi : « Un ignorant a cru surnaturellement, sur le seul témoignage de son curé, que Dieu a révélé le dogme de la Trinité ; il aura raison de commencer à en douter, s’il s’aperçoit que ce curé a coutume de débiter également au peuple (comme articles de foi) des vérités et des erreurs. » — C’est avoir l’air de donner, comme un cas pratique parmi nous, un cas moralement impossible, en quelque sorte, dans l'Église catholique. Voir Foi, t. vi, col. 234. Estrix reprend : « Mon corollaire ne doit pas faire peur. Si un infidèle, de l’avis commun des docteurs, n’est pas obligé de croire dès que les dogmes de notre foi, sur une preuve quelconque (ulcumque), commencent à lui sembler plus probables ; s’il a le droit de prendre son temps pour un examen plus soigné ; pourquoi le fidèle qui a cru, dépendamment d’une preuve que Dieu a parlé, laquelle était seulement probable (en soi), n’aurait-il pas ensuite le droit de cesser de croire, surtout dans le cas où l’opinion contraire à la foi lui paraît plus vraisemblable ? auquel cas je juge impossible qu’il croie, » p. 84. — Cette assimilation du fidèle à l’infidèle pour la liberté d’examen est absolument condamnable. Voir Foi, col. 181, 183, 184. Elle prélude à une erreur d’Hermès, contre la conservation de la foi, condamnée par le concile du Vatican. Voir Denzinger-Bannwart, n. 1793, 1794, 1815. Déjà le concile de Trente avait assez nettement exigé la conservation de la foi jusqu'à la mort. Ibid., n. 800. Voir ci-dessus, col. 1728, et Foi, col. 287-290. Nous avons longuement expliqué ailleurs comment les enfants et les ignorants, formés par l’instruction que donne l'Église catholique, peuvent, malgré leur certitude seulement respective, toujours persévérer raisonnablement dans la foi reçue, grâce à une providence spéciale de Dieu, du moins s’ils ne manquent pas gravement à leur devoir par rapport à la foi. Voir Foi, col. 300-305, 316-329.

Ainsi le livre très rare d’Estrix, récemment connu de nous, donne un précieux complément d’information ; il nous fournit la « pensée de l’auteur », le « contexte » qui nous manquait (ainsi qu'à ceux qui ont écrit sur les propositions condamnées par Innocent XI) dans notre explication des propositions 19 « et 20 « , voir Foi, I. vi, col. 31 1, 312. — De même pour la proposition 21'^, sur le sens de laquelle on a beaucoup discuté. Elle se trouve dans la Diatriba, assez délayée et expliquée pour que le sens condamné devienne manifeste. — L’auteur prépare les voies par cette 33 « assertion : « Un jugement seulement probable (quant à la valeur de ses preuves telles qu’elles sont perçues), et d’ailleurs vrai (par une heureuse rencontre), sur le fait de la révélation, et autres vérités que l’on doit connaître avant la foi, peut suffire pour que l’acte de foi qui en dépend soit surnaturel et utile à la vie éternelle : au moins si (dans ce jugement préalable) aucune raison contraire ne s’offre à l’esprit, et

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