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INFIDÈLES


pourquoi ils ne veulent jamais dire franchement qu’il y a une grâce vraiment suffisante, pourquoi ils affectent toujours d’ajouter oes paroles estrictives et suspectes : < au sens thomiste ? » Ce n’est pas ainsi que font les vrais thomistes, non : ils déclarent simplement, absolument, sans restriction, de tout cœur et comme un point de foi, que Dieu donne, même dans l’état de nature décime, une grâce qui suffit vraiment à faire l’acte commandé, même quand on ne le fait pas. » Epistola de editione bencdictina operum S. Augustin !, part. II, n. 4 ; Œuvres, édit. Leroux-Gaume, Paris, 1851, t. V, p. 220. Fénelon y revient dans l’exorde du document pastoral où il réfute si bien les jansénistes de son temps : « A mesure que l’Ésslise multiplie ses condamnations, dit-il, le parti multiplie aussi ses détours captieux… Ce parti a inventé pour ainsi dire une espèce de langue nouvelle, pour se jouer de toutes les dédiions, en faisant semblant de les recevoir… Suivant le dictionnaire du parti, il faut donner le nom de pouvoir sans l’acte à l’impuissance la plus réelle, telle qu’est celle où se trouve un courrier de courir la poste sans cheval… Suivant ce dictionnaire inouï, il faut dire qu’une grâce est suffisante au sens des thomistes, quoiqu’elle soit disproportionnée à la force de la tentation, et qu’elle ne fasse qu’un demi contrepoids à la délectation du mal qui lui est opposée. Moyennant cette contorsion donnée au langage, on admet un pouvoir avec lequel on ne peut rien… On admet une grâce suffisante, qui ne suffit pas. On signe tout, et on ne croit rien. On jure, et on trompe l’Église. On soutient l’hérésie, et on crie qu’elle n’est qu’un fantôme. En vain l’Église est alarmée depuis soixante-dix ans : le parti veut qu’on se de de sa terreur panique, et que cette hérésie ne soit qu’un prétexte dont les disciples de Pelage se servent pour opprimer ceux de’saint Augustin. » Instruction pastorale. .. sur le système de Jansénius, Œuvres, loc. cit., p. 224. Fénelon, dans cette Instruction, touche en passant le problème du salut des infidèles. Voir Capéran, op. cit., p. 375.

3. Une autre erreur qui dans le jansénisme vient aggraver le sort des infidèles, c’est de représenter l’état moral où ils vivent avant la vocation prochaine à la foi, que cette vocation doive ou ne doive pas leur arriver, comme un état de complet abandon et d’absolue immoralité, où Dieu laisserait ces malheureux sans aucune espèce de grâce, sans aucune influence de la rédemption, et où chacune de leurs actions ne serait que péché. A cette erreur s’oppose l’un des principes rappelés plus haut ; nous avons cité à ce sujet, voir col. 1729, plusieurs condamnations de l’Église. Montrons que c’est bien la pensée de Jansénius. Non seulement il refuse aux infidèles, en attendant la vocation prochaine à la foi s’ils y sont prédestinés, toute grâce surnaturelle quoad subslantiam, comme disent les théologiens — en cela il est plutôt d’accord avec la pensée de saint Augustin — mais il leur refuse encore toute grâce d’ordre inférieur, toute grâce surnaturelle quoad modum, qui, sans les élever à un acte surnaturel proprement dit, à l’acte proportionné avec la fin dernière, pourrait leur donner ou leur faciliter soit la connaissance de Dieu, soit l’honnêteté de la vie morale, et leur ferait éviter le péché sans mériter le ciel. Voir Grâce, t. VI, col. 1559. Parlant des scolasliques, Jansénius dit : € Presque tous, d’un commun accord, mettent chez les infidèles ce secours qui donne la force d’éviter le péché… Si vous demandez à ces auteurs comment ils entendent ce secours, les uns vous disent que c’est une bonne pensée suscitée même par des objets naturels ; les autres que c’est une diminution des forces du démon, ou l’éloigncment d’une occasion, d’une tentation, l’esprit, par exemple, étant distrait par

