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leur portée la « révélation » et la « foi ». Mais une solution cominode n’est pas nécessairement orthodoxe.

Second genre d’attaque. — Même en respectant, au moins en apparence, le vrai concept des divers moyens de parvenir à la fin surnaturelle, on peut les altaquer par la négation de leur nécessité pour atteindre cette fin. Notons ici que prétendre qu’un de ces moyens n’est pas nécessaire n’implique pas toujours que l’on nie la nécessité d’un autre, ni à plus forte raison de tous les autres. C’est ainsi que certains protestants qui nient la nécessité du baptême inutile pour le salut (même des enfants), proclament la nécessité de la foi ou de la grâce. Les pélagiens, ennemis de la nécessité de la grâce et en cela naturalistes, n’ont pas nié, semble-t-il, la nécessité de la foi appuyée sur la révélation, ni celle du baptême. Voir plus haut, Solution pélagienne.

Nous avons ici à examiner celles des solutions naturalistes de notre problème, qui nient la nécessité de la joi pour le salut. Sans parler des rationalistes qui rejettent la révélation elle-même et conséciuemment la foi, on pourrait admettre la révélation (surnaturelle) et nier la nécessité de l’acte de foi, soit d’une manière absolue en prétendant que cet acte, pour qui que ce soit, est purement facultatif, soit d’une manière mitigée en reconnaissant sa nécessité pour le salut des fidèles, de ceux qui sont nés dans le christianisme, mais en prétendant que le moyen régulier et général pour le salut des infidèles, c’est de connaître Dieu par la raison seule, sans préjudice d’autres actes naturels qui peuvent être nécessaires du côté de la volonté et de la vie honnête, suivant les lumières naturelles de chacun. On aurait par là une solution assez facile du problème du salut des infidèles, mais une solution hétérodoxe. Montrons-le brièvement : a) pour la forme absolue, b) pour la forme mitigée. A cet examen théologique nous ajouterons c) un examen historique de divers auteurs à qui on a prêté une semblable erreur : l’ont-ils soutenue en réalité ?

a) Forme absolue. — Faire de la foi un acte purement facultatif pour tout le monde, c’est contrevenir à la doctrine chrétienne, qui en fait un grave devoir, et un précepte divin, imposé dans l’ordre présent. Voir Foi, t. vi, col. 512 ; on y renvoie, pour établir ce précepte divin, à beaucoup de documents de l’Écriture, des Pères et du magistère de l’Église, précédemment donnés. Voir aussi les explications sur le précepte négatif et le précepte positif de la foi. Ibid., col. 513.

b) Forme mitigée. — Supposer que chez les infidèles, pour arriver à la seule fia dernière de l’homme que Dieu ait voulue de fait dans l’ordre présent, à la fin surnaturelle, la lumière de la raison remplace régulièrement celle de la révélation et de la foi, c’est leur donner le droit de se renfermer dans le moyen qui leur est propre, de rejeter la révélation que les apôtres et les missionnaires viennent leur prêcher, et par une conséquence logique, d’enlever à ceux-ci le droit de venir leur parler de Jésus-Christ, de sa révélation et de sa rédemption, avec l’autorité de se faire écouter d’eux. Or on lit le contraire dans rÉangile, où Jésus-Christ dit qu’en vertu de son pouvoir universel il envoie ses apôtres (et leurs successeurs) à toutes les nations, pour se les soumettre comme disciples, et les enseigner, et ainsi jusqu’à la fin du monde, Matth., xxviii, 18 sq. ; cf. Marc, xvi, 15 sq., où l’acte de foi est requis (chez tous les adultes), avec le baptême. Voir Église, t. iv, col. 2117. De plus, le concile du Vatican affirme que « l’élévation de l’homme à la fin surnaturelle rend absolument nécessaire la révélation, » sans doute avec la foi qui y répond. Denzinger-Bannwarl, n. 1786. Donc, même en admettant que par accident et par le malheur des circonstances il y ait des gens privés de cette lumière et réduits à la

seule lumière de la raison, on ne peut admettre que ce soit là l’état normal et régulier de quelqu’un, bien moins encore de la grande majorité des hommes. Sur la doctrine de saint Paul, que le salut destiné’à tous est le salut par la foi, voir Capéran, op. cit., p. 26-29.

