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INFIDÈLES


pare son premier capital de moyens et de secours pour son salut, elle n’a pu encore mériter ou démériter, et Dieu n’a pas alors à exercer la justice du juge, mais seulement le souverain domaine qui lui appartient comme créateur ; maître de ses dons, il les distribue comme il lui plait, et inégalement. Voir notre 7 « principe, col. 1729. Nous avons insisté sur ce côté du pélagianisme, parce qu’il est bien moins connu que leurs attaques contre la grâce intérieure ; le mauvais emploi du principe de justice leur a servi aussi à attaquer le péché originel.

A la suite des sociniens et des arminiens, beaucoup de protestants de nos jours, devenus aussi pélagiens que les chefs de la Réforme l’étaient peu, reprennent pour leur compte ce principe mal appliqué d’égalité et de justice.

2. Controverse entre saint Augustin et Julien sur les bonnes œuvres et les vertus des infidèles. — Nous venons de voir que le naturalisme des pélagiens ne va pas jusqu’à nier toute fin surnaturelle (à propos du baptême des enfants). Notons-le « ncore pour les adultes, en rappelant la polémique, très importante pour notre sujet, avec l’évêque Julien, le dernier et le plus avancé des défenseurs du pélagianisme ; son livre est perdu, mais Augustin, dans ses réponses, en a fait de nombreuses citations. S’il exaltait les belles actions des héros de Rome païenne, Julien rangeait toutefois ces actes parmi ceux qui restent stériles pour le ciel, affectus per quos steriliter boni sumus. Contra Julianum, t. IV, n. 22, P. L., t. xliv, col. 749. Et il exphque cette locution un peu étrange : « J’appelle stérilement bons ces hommes, qui ne faisant pas pour Dieu les bonnes œuvres qu’ils font, n’obtiennent pas de lui la vie éternelle. » Ibid., n. 33, col. 755. D’autre part, Julien répugne à mettre de tels hommes en enfer : Est-ce à dire qu’ils soient dans l’éternelle damnation, ceux en qui était une vraie justice ? » Ibid., n. 26, col. 751. On peut retrouver ici la théorie des deux béatitudes différentes, et Augustin la soupçonne : « Est-ce que par hasard, lui demande-t-il, ces Fabricius, ces Régulus, ces Fabius, ces Scipions, etc., vous allez leur fournir, comme aux enfants morts sans baptême, un lieu intermédiaire entre la damnation et le royaume des cieux, où ils ne soient pas dans un malheur, mais dans une béatitude éternelle ? » Loc. cit. En tout cas, le saint docteur a raison de nier, en dehors du « royaume des cieux », une autre « béatitude » éternelle. Quant à rid, ée d’un « lieu intermédiaire » qui ne soit pas proprement une béatitude, des catholiques de nos jours l’ont admise pour une grande partie des infidèles comme pour les enfants morts sans baptême, et l’on ne peut en cela les accuser de pélagianisme ou de naturalisme.

Dans cette célèbre querelle avec Julien sur les infidèles, saint Augustin établit solidement les quatre points suivants : a) Pour proclamer un acte « moralement bon », on ne doit pas regarder seulement son objet (qu’il appelle officium), mais encore la fin (extrinsèque ) visée par l’agent (finis operanlis). Ibid., col. 749. — b) Les brillantes actions des héros païens, ou des philosophes stoïciens, ont été souvent gâtées par une mauvaise fin, surtout par la recherche de la vaine gloire, qui les rendait coupables (au moins véniellement). Augustin, dans la vivacité oratoire de sa polémique, semblerait dire que toutes leurs actions sont ainsi gâtées. Mais d’abord. Dieu seul, qui lit dans les consciences, sait ce qu’il en est, et ne nous l’a pas révélé. Ensuite, Augustin lui-même, parlant des infidèles dans un autre ouvrage contre les pélagiens : Il est très difficile, dit-il, que dans la vie des plus scélérats parmi eux, il ne se rencontre pas quelques actions moralement bonnes, inutiles d’ailleurs pour le salut éternel ; » a fortiori dans la vie des meilleurs.

