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INFIDÈLES

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-que « plusieurs, avant l’incarnation, ont été sauvés sans la foi à un rédempteur futur » Introd. ad Iheol., t. II, n. 5, G, col. 1056. Son blâme, en soi, est trop sévère, car de nombreux et graves théologiens, venus depuis, regardent cette vérité de foi comme n’ayant pas été nécessaire au salut avant l’incarnation, bien que toujours crue par des âmes d’élite, et sans préjudice de la question de sa nécessité après l’incarnation et la rédemption. D’ailleurs nous n’avons pas maintenant à examiner quelles sont les vérités indispensables au salut, mais seulement, si l’acte de foi à quelque vérité révélée (encore indéterminée) est indispensable. Sur cette question qui est la nôtre, le blâme infligé à ce professeur montre qu’Abélard exigeait comme nécessaire au salut des infidèles, même philosophes, la foi à des mystères tels que l’incarnation et la rédemption, à des mystères que les anciens philosophes auraient connus par révélation surnaturelle, puiscjue la révélation faite aux sibylles, à laquelle il a recours, était universellement regardée comme surnaturelle. « Ses explications des dogmes, sont, il est vrai, trop souvent empreintes de rationalisme ; mais il a été et a voulu’être un croyant sincère. D’avance il s’est toujours soumis au jugement de l’Église… Après la décision de Rome, sa soumission a édifié Pierre le Vénérable. » Abélard, t. i, col. 41.

b. Renaissance. — Les humanistes furent entraînés encore plus loin qu’Abélard dans le culte des philosophes et des littérateurs païens. Sans parler de ceux qui renièrent le christ ianisme, d’autres élargirent leurs idées religieuses jusqu’à nier la nécessité de la révélation et de la foi pour le salut. Nous avons déjà nommé l’un des plus anciens, Marzio Galeotti, au xve siècle. Voir col. 1737.

Au xrie siècle, un des plus célèbres humanistes qui en marquèrent les débuts, Louis Vives, dans un ouvrage latin qui lui valut la faveur d’Henri VIII d’Angleterre (1522), a un passage où il semble bien sauver les infidèles par la raison naturelle. Citons la vieille traduction : « Ceux des gentils qui suivaient nature pour leur guide, laquelle n’était pas souillée et corrompue par mauvais jugements et opinions, ont pu être aussi agréables à Dieu comme ceux qui ont gardé la loi mosaïque… Le même adviendra aussi en notre temps à celui, lequel n’ayant rien ouï dire de , )ésus-Christ, étant né aux terres de l’Océan les plus éloignées, aura gardé les deux plus grands commandements, auxquels la Vérité même a affirmé que la Loi consiste et les prophètes, c’est d’aimer Dieu et son prochain… Tant et de si grande im]iortance est d’avoir voulu être bon, bien que tu n’aies personne qui t’enseigne la vertu. Et à telle sorte d’homme que défaut-il sinon de l’eau ? » La cité de Dieu (de S. Augustin )… illustrée des commentaires de J. Loijs Vives, le tout fait français par G. t^ervet, chanoine de Reims, 2e édit., Paris, 1579, t. XVIII, c. xlvii, p. 214, 215. Cette idée de Vives fut connue des protestants, rejetée par la plupart, acceptée de quelques-uns. Curioni, humaniste italien passé à la Réforme, émit des idées semblables dans ses dialogues De amplitudine regni Dei. Déféré au sénat de Bâle, il se défendit par une apologie où est cité le passage « de Vives. Amœniiates lilterarise, Francfort, 1730, t. xii, p. 611. ►" Peu après la publication de ces commentaires de Vives, Zwingle, sous l’influence des humanistes, fit scandale parmi les protestants en ouvrant le ciel à une foule de païens fameux. Voir col. 1732. Après sa mort, ses disciples, ne voulant pas compromettre la nécessité de la foi, admise généralement par les protestants eux-mêmes, cherchèrent plutôt à y ramener la pensée du maître, en disant qu’il n’avait pas prétendu sauver ces grands hommes sans la foi, et qu’il leur supposait une révélation surnaturelle. Dieu n’a-t-il

pas, de l’aveu de tous, parlé à plusieurs païens par une révélation semblable, extérieure ou intérieure ? Les luthériens, au contraire, accusaient Zwingle, et pensaient que son extraordinaire bienveillance pour les infidèles dérivait d’un faux principe opposé à la nécessité de la foi, ce qui est assez vraisemblable, et c’est aussi l’idée qui a prévalu parmi les catholiques à son sujet. Voir Capéran, op. cit., p. 244-247.

