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INFANTICIDE


placé sur une planchette ou un bouclier d’osier, est livré au cours de l’eau ; si le léger esquif surnage, l’épreuve est favorable ; dans le cas contraire, le père abandonne à son malheureux sort un enfant qu’il répudie. Galien fournit une autre explication de cette coutume : selon lui, ce bain froid a pour but d’opérer une sélection profitable à la race ; il fortifie les rejetons vigoureux et fait périr les débiles. » Léon Lallemaiid, Histoire de la charité, p. 171-172.

En tout cas, on ne trouve pas chez les Gaulois ou les Germains le calcul intéressé du père de famille romain qui limite le nombre de ses enfants et abandonne ou tue ceux qui sont en excès. Tacite, Gcrmania, xix, loue les Germains de ce que, même quand la conservation de la famille est déjà assurée par un héritier, ils ne mettent pas à mort les petits enfants qui viennent au monde. « Le meurlre des nouveau-nés, dit-il, est un acte que l’esprit public flétrit et réprouve ; et les bonnes mœurs ont là plus de pouvoir que n’en ont ailleurs les bonnes lois. » Cf. Gcfîroy, Rome et les barbares, Paris, 1874, p. 63.

4° Dans la Chine acluelle, — Quand on parle de l’infanticide à notre époque, la pensée se reporte naturellement vers cet immense empire chinois, sur lequel les missionnaires nous donnent sans se démentir jamais les détails les plus navrants. On a mis en doute la véracité de leurs récits, mais sans pouvoir produire ni un fait, ni un témoignage vraiment capables de les ébranler. Des lois existent pour réprimer l’infanticide ; mais elles demeurent lettre morte, et, de fait, les infanticides sont innombrables et demeurent généralement impunis. Les petites filles en sont les principales victimes, la naissance d’une fille étant considérée comme une humiliation et un malheur. Ce fléau a fini par émouvoir les autorités ; et naguère, l’Ami du clergé, 1906, p. 1020-1021, pubhait, d’après la communication d’un missionnaire, un appel de plusieurs lettrés du Kiang-Si, pour fonder une société contre l’infanticide ; cet appel avait été publié dans le journal ofliciel du vice-roi du Tché-li. Ces initiatives seront-elles efficaces ? Le changement de régime en Chine aboutira-t-il à changer les mœurs ? Il semble en tout cas que les seuls qui aient jusqu’ici lutté avec quelque succès contre l’infanticide en Chine soient les missionnaires. Ici encore l’Église se montre la seule protectrice de l’enfant, comme elle le fut en présence des civilisations ou des barbaries du passé.

50 Dans la civilisation européenne actuelle, l’infanticide n’existe plus à l’état d’institution : l’action de l’Église qui s’y fait sentir depuis tant de siècles a fini par avoir raison et par supprimer dans les mœurs cette coutume barbare. Ce ne peut plus être qu’une exception, toujours trop fréquente cependant et souvent trop mollement réprimée par les juges.

En France, par exemple, l’art. 302 du Code pénal édicté la peine de mort contre l’infanticide ; mais en pratique la sentence de mort n’est jamais prononcée, sinon dans des cas de gravité exceptionnelle. On l’avait prévu dès la rédaction du Code pénal. En même temps que l’on voulait arrêter les infanticides trop nombreux, des membres du Conseil d’État firent remarquer que cette peine, à cause même de sa rigueur, serait peu appliquée ; que les jurés trouveraient toujours quelque circonstance atténuante, surtout dans le cas d’une fille devenue mère et qui ne se porte à ce crime alroce de supprimer son enfant que par crainte du déshonneur. Dalloz, Répertoire de législation, art. Crimes ci délits contre les personnes, n. 93, Paris, 1853, t. xiv, p. 599. Et en effet l’impunité est presque absolue et l’acquittement certain dans bien des cas, tant il est vrai que, sur ce point comme sur tous les aulres, les lois sont impuissantes

si elles ne sont soutenues par une fonnation chrétienne et forte des consciences.