De spiritu et litlera, n. 48, col. 230. — c) Puisque Dieu a de fait élevé l’homme à la fin surnaturelle (que Juhen ne niait pas), nous avons le droit, avec Augustin, de prendre ces mots « actes bons, vraie justice, vraies vertus, 1) non pas au sens purement philosophique, où l’on fait abstraction de cette élévation, mais au sens théologique, où l’on en tient compte, où l’on ne regarde comme vraiment et complètement bon, que ce qui conduit à notre fin dernière, telle qu’elle est en réalité. « Puisqu’au moins tu concèdes, dit-il à Julien, que les œuvres qui te semblent bonnes chez les infidèles, ne les conduisent pas au salut éternel, au royaume, apprends que nous appelons œuvre bonne… celle-là seulement qui peut conduire l’homme au royaume éternel de Dieu. » Cont. Julian., n. 33, col. 755. De ce point de vue théologique, les œuvres et les vertus simplement honnêtes, purement éthiques des infidèles sont défectueuses : on peut même, parce qu’elles manquent la fin de l’homme, les appeler « péchés » au sens large et impropre du mot, familier à saint Augustin. (Poussant à bout la pensée du maître, Baius soutiendra que toutes les œuvres et les vertus des infidèles sont des « péchés « au sens strict, sont mauvaises même du point de vue éthique, sont déshonnêtes : aussi les papes ont-ils condamné sa 25 « proposition avec le sens qu’il lui donne, Denzinger-Bannwart, n. 1025. Voir t. ii, col. 83-86. — d) Ces actions simplement honnêtes, des païens, ces vertus naturelles qui ne conduisent pas à la fin surnaturelle, Augustin montre encore à Julien qu’au moins il aurait dû, en vertu des principes rappelés tout à l’heure, y reconnaître un don de Dieu, une faveur de la Providence, et donc ne pas les attribuer au seul libre arbitre. Ibid., n. 16, col. 744, 745. Voir Augustin r’Sam/ ;, 1. 1, col. 2387.

On a souvent attribué aux pélagiens de nier chez les adultes la nécessité de l’acte de foi pour le salut ; est-ce exact ? Sans doute, ils ont une hérésie sur l’acte de foi. Ainsi que les autres actes conduisant au salut, ils se l’imaginent comme un fruit des seules forces de la nature, et rejettent l’influence de la grâce qui nous le fait produire. Mais ils semblent admettre la nécessité d’un acte de foi appuyé sur la révélation divine, pour pouvoir entrer au ciel. On a dit : dans cette controverse avec Julien sur les infidèles, Augustin affirme non seulement la nécessité de la grâce, mais aussi la nécessité de la foi ; n’est-ce point parce que les pélagiens niaient l’une et l’autre ? C’est plutôt parce que les « infidèles » tirent leur nom du manque de foi, coupable ou non (in privatif, fides). Il faut (nous le montrerons) qu’avant leur mort ils cessent d’être infidèles, en faisant par la grâce de Dieu un acte de foi à la révélation, pour pouvoir entrer dans la vision intuitive : voilà ce que saint Augustin affirme à Juhen qui louait trop leurs vertus ; c’est aussi ce que Julien semble reconnaître en déclarant « stériles » ces vertus. Mais de ce que l’infidèle, même négatif, même vertueux, s’il meurt sans l’acte de foi n’entrera pas dans le royaume de Dieu, le problème de son sort n’est pas pleinement résolu. Et la tendance dernière des pélagiens semblait être d’adoucir son sort éternel par une autre espèce de béatitude : ce qui laisse subsister la nécessité de la foi pour avoir le ciel.

3. Semi-pélagiens.

a) Tout en évitant plusieurs des erreurs pélagiennes sur le péché originel et la grâce, ils prétendent que le libre arbitre de l’homme doit prévenir le secours de la grâce, au moins dans le premier acte (ou disposition à la conversion) d’où dépenf’ent plus ou moins les autres actes dans l’ordre du salut, et qu’ils appellent inilium fidei. Ils attribuent à cet acte, bien que purement naturel, une influence positive et une certaine valeur méritoire pour attirer les grâces qui suivent. C’est leur erreur la plus notoire.