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INFIDÈLES

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tenir le naturalisme dont on l’accuse. Nous ne sommes pas du reste oblif^jés de dissiper toutes les obscurités d’un auteur par une explication directe de sa pensée, ni surtout par une explication certaine. Le P. Pesch suggère une mise au point, assez plausible, des affirmations du c. xx les plus en désaccord avec le c. xxi : ce ne sont pas des affirmations catégoriques, inconditionnées ; elles sont conditionnées par « l’hypothèse impossible de l’ignorance invincible de Dieu, dans laquelle Véga se place, » et qu’il sait impossible dans l’ordre actuel de providence. Pra.'lcclioncs, t. xiii, n. 438 (de la 3e édition), p. 240. Cette explication s’appuie sur le texte même de l’auteur espagnol, qu’il nous faut parcourir. Au début du c. xx, il se pose cette difficullé : « Si l’on peut être justifié et sauvé sans la foi explicite au Clu’ist, on peut l'être aussi sans la foi explicite à un article quelconque, voire avec l’ignorance de Dieu lui-même (pourvu qu’elle soit) invincible. Car il y aura même raison pour l’un et pour l’autre, s’il y a une même ignorance ; et la foi en Jésus-Christ n’est pas moins nécessaire à tous maintenant pour la justification, que la foi en Dieu. » Véga, après ce qu’il a dit, au c. xv, ne devrait pas trouver cette objection si « pressante » ; il en a déjà démoli la base. La foi au Christ doit être absolument en tous, mais d’une façon ou d’une autre, expUcitement ou implicitement ; et si elle peut ne pas être explicitée chez certains (comme il l’a montré par de bonnes raisons), c’est parce qu’elle est renfermée implicitement dans leur foi explicite en Dieu. Celle-ci doit donc se trouver en tous explicitement, pour que la foi du Christ soit en tous, au moins d’une certaine façon ; il n’y a don : pas la même espèce de nécessité dans l’une et dans l’autre ; la foi explicite au Christ est moins nécessaire que celle en Dieu, et il faut nier cette prétendue parité qui sert de base à l’objection. Mais Véga tient à dire que si l’on supposait en quelqu’un l’ignorance de Dieu, sans faute de sa part, et en même temps l’observation de ce qu’il connaît de la loi naturelle avec le repentir de ses fautes passées en tant qu’opposées à la droite raison, dans cette double hypothèse la grande miséricorde de Dieu ne pourrait repousser celui qui ferait son possible, ne pourrait le laisser mourir ainsi sans le justifier, ne pourrait le condamner après sa mort. Véga ne dit pas qu’il y ait des gens réunissant toutes ces conditions ; il dit : « S’il y en avait, si qui taies essent ; » et au c. XXI il s’appliquera à montrer qu’il n’y en a pas. Sur cette question, voir Ignorance, t. vii, col. 735, 2°, et 736.