II. Action de l’Église contre l’infanticide. — 1° L’esprit de l’Évangile.

L’Éghse ne pouvait que s’opposer de toutes ses forces aux cruelles pratiques d’infanticide en face desquelles elle allait se trouver dans toutes les sociétés. Car l’esprit de l’Évangile, l’esprit de Jésus y répugnait absolument.

Jésus est le maître de la charité ; il ordonne aux hommes de s’aimer comme des frères ; bien plus, il donne comme modèle à leur amour mutuel l’amour même qu’il leur a témoigné. Il veut que leur charité se traduise par la bienfaisance et il déclare que tout le bien qu’ils feront « à l’un de ces plus petits » d’entre les frères, c’est à lui-même qu’ils le feront. Matth., XXV, 40. Si telle est la loi du Christ vis-à-vis de tous, même des inconnus ou des étrangers, à plus forte raison oblige-t-elle les parents à l’égard de leurs enfants.

Jésus est le docteur de la confiance en la Providence du Père céleste ; et par là il condamne les calculs égoïstes qui aboutissent au meurtre et à l’abandon du nouveau-né. Dieu qui n’abandonne pas les oiseaux du ciel ne délaissera pas ses propres enfants. Matth., VI, 25-34.

Jésus est l’ami de l’enfance. Il a voulu être enfant lui-même ; et la sainte Famille est l’idéal éternellement proposé aux familles humaines. Il aime à voir les enfants autour de lui. Matth., xix, 13-14. Il réclame le respect de l’âme des enfants, Matth., xv^II, 6, et s’il ne parle pas du respect de leur vie, c’est que la société juive n’était pas gangrenée comme les autres par la plaie de l’infanticide.

L’Église se devait donc de combattre l’infanticide ; elle le fit soit par des lois, soit par des institutions destinées à assurer la vie des enfants exposés.

2 » Lois de l’Église contre l’infanticide. — Le concile d’Elvire (vers 300) prévoit le cas d’une mère supprimant son enfant pour cacher sa faute, et prononce une peine variable suivant que la mère est chrétienne ou simplement catéchumène ; dans le premier cas, elle est excommuniée sans réconciliation possible, même à la fin de sa vie ; dans le second cas, elle ne pourra être baptisée qu’à la mort : Si quæ per adultcrium absente marito conceperit, idque post facinus occideril, plaçait nec in fine dandam esse communionem eo quod geminaverit scelus… Catechumena, si per adulterium conceperit et præfocaverit, placuit eam in fine baptizari. Can. 03 et 68, Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, 1. 1, p. 256 et 258.

On ne put maintenir une telle rigueur, sans doute parce que, dans une société insuffisamment christianisée, ce crime était trop fréquent. Aussi la durée de l’excoinmunication fut bientôt réduite à dix ans ou à sept ans. Le concile d’Ancyre, en 314, porte le canon suivant : « Les femmes qui se prostituent, qui tuent leurs enfants ou cjui cherchent à les détruire dans leur sein, étaient par l’ancienne ordonnance excommuniées jusqu’à la fin de leur vie. Nous avons, adouci cette mesure et les avons condamnées aux divers degrés de pénitence pendant dix ans. » Can. 21. Hefele, trad. Leclercq, t. i, p. 323. Même sanction au I «  concile de Mayence, en 847 : « Les femmes qui luent leurs enfants ou qui se font avorter étaient autrefois condamnées à la pénitence pour le reste de leur vie ; on réduit cette pénitence à dix ans. n Can. 21 ; Hefele, trad. Leclercq, t. iv, p. 134. Le concile de Lérida, en 524, accepte une peine plus bénigne : « Quiconque a cherché à faire mourir, soit après la naissance, soit dans le sein de la mère, le fruit de l’adultère ne pourra être admis à la communion avant sept ans, et jiassera le reste de sa vie dans les larmes et dans l’humilité. » Can. 2 ; Hefele, trad. Leclercq, t. ii, p. 1064.