c. Théologiens catholiques du JF/^sîècZc. — Dominique Solo, dominicain, a incliné en un temps vers l’opinion de ces quelques inconnus de l’ancienne scolastique, qu’il mentionne lui aussi sans les nommer. Il admettait, et non sans hésitation, comme plus probable, que pour la période appelée avec une certaine équivoque le temps de « la loi de nature », celle qui va du péché d’Adam à la loi mosaïque ou « loi écrite », la foi n’aurait pas été nécessaire au salut, mais qu’il aurait suffi, du côté de V intelligence, d’une connaissance purement rationnelle et naturelle de Dieu et de la rémunération future, bien qu’il fallût la grâce surnaturelle du côté de la volonté, pour faire les actes de contrition, etc., nécessaires à la justification. Dénatura et gratia, Venise, 1547, t. II, c. XI, p. 139 sq. Il ne s’agissait donc, chez Soto, que d’une période bien éloignée dans la nuit du passé : cependant une brèche était faite à la doctrine de la nécessité de la foi. Mais deux ans plus tard, il changeait d’avis « après de plus mûres réfle.xions », disait-il, op. cit., Paris, 1549, p. 143. Les excellentes raisons qu’il donna en faveur de cette rétractation, c’est qu’il serait dangereux d’attribuer à la connaissance naturelle tant d’influence en matière surnaturelle ; que les Pères n’ont pas seulement soutenu la gratuité et la surnaturalité de la justification en général ; mais encore affirmé que Vinitium fidei vient lui-même de la grâce ; enfin, qu’Augustin n’admettait, pour tous les temps depuis l’origine du monde, qu’une seule et même foi, la foi surnaturelle. Op. cit., édition de Salamanque revue et corrigée par l’auteur, 1561, p. 126. Cf. Capéran, op. cit., p. 256.

Un autre célèbre théologien du concile de Trente, le franciscain André Véga, souvent accusé d’avoir, pour le salut des infidèles, substitué la lumière de la raison naturelle à celle de la révélation et de la foi, a été mal compris. Il y prête, sans doute, par la façon oratoire que l’humanisme avait introduite jusqu’en théologie, surtout par l’abondance d’idées qui se pressent, et dont plusieurs, trop brièvement exprimées semblent contredire le reste ; de sorte qu’on le juge trop sévèrement, si l’on s’arrête à un passage sans tenir compte de l’ensemble. Parcourons donc les chapitres où il commente ce que le concile dit de l’acte de foi comme disposition nécessaire à la justification de l’infidèle : ils en valent la peine. Un bon juge, le B. Pierre Canisius, fit imprimer en Allemagne, après la mort de Véga, une édition plus soignée et plus lisible de ses œuvres, où il déclare ne pas connaître de meilleur commentaire de la session capitale du concile de Trente, De justificatione, ni de meilleur antidote contre les erreurs de Luther et de Calvin. Non seulement Véga avait pris part à cette discussion, mais encore, au témoignage de Canisius, « il joignait à une magistrale science uneégale sainteté, et fut des premiers parmi les théologiens si remarquables du concile. » De justificatione doctrina universa, libri XV, etc., auctore… Vega, magistro Salmanticensi, in-fol., Cologne, 1572, Préface de Canisius, sub fincm. Nous lui consacrerons plusieurs colonnes, soit pour y prendre d’utiles explications du concile, relatives à notre problème, soit pour examiner avec lui une question préliminaire et fondamentale, c’est-à-dire comment les infidèles peuvent se procurer la connaissance rationnelle de Dieu, nécessaire préambule de la foi. ^, .