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INFANTICIDE


En dehors même de ces cas exceptionnels, le père, ayant tout pouvoir civil et religieux dans sa famille, Fustel de Coulanges, La cité antique, Paris, 1870, p. 96-97, est souverain absolu de tout ce qui naît chez lui. On dépose à ses pieds le nouveau-né ; s’il le relève, c’est la vie ; s’il le laisse à terre, c’est la mort ou l’abandon.

De telles pratiques remontent à l’origine même de Rome, puisque la légende de Romulus et Rémus les représente comme des enfants abandonnés et allaites par la louve. Elles prirent un accroissement e(ïra’ant avec les progrès de l’immoralité, dans les derniers temps^ de la république et au début de l’empire. Ovide' nous montre un homme de condition obscure, mais libre, Leydus, qui dit à sa femme sa volonté sur l’enfant qui va naître : il souhaite que ce soit un fils ; car la charge d’une fille est trop lourde pour lui, et il termine par cette menace attristée :

… Quod abominor, ergo Edita forte tuo fuerit si femina partu, Invitus mande ; pietas, ignosce ; nccetur.

Melam., ix, 674-679.

Senèque compare sur ce point les mœurs de son temps aux mœurs plus pures d’autrefois. Consolât, ad Marciam, xix : « Autrefois, c'était la ruine d’un vieillard que de rester seul. Maintenant, c’est un si beau titre à la puissance, que l’on en voit qui feignent la haine contre leurs enfants ; ils les désavouent et vident leurs maisons par le crime. »

Que l’on ne doive pas généraliser, c’est évident. La famille romaine était une institution vraiment sacrée et la plupart des pères avaient pour leurs enfants, même nouveau-nés, l’amour et le dévouement que la nature met au cœur des parents. Et pourtant la fréquence des infanticides est indiscutable ; et les apologistes chrétiens avaient beau jeu de repousser sur ce point les calomnies populaires contre la religion du Christ : il leur suffisait de retourner l’argument contre les accusateurs et, après avoir rappelé les lois de l'Évangile qui ordonnent de respecter le vie humaine, de peindre comme contraste les mœurs impures et atroces du paganisme.

Tertullien, par exemple, dit dans son Apologétique, IX : "Je m’adresse maintenant au peuple. Combien parmi vous, hommes altérés du sang des chrétiens, combien de vos magistrats, si équitables pour vous, si rigoureux contre nous, je pourrais confondre par le reproche trop fondé d’avoir ôté la vie à leurs enfants au moment de leur naissance I Vous ajoutez encore à la cruauté par la façon dont vous les faites mourir : vous les noyez ; vous les faites périr de froid ou de faim ; vous les donnez à manger aux chiens : ce serait une mort trop douce que de mourir par le fer. » P. L., t. I, col. 318-319.

Minucius Félix n’est pas moins formel : « Je veux m' expliquer maintenant avec celui qui dit ou qui croit que notre initiation comporte le meurtre d’un enfant dont nous buvons ensuite le sang. Crois-tu possible qu’un corps si tendre et si petit puisse recevoir des blessures mortelles ? que quelqu’un ait le courage de frapper ce nouveau-né qui est à peine un être humain, de verser et de boire son sang ? Personne ne le peut croire que celui qui oserait le faire. Je vous vois, en effet, tantôt exposer vos enfants aux oiseaux et aux bêtes, tantôt les faire périr d’une mort misérable en les étranglant. Il y a des mères qui avalent des médicaments pour tuer l’embryon dans leur propre sein et qui commettent ainsi un homicide avant d’avoir enfanté. Et tout cela découle de l’exemple de vos dieux. Saturne n’a pas exposé ses enfants, il les a dévorés : c’est donc avec juste raison que, dans certaines parties de l’Afrique, des parents lui venaient

immoler leurs enfants, en étouffant leurs cris sous les baisers et les caresses pour ne pas immoler une victime en pleurs. » Octavius, 30, P. L., t. iii, col. 333-335 ; trad. Rivière. Saint Justin et les apologistes du second siècle, Paris, 1907, p. 35-36.

Jusque sous le règne de Constantin, Lactance, en même temps qu’il essaie de montrer à l’empereur l’atrocité de telles mœurs, témoigne qu’elles n’ont pas cessé d’exister : « Ce n’est pas parmi nous, mais parmi eux qu’on trouve des gens qui… étranglent leurs enfants ou, s’ils ont quelque pitié, les exposent. » Instil. divin., v, 9, P. L., t. vi, col. 578. « Il est impossible d’accorder que les pères aient le droit de faire mourir leurs enfants nouveau-nés ; car c’est là une impiété monstrueuse. Car Dieu donne l'àme pour la vie, et non pour la mort. Comment se fait-il donc qu’il y ait des hommes qui ne pensent pas souiller leurs mains en enlevant à des êtres à peine formés la vie qui vient de Dieu et qu’ils ne leur ont point donnée ? Épargneront-ils le sang étranger, ceux qui n'épargnent pas le leur propre ?… Que dire aussi de ceux qui croient devoir, par pitié, les exposer ? Peut-on les regarder comme innocents, eux qui jettent en proie aux chiens leