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INFIDÈLES


ou tard. Voir Enfer, t. v, col. 87-89 ; Origène, Origénisisie ; F. Prat, Origène, Paris, 1907, Introd., p. XXXI sq. et li sq., p. 99-109 ; p. 199-200.

A l’origénisme peut se rattacher une solution analogue pour le résultat. Elle semble avoir été soutenue au xve siècle par un humaniste, Marzio Galeotti (1440-1494), que signale en passant M. l’abbé Capéran, op. cit., p. 220. Il enseignait avec distinction à l’université de Bologne, quand il eut la fâcheuse idée d’écrire un livre où il faisait arriver au ciel tous les hommes païens et chrétiens. Le scandale fut si grand, qu’il dut s’enfuir. Arrêté à Venise, il est jeté dans les prisons de l’Inquisition, et condamné à se rétracter ; on n’alla pas plus loin, grâce à l’intervention de Sixte IV, son élève. Il se retira en Hongrie, où le roi Mathias Corvin le fit son secrétaire, son bibliothécaire et le précepteur de son fils. Après la mort du roi, nous le trouvons en France, où il meurt à Lyon d’une chute de cheval, dans le cortège qui accueillait Charles VIII. Michaud, Biographie universelle, Paris, 181C, t. XVI, p. 291 ; De Colonia, Histoire lilléraire de le ville de Lyon, Lyon, 1730, t. ii, p. 390 sq. Le livre où il ouvrait le ciel à tous, a eu des répercussions bien lointaines, d’après cette note du P. De Colonia : « Le dangereux manuscrit qui porte pour titre. Le Ciel ouvert à tous les hommes, … par M. Cuppé, curé, bachelier, chanoine régulier de Saint-Augustin, n’a fait que renouveler l’impie système de Galeotus Marlius, et il en est tiré en partie. » Ibid., p. 391 en marge. L’œuvre de Cuppé est une monstrueuse réaction contre les exagérations d’alors sur « le petit nombre des élus » (comme on le voit dans la Préface) et contre la damnation sommaire de tous les infidèles, c’est-à-dire contre l’esprit janséniste.

Pour le dire en passant, nous n’avons pas, dans cet article, à nous occuper du nombre relatif des sauvés et des damnés. Ce problème difiicile, invoquant des preuves spéciales, regarde le fait du salut des hommes dans une de ses déterminations, le nombre : notre problème ne regarde que la possibilité de salut accordée aux infidèles ; étant donnée la liberté humaine, la volonté divine de sauver tous les hommes n’est tenue qu’à leur donner sérieusement la possibilité d’arriver au salut. Voir Élus (Nombre des), t. iv, col. 2350 sq.

Par crainte, soit d’une condamnation de l’Église, soit des dures rigueurs des parlements jansénistes, le livre de Cuppé a dû circuler longtemps par le seul moyen de copies transcrites à la main. De Colonia, en 1730, parlait déjà d’un « dangereux manuscrit. » Nous en avons une copie manuscrite avec ces mots à la fin : … scripsit Lugduni 1760 ; le nom du calligraphe a été effacé ; la reliure du temps, soignée, cache son contenu sous un faux titre. Il semble bien que l’ouvrage n’a été imprimé qu’en 17C8, seule date indiquée par Quérard, La France littéraire, Paris, 1828, t. ii, p. 355. Au reste, ce « traité théologique » bourré de textes latins n’a guère attiré l’attention publique (ni pour le vanter ni pour le condamner) au moment de son impression. C’était l’époque où Voltaire et les encyclopédistes occupaient davantage l’opinion et mettaient en mouvement d’aulre part le clergé de France, la Sorbonne et même le Parlement. Nous relèverons brièvement les sophismes de Cuppé ; s’ils sont partiellement empruntés au livre introuvable de Marzio Galeotti, on conçoit le scandale excité par celuî-ci au xve siècle.

