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INFIDÈLES


Jcsus-Christ ; leur volonté est nue et désarmée, sans aucune grâce suffisante. » Voir Alexandre VIII, t. I, col. 753. El la 39 « proposition de Quesnel, que nous venons de citer dans son texte original français, nous dépeint avec une dureté élégante ce lamentable état des infidèles, abandonnés sans aucun secours de la grâce à leur nature qui n’a de lumière que pour s'égarer, d’ardeur que pour se précipiter, de force que pour se blesser i, jusqu'à ce que vienne, ou ne vienne pas, la vocation prochaine à la foi, la grâce prévenante qui en les poussant à l’acte de foi peut seule les tirer de leur état d’infidèles, mais qui n’est donnée qu'à des élus parmi eux.

Nous trouvons du reste l’origine de cette erreur de Quesnel, et son explication authentique, dans le livre fameux qui est à la base de toute sa doctrine, dans YAugustinus de Jansénius. — a. « Il y a, affirme ce maître de Quesnel, des commandements de Dieu qui sont impossibles dans l'état présent de leurs forces aux infidèles, et même ( aux autres)… Et ils ne reçoivent point de grâces qui les rendent possibles… Et la difilculté d’accomplir ces commandements ne vient pas de ce que l’action de les accomplir doive être surnaturelle, ou méritoire, choses qui ne sont jamais venues à la pensée d’Augustin : mais de ce que les forces de la volonté sont infirmes, à cause de la concupiscence qui détourne de vouloir le bien. Augustinus, Rouen, 1643, t. m. De gratta Salvaloris, t. III, c. xiii, p. 138. Quand saint Augustin parle du manque de forces de la nature humaine, il n’est donc jamais question, selon Jansénius, de son impuissance à agir surnaturellemenl. Comment donc l’erreur de Quesnel consisterait-elle à mettre l’acte de foi le premier parmi « les actes surnaturels », ainsi que Desjardins interprète cette erreur ? Non, Quesnel, pas plus que Jansénius, ne se souciait de ce que la théologie appelle par excellence les « actes surnaturels », ni d’assigner à la foi stricte, dont ils parlaient, son rang dans la série de ces actes. — b. Aussi Jansénius, visant un autre ennemi plus dangereux, dit-il dans le titre même de son chapitre précédent : Les infidèles n’ont point de grâce suffisante d’ordre naturel. > Ibid., p. 133. — c. Et au c. xi, où il aborde la question des infidèles et ce qu’en ont dit les théologiens, il écarte d’abord « quelques scolastiques » qui ont supposé chez les infidèles dans tout le courant de leur vie (au moins de temps à autre) une grâce qui suffise à obtenir actuellement la justification, clef du salut. « Un tel secours, dit Jansénius avec raison, supposerait qu’alors ils peuvent croire ; mais personne ne le peut si on ne lui a proposé ce qu’il faut croire, ni sans quelque excitation surnaturelle de la volonté » (il entend « surnaturelle en un sens vague et général). « Or, il est téméraire de supposer chez tous les infidèles un tel genre de secours… Aussi l’on admet facilement en thiologie que le secours suffisant pour le salut n’est pas toujours actuellement à leur disposition, semper prassto in actu, mais seulement en leur puissance ou prochaine ou éloignée. Ils reçoivent au moins le pouvoir de ne pas mettre obstacle, par leurs péchés, à la vocation divine* s’ils en usaient, sans aucun doute ils recevraient cette vocation ultérieure mais s’ils pèchent, ils se rendent incapables d’une grâce plus sublime. Car un tel secours pour éviter le péché, presque tous (les théologiens) sont d’accord pour le reconnaître chez les infidèles eux-mêmes : sans cela (pensent-ils) le péché ne saurait leur être imputé ». Puis Jansénius mentionne sommairement les diverses explications que les auteurs donnent d’un tel secours, avec références marginales à Vasquez, à Suarez, à Bellarmin. Nous avons déjà traduit plus haut ce passage où l’on voit dans Jansénius une négation radicale de tout secours chez les infidèles ; d’où il conclut leur impossibilité absolue d'éviter le péché dans un seul

de leurs actes, résumant le tout dans ces quatre mots : Fides est prima gratia. Voir col. 1 733. Et voilà l’origine évidente de la 27 « proposition de Quesnel dont il s’agit maintenant, et son vrai sens. Ajoutons une conclusion que Jansénius tire vers la fin du chapitre : « Donc les infidèles, avant de recevoir la foi, n’ont absolument aucune grâce suffisante…. par laquelle ils puissent bien vivre, ou observer la loi naturelle, ou éviter les péchés. Car d’après les principes d’Augustin, la foi est la première grâce. » Ibid., p 132.