On peut dire aussi de cet esprit chercheur, qu’au c. XX, où il touche à la question plus difllcile de l’ignorance du vrai Dieu, il entrevoit bien des cas possibles, et plusieurs solutions du problème des infidèles, et que dans l’embarras d’en choisir une avec assurance et de tout traiter au long, il se contente de jeter des idées, un peu pêle-mêle, qui peuvent suggérer diverses solutions, différentes toutefois de la solution naturaliste et hétérodoxe. Ainsi il entrevoit dans l’infidèle trois cas possibles : « ignorer Dieu complètement ; avoir une certaine opinion de son existence ; en avoir l'évidence par la lumière naturelle i, mais non par la foi divine. Ce qui nous intéresse, ce sont quelques remarques utiles à nous diriger vers une bonne solution. « Dieu est plus porté à la miséricorde qu'à la punition » et tient compte de ceux « qui font leur possible », sans mulliplier cependant les « miracles > outre mesure. Il faut bien du temps, dit-il, pour qu’ils puissent arriver à la foi d’un seul Dieu, ces infidèles qui habitent des terres fort éloignées de qui peut les instruire. A ceux qui font leur possible, direz-vous peut-être. Dieu accordera aussitôt la foi, et les illuminera contre l’erreur ou l’ignorance des choses néces saires au salut. Mais comment le savez-vous, quand saint Paul affirme la nécessité du prédicateur ?… D’ailleurs nous ne cherchons pas ce que Dieu fera miraculeusement, mais (avant tout) ce qu’il fera suivant la loi commune établie par lui. Il ne peut avoir étal>li pour la plupart des hommes, qu’ils ne puissent être justifiés sans un miracle (pour chacun d’eux) ; ce serait contraire à sa très douce providence (qui aime à faire agir les causes secondes)…, contraire à ce que demande la vie d'épreuve sur la terre c (où le surnaturel se cache pour laisser à la foi plus de mérite). Vers la fin du chapitre il jette une autre idée, que Ripalda saura recueillir et mettre en œuvre de manière à éviter une solution purement naturaliste. « Dans les autres commandements de Dieu, dit Véga, on ne trouve pas une telle rigueur. Si l’acte commandé n’est pas possible, c’est assez d’en avoir le vœu, même implicite. Pour n’avoir pas accompli cet acte, on ne sera pas privé de la grâce ou de la vie éternelle, pourvu que l’on soit prêt à le faire (si l’on pouvait), et à observer aussi les autres (graves) préceptes que l’on connaîtra. Nous avons montré que ce vceu ou désir suffit à la place du baptême, quand il y a impossibilité de le recevoir. De même pour le sacrement de pénitence… Pourquoi le seul précepte de croire sera-t-il jilus rigoureux que les autres ? Pourquoi l’interpréter plus durement ? » Nous répondrons ailleurs à ces interrogations ; mais enfin quelques théologiens catholiques ont admis cette opinion depuis ; elle n’est pas clairement condamnée, et on ne peut la confondre avec le naturalisme. On remarquera que Véga ne parle jamais, pour l’acte de foi, que d’une nécessité de précepte ; ce n’est que plus tard que les théologiens ont approfondi le concept de la nécessité de moyen ; il y avait des progrès à accomplir en fait de précision théologique.

Au début du c. XXI, il rappelle qu’il vient de parler d’une pure hypothèse ou plutôt d’un ensemble de pures hypothèses, et il montre, encore que trop sommairement et imparfaitement, les raisons qui en rendent la réalisation impossible, du moins dans l’ordre actuel de providence : « Observer la loi naturelle, se repentir de l’avoir transgressée par le péché ; et en même temps ignorer invinciblement le seul maître du monde, le législateur, avec son gouvernement (providentiel), voilà qui ne se peut guère. » Et même pas du toutl Sans un « législateur », pas de loi » ; sans Dieu ou sans connaissance de Dieu, pas d’obligation proprement dite, et donc pas de morale solide ; pas de " péché » au sens propre et théologique, c’est-à-dire d’offense de Dieu : on n’offense pas celui que l’on ignore d’une ignorance invincible et innocente. Conséquemment pas de « justification » véritable et menant au ciel : la justification, concept théologique, est essentiellement une rémission des « péchés » et une réconciliation avec Dieu, connu par l’adulte. Qu’un homme, ignorant Dieu invinciblement, se repente de fautes passées « en tant qu’opposées à la droite raison », cela ne lui donne ni disposition ni droit à la « justification » ; il faudrait se repentir de « péchés » proprement dits, et se repentir à cause de Dieu offensé. Du reste, il ne peut y avoir non plus de « condamnation » à l’enfer : une telle sentence postule une offense de Dieu, et une grave offense. S’il pouvait arriver qu’on se tournât vers un désordre réprouvé par la droite raison, sans aucune aversion à l'égard de Dieu, sans savoir même que l’on offense Dieu, il n’y aurait pas là péché mortel. S. Thomas, Sam. theol., II » lias, q. XX, a. 3. Ainsi l’ensemble des hypothèses susdites porte en soi une multi]) ! corflradiction ; et il n’y a pas à s’en préoccuper davantage. « Bien qu’on puisse, par la lumière naturelle de la raison, dit ensuite Véga. arrivera connaître sur Dieu ce que j’ai dH (un seul Dieu, législateur de la loi.