La thèse de Cuppé qui fait arriver au ciel tous les hommes, depuis Adam jusqu’à la fin du monde, rappelle par cette universalité la solution origéniste, suivie de nos jours par bon nombre de protestants ; quelques passages de l’Écriture y sont interprétés (omme ceux-ci le fout aujourd’hui. Mais ces protes tants, avec Origène, avouent que bien des gens, pour leurs crimes, sont punis dans l’autre vie, plus ou moins longtemps, jusqu’à ce que Dieu les admette dans son ciel. Notre auteur, plus bénin, ouvre les portes du ciel à tous dès leur mort. Sa méthode théologique ? La tradition ne le gêne guère. Au début de son traité, divisé en quinze articles, il constate que sa thèse est nouvelle, autant qu’il peut le savoir, « car ce n’est point la proposition d’Origène. » Mais la nouveauté dans le dogme ne l’effraye pas. Qu’en conclut-il ? « Il faut lui donner des preuves plus anciennes que toute la tradition… Prouvons-la donc par la seule Écriture sainte et par la raison, o Art. 2. Le voilà débarrassé des Pères et des définitions des conciles ou des papes ; mais alors pourquoi disait-il dans sa préface : « Je me rapporte du tout au jugement et aux décisions de l’Église, pour laquelle j’aurai toujours une parfaite soumission et une aveugle obéissance », sans oublier « son chef visible, N. S. P. le pape. » Dans l’Écriture, son texte fondamental est Rom., v ; saint Paul, dans ce chapitre particulièrement difiicile, établit une comparaison entre Adam source du péché originel et Jésus-Christ source de la justification et de la grâce ; mais Cuppé oublie que toute comparaison cloche, et qu’il ne faut la pousser que d’une main discrète : " Tous les hommes, dit-il expliquant le péché originel à sa manière, se sont trouvés malgré eux enveloppés dans cette corruption (née du péché d’Adam) par l’imputation que Dieu en a faite à tout le genre humain ; ils se sont trouvés pécheurs sans que leur liberté y ait coopéré en aucune manière. Pourquoi donc auront-ils besoin d’agir pour être justifiés en Jésus-Christ, pourquoi cette rédemption ne leur sera-t-elle pas appliquée même sans qu’ils y pensent ? » Art. 3. Cf. Précis du traité, après la préface. Et voilà tous les hommes justifiés et sauvés par la seule imputation que Dieu leur fait de la sainteté du Christ. C’est l’hérésie de Luther, Denzinger-Bannwart, n. 821, mais bien aggravée : car Luther ne dit pas que l’homme soit justifié sans avoir besoin d’agir et sans y penser ; il exige un acte de foi comme condition indispensable, et explique souvent que cet acte tend à se compléter plus tard par les bonnes œuvres ; il n’admet pas non plus le salut de tous les hommes. On voit l’immoralité du nouveau système ; croyez ou ne croyez pas, faites des bonnes œuvres ou des crimes atroces, vous êtes toujours sûrs d’entrer au ciel : tout le monde y va. Enfin les « preuves par la raison » ne sont qu’une suite d’autres arguties sur des textes mal entendus, par exemple : « Dieu veut le salut de tous les hommes », I Tim., ii, 4. Donc tous seront sauvés (raisonnement renouvelé par les protestants universalistes). Mais cette volonté de Dieu, bien que réelle et sérieuse (parce qu’elle offre à tous des moyens suffisants d’arriver au salut), peut cependant n’avoir pas de résultat, par la faute des hommes. Dieu respecte leur liberté, et exige très sagement qu’elle coopère à sa grâce, qu’elle observe ses lois. Sa volonté de les sauver est donc conditionnelle quant au résultat. Ceux qui, par leur faute, ne satisferont pas à la condition posée, ceux qui s’entêteront dans l’impiété et le crime, ceux-là manqueront le but que Dieu désirait pour eux. « Dieu, insiste l’auteur, a une bonté infinie… Or elle ne le serait pas, si Dieu ne pardonnait qu’à un certain nombre d’hommes ; car il serait aisé de se figurer une bonté plus grande. » Art. 5. Oui, la bonté considérée en Dieu, comme attribut divin, est infinie. Mais les manifestations extérieures, terrestres, de cette bonté infinie, comme tout ce qui est créé, sont forcément finies, limitées. Elles sont limitées par la liberté humaine que Dieu respecte et laisse s’exercer ; limitées par les manifestations d’autres attributs de Dieu, de sa sagesse d’où procèdent