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INFIDÈLES


pas absolument nécessaire. Un grand nombre de théologiens anciens étaient avec lui, pour les temps qui ont précédé la promulgation de l'Évangile faite par les apôtres dans le monde. Mais pour les temps qui l’ont suiuie, plusieurs d’entre eux e.Kcluaient du salut, sans exception, tous ceux qui ont ignoré le Christ, sous prétexte que dans tous cette ignorance était coupable. Contre ces rigoristes, Véga commente un bel article de la Somme, où saint Thomas reconnaît, d’une manière générale et sans distinction de temps, qu’il y a des infidèles purement négatifs, « qui n’ont rien entendu dire de la foi (chrétienne)… Pour ceux-lî » vaut le principe : Personne n’est coupable de ce qu’il ne peut éviter, tout péché étant volontaire ; et ce mot de saint Paul : « Comment croiraient-ils en celui dont » ils n’ont jamais entendu parler'? Et comment enten « draicnt-ils parler de lui, sans quelqu’un qui le leur « prêche ? » Rom., x, 14. Et saint Thomas conclut que leur manque de foi n’est pas coupable ; ils peuvent être condamnés pour d’autres péchés (contre la loi naturelle), mais non pour un péché contre la foi au Christ, comme lui-même l’a dit des juifs s’il n'était pas venu leur prêcher, Joa., xv, 22. Sum. theoL, II » lias, q. X, a. 1. Mais, disaient ces rigoristes, les prédicateurs n’ont pas manqué : les apôtres ont promulgué l'Évangile en tout pays. Véga leur oppose les faits. « Prenons, dit-il, ces peuples des Indes occidentales, découvertes de notre temps par l’industrie de nos Espagnols. On n’y trouve pas de vestige suffisant d’une prédication de l'Évangile dans ces régions. D’ailleurs, que des prédicateurs y soient autrefois venus, ou non, cela ne doit pas changer notre jugement sur ces peuples. Quand on les a découverts, tous ignoraient le Christ comme si on ne l’eût jamais prêché dans leur pays. N’est-ce pas là une ignorance inévitable, invincible ?… Ce manque de foi au Christ n’est pas coupable en eux, quand même ce serait à cause de leurs graves péchés que Dieu se serait abstenu de leur donner la pluie bienfaisante de la doctrine évangélique. » Car ils n’ont pu voir, en commettant ces péchés, qu’ils risquaient par là de n’avoir pas la foi au Christ. D’une conséquence qu’ils n’ont pas prévue, on ne peut pas les rendre responsables, comme le faisaient d’anciens théologiens que Véga réfute ici. Pour l’un d’eux (Adrien), l’ignorance n'était invincible et excusable que dans ceux qui se conduisaient bien, jamais dans les pécheurs ; ceux-ci, en péchant, devenaient responsables de ce que la prédication de l'Évangile n’arrivait pas jusqu'à eux, et rendaient ainsi coupable leur ignorance du Christ. D’autres (Gerson, etc.) semblaient ne pas admettre d’ignorance invincible pour les préceptes de droit divin, comme celui de la foi. D’autres (Guillaume d’Auxerre, etc.) disaient que Dieu ne permettra jamais que quelqu’un se trompe sur une vérité de foi quelle qu’elle soit, sans sa faute, et arrivaient ainsi à en faire une ignorance ou une erreur coupable. ' Mais, dit Véga, Dieu n’a jamais promis, même au juste, un tel privilège » (d’assistance contre toute erreur contre la foi, s’il n’y met un obstacle coupable). C. XVIII. Sur cette opinion de Guillaume d’Auxerre, voir Foi, t. vi, col. 235. Ces anciens théologiens, avec leurs idées exagérées sur l’ignorance coupable des infidèles étaient, toute proportion gardée, les ancêtres de Baius et des jansénistes sur la même question. Voir notre S" principe, col. 1729. Véga ajoute contre eux ce raisonnement. « Si dans l'ÉgUse primitive, où le précepte divin de la foi au Christ était déjà en vigueuf, et partiellement divulgué, la foi explicite au Christ n'était pas absolument nécessaire à tous, avant la prédication des apôtres aux nations (comme ces théologiens le concédaient), pourquoi n’en serait-il pas de même après ? Même foi, même Évangile, même

loi, avant et après. La promulgation de l'Évangile n’a pas rendu la loi divine plus dure, ni la justification plus difficile. Cette promulgation, sans doute, a diminué le nombre de ceux qui ignoraient invinciblement le Christ, et aggravé le péché de ceux qui l’ont rejeté (de mauvaise foi) : elle n’a pu exclure de la grâce de Dieu, ni de la béatitude ceux qui ont continué à l’ignorer avec la même bonne foi qu’auparavant. » C. XIX. Véga relève enfin des théologiens qui, de son temps, reconnaissaient des infidèles dispensés de la foi explicite du Christ à cause de leur ignorance invincible, et pouvant ainsi être justifiés, mais non pas sauvés. Il s'étonne d’une telle position. « Elle ne peut s’autoriser ni de l'Écriture, ni de l'Église, ni même d’aucun docteur ancien, que je sache. Ces infidèles, une fois justifiés, ne peuvent-ils mourir comme tout le monde, et s’ils meurent en état de grâce, ne seront-ils pas sauvés ? Non, répondent-ils dans leurs écoles ; quiconque a été justifié sans la foi explicite du Christ, une loi veut qu’il ne puisse mourir avant qu’il lui soit arrivé de deux choses l’une : ou de retomber par une faute grave dans l'état de péché (et de se perdre), ou de parvenir à la foi explicite du Christ (par une infaillible assistance de Dieu, et de là au salut éternel). Mais de grâce, réplique Véga, où est cette loi ? Où Dieu l’a-t-il consignée ? Par quelle preuve montrerons-nous qu’elle n’est pas le produit de notre cervelle ?… Il n’est certes pas vraisemblable qu’il faille plus de formalités à un juste pour entrer dans la béatitude, qu'à un pécheur pour obtenir le pardon de ses crimes. » Ibid. Tout juste est héritier du ciel, ses bonnes œuvres le méritent et il l’aura s’il meurt en étal de grâce. Concile de Trente, sess. vi, can. 32, Denzinger-Bannwart, n. 842,

Jusqu’ici Véga a soutenu ou des principes certains, ou des opinions théologiques permises, par exemple, quand il réclame comme nécessaire à la justification la foi au Christ, mais avec cette atténuation, qu’elle soit explicite s’il se peut, implicite dans le cas fréquent d’ignorance invincible du Christ. « Ceux-là, ajoute-t-il, sont censés l’avoir implicitement (c’est-à-dire en atteignant confusément son objet), qui croient que Dieu est véridique dans toutes ses paroles et promesses, et qu’il offre avec bonté tout ce qui est nécessaire au salut. ')) C. XV. En effet, ces choses « nécessaires au salut » indiquent confusément le Christ, puisqu’elles se résument dans le Verbe incarné et rédempteur, et dans l’application de ses mérites à l'âme. « Et ils sont sauvés par les mérites du Christ, ceux mêmes qui sont sauvés sans la foi explicite du Christ ; ils sont justifiés par lui, ceux qui sont justifiés sans elle. » C. xix. Ainsi la foi en Jésus Christ est renfermée dans la foi explicite en un Dieu véridique et bon, voulant nous sauver et nous promettant le nécessaire pour cela, cf. Heb., XI, 6. Ce qui ramène le difficile problème à la question suivante.

Foi explicite en un Dieu rémunérateur : est-elle absolument nécessaire à la justification ? A cette question répondent les c. xx et xxi. Le c. xx a fait accuser Véga de naturalisme, comme s’il voulait sauver beaucoup d’hommes par la seule raison laissée à son évolution naturelle. Le passage est obscur ; mais, sans défendre tout ce qu’il avance, nous croyons injuste cette accusation, et nous donnons de notre dire, d’abord et surtout, une preuve indirecte. On ne peut admettre qu’un logicien si exercé se contredise d’une manière criante, et sur le point principal en question, en deux chapitres consécutifs. Or au c. xxi, où il donne son jugement final, il soutient clairement la nécessité absolue, pour la justification, de l’acte explicite de foi proprement dite en un vrai Dieu, comme l’entend saint Paul, Heb., xi, 6 ; il dit même que le concile de Trente a défini cette nécessité. Donc au c. xx il ne peut sou-