un autre objet qui terrifie ou attire ; les autres disent d’une façon plus vague et plus générale que c’est une grâce naturelle quant à la substance » Augustinus, t.iii, t. III, c. XI, p. 126. A tous ces secours proposés par les scolastiques, Jansénius oppose une absolue négation : « Non seulement les infidèles, dit-il, sont dépourvus de toute grâce du Christ pour écarter ou vaincre les tentations, mais leur volonté n’est libre de faire aucun bien, toujours et seulement le mal, esclave et captive qu’elle est sous le joug des convoitises terrestres et charnelles, dont elle ne peut être délivrée en aucune façon que par la foi du Christ libérateur. » Loc. cit. Saint Augustin, comme les conciles, fait commencer par la foi ce changement spécial et surnaturel qu’est la justification. Jansénius lui fait dire que par la foi commence « tout changement en l)ien, toute justice, toute bonté, morale ou autre, puisque l’homme, avant la grâce de la foi, ne peut être autre chose qu’un méchant pécheur, un prévaricateur de la loi, dont toutes les œuvres sont autant de péchés. » Ibid., p. 128. Et il conclut : « C’est donc en vain que les scolastiques attribuent je ne sais quelle grâce suffisante aux infidèles avant la foi, puisque la foi elle-même est la première grâce donnée, cum fides sit prima gratta. » Ibid., p. 129. On voit ce que la bulle Unigenitus a voulu condamner dans ces propositions du janséniste Quesnel : Fides est prima gratta…, prop. 27, Denzinger-Bannwart, n. 1377. Nullæ dantur gratiæ, nisi pcr fidem, prop. 26. Extra Ecclesiam nulla conceditur gratta, prop. 29. Arnauld (5^ proposition condamnée par Alexandre VIII, ibid., n. 1295 ; voir t. I, col. 753), soutient les mêmes idées : « La volonté des infidèles, dit-il, est vraiment nue et désarmée, et sans aucune grâce suffisante, quand elle viole sans cesse les commandements de Dieu par une vie criminelle » Difficultés proposées à M. Stegacrt, part. IX, difꝟ. 96, Œuvres, t. ix, p. 371.

II. SOLUTIONS LAXISTES.

Solution origéniste.


A l’erreur rigoriste de Calvin et de Jansénius, détruisant la volonté salvifique universelle, s’oppose diamétralement une autre erreur, rendant universelle non seulement la possibilité du salut, mais encore le fait du salut. Elle conçoit la volonté salvifique universelle, non pas comme conditionnelle, mais comme absolue : Dieu veut que tous les hommes, quoi qu’ils fassent en cette vie, finissent par être sauvés. Pour arriver à ce résultat, on suppose d’abord que tout homme, après la mort, aura une nouvelle période d’épreuve où il pourra acquérir la fin dernière, s’il ne l’a pas acquise en cette vie ; ensuite, que tout homme, même le plus impénitent et le plus rebelle, finira tôt ou tard par l’acquérir de fait ; soit que toute rébelhon doive finir par se démentir et s’incliner devant Dieu, soit qu’elle doive finir par forcer Dieu à céder. Ce système, proposé avec beaucoup d’hésitation par Origène, que l’Église a désavoué en cela, est adopté par beaucoup de protestants contemporains, même de ceux qui se piquent d’orthodoxie ; il prend le nom d’ « universalisme » à cause du salut universel qu’il proclame, et parfois de « restaurationisme » parce que les âmes les plus scélérates seront finalement restaurées dans la sainteté et le bonheur. Il s’oppose aux principes rappelés plus haut, qu’après la mort nul ne peut changer son sort éternel, et qu’une condition nécessaire de salut est la persévérance finale, c’est-à-dire la mort en état de grâce : ce dernier moment de notre vie n’aurait aucune importance particulière, si une autre épreuve nous était donnée dont tout dépendrait, où tout pourrait être réparé. Les sanctions nécessaires de la vie future seraient d’ailleurs singulièrement énervées et ne produiraient pas leur effet ici-bas, si l’on avait la prévision d’une nouvelle épreuve, et surtout si l’on était sûr d’être sauve tôt