Quant à saint Augustin, après tout ce que nous avons cité de lui, nous ne voyons qu’un moyen de concilier ses apparentes contradictions sur les infidèles et de répondre victorieusement à Jansénius et à Quesnel, en deux points. — l" point. — Si vous prenez l’infidèle avant l’acte de foi stricte, ou plutôt, avant les éléments dont cet acte exige nécessairement d'être précédé, grâce extérieure de la révélation (suffisamment proposée), secours intérieur de la grâce excitante, etc., alors les œuvres de l’infidèle, quelle que soit leur bonté morale, ne conduisent pas au but, c’est-à-dire à la justification, qui mène au salut ; elles ne sont qu' œuvres de la nature, et par suite ne sont point salutaires. Voir 2 « objection, col. 1783. Ainsi la foi est le premier acte salutaire, ou, comme parle le concile de Trente, la première disposition à la justification, l’initium salutis, le fundamentum justificationis : par suite elle est le premier des actes « intrinsèquement » surnaturels, surnaturels dans leur essence même, dans leur entité subjective, quoad substantiam (actus) ; genre de surnaturalité reconnu dans certains actes par la grande majorité des théologiens, bien qu’Augustin n’entre pas encore dans la distinction nette des genres de surnaturalité, réservée au développement théologique ; mais, quand Augustin simplement se tait, Jansénius a tort de nier. — 2^ point. — D’autre part, avant la foi et ses présupposés, le docteur de la grâce n’exclut pas ur) genre inférieur de secours divin qui fait éviter le péché en empêchant de le commettre. Au contraire, nous voyons qu’Augustin admet un tel genre de secours, dont souvent le bénéficiaire ne s’aperçoit pas. Il apostrophe en ces termes celui qui se vante de n’avoir pas fait de grands péchés avant sa conversion à la foi : « Tu n’as pas été adultère dans ta vie passée si pleine d’ignorance, quand tu n’itais pas encore illuminé (baptisé), quand tu discernais si peu le bien du mal, quand tu ne croyais pas encore en Dieu (tout cela désigne clairement l'étal d’infidélité) : mais c’est Lui qui dirigeait ta vie à ton insu. Écoute ce que dit ton Dieu : C’est moi qui te dirigeais, te conservais pour moi. Si tu n’as point commis d’adultère, c’est qu’il t’a manqué une invitation criminelle : qui l’a fait manquer ? c’est moi. Ou bien, le temps, le lieu t’a manqué : c’est grâce à moi (la Providence dispose à son gré les circonstances de temps, de lieu, etc.). Peut-être l’invitation, le lieu et le temps n’ont pas manqué : mais alors je t’ai effrayé pour t’empêcher de consentir. Reconnais donc la grâce du protecteur à qui tu dois de n’avoir point péché. La gratitude, que me doit celui à qui j’ai pardonné sous tes yeux de grands crimes, tu me la dois aussi pour t' avoir empêché d’en commettre. « Ser/rj., xcix, n. 6, P. L., t. xxxviii, col. 598. Voir Augustin, 1. 1, col. 2392 Cette espèce de secours, bel exemple des faveurs spéciales de la Providence, rentre dans l’ensemble de grâces défendues par Augustin contre les pélagiens et semi-pélagiens, tous très hostiles à toute faveur de Dieu faite à l’un plutôt qu'à l’autre. Voir solution pélagienne, col. 1740.

Une autre espèce de secours, inférieur à la grâce qui engendre des actes intrinsèquement surnaturels, vise à faire produire à l’infidèle un acte moralement bon, purement naturel en lui-même, mais ayant dans son origine une sorte de surnaturafité. Quand Julien exalte les actes

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