c) Examen historique de quelques auteurs célèbres, accusés d’une solution naturaliste, les uns au moyen âge, d’autres à la Renaissance.

a. Moyen âge. — « Ce fut l’opinion de quelques catholiques, dit Suarez, que l’homme, dans un cas particulier, peut se sauver sans la foi, par la connaissance naturelle ou de Dieu. ou du bien honnête, s’il fait ce cpi’il peut pour éviter le mal et faire le bien. » Opéra, Paris, 1858, t. xii, p. 339. Suarez croit trouver une allusion à cette opinion dans le commentaire de saint Thomas sur VÉptIrc aux Romains, c. ii. Le P. Pesch fait observer que ces anciens théologiens étaient si rares et si secondaires, que ceux qui en ont parlé n’en ont jamais donné les noms. Theologische Zcitfragen, V « série, Fribourg-en-BrisgaUv 1908, t. i, p. 11.

A côté de ces inconnus, un philosophe célèbre, Abélard, chef d’école même en théologie, voir t. i, col. 49, a été cité comme résolvant notre problème par la substitution pure et simple de la raison à la révélation et à la foi. Il a contre lui bien des griefs. Il a prétendu démontrer la Trinité par la raison ; cette prétention n’était pas nouvelle ; on la trouve avant lui, même chez saint Anselme. Abélard fut naturellement amené par là, comme plusieurs écrivains d’alors, à prêter la connaissance rationnelle de la Trinité à Platon et autres philosophes grecs, et même aux hommes en général. De son temps, cela n’a pas choqué. Ce que lui reproche saint Bernard, ce que le concile de Sens, confirmé par Innocent II, a condamné en cette matière, c’est qu’en paraissant défendre le dogme de la Trinité, il l’a défiguré ; il l’a fait d’ailleurs d’une manière incohérente, allant tantôt à l’arianisme et tantôt au sabellianisme. Voir Abélard, 1. 1, col. 44, 45, et la discussion de ses autres erreurs sur les dogmes, col. 46-48. Il a erré sur la nature ou les propriétés de Vacte de foi : il a compromis le motif propre de cet acte, parce qu’il en a mal expliqué les rapports avec les actes de la raison qui lui servent de préambules, ibid., col. 45 ; il a compromis la fermeté de la foi, comme le lui reproche saint Bernard, voir Foi, t. vi, col. 89 ; ces erreurs ne le forçaient pourtant pas à nier la nécessité de la foi pour le salut. Il a supposé trop facilement le salut des divers philosophes païens. Il leur a supposé même, avec une extrême partialité, tout ce qu’il y a de plus admirable en fait de vertus, d’ascétisme, de contemplation mystique. Cf. Capéran, Le problâme du saluldes infidèles. Essai historique, 1912, p. 173-177. Mais de tout cela suit-il qu’Abélard ait prétendu sauver ces philosophes par la seule raison philosophique, sans aucun acte de foi à la révélation ? C’est en ce moment toute la question. La réponse à donner nous semble plutôt négative, si nous consultons ses écrits. » Peut-on prouver, dit-il, que ces philosophes n’aient pas cru au Christ, lui qu’une païenne, une sibylle, a prédit plus clairement que les prophètes ? Iniroduclio ad Iheologiam, t. I, n. 15, P. L., t. cLXXvni, col. 1008. Il croyait comme tous ses contemporains à l’authenticité des livres sibyllins, plus clairs en effet que les prophètes. « Qui pourrait affirmer, dit-il encore, que la foi de l’incarnation n’a été révélée à aucund’eux comme à la sibylle, quand même on ne trouverait pas cette foi exprimée dans leurs écrits ? » Et il cite une phrase de Platon qui pourrait d’après lui se rapporter au mystère de la croix. Theologia chrisiiana, t. II, ibid., col. 1172. Enfin il blâme parmi les erreurs « opposées à la foi catholique ou aux saines doctrines » cette opinion d’un professeur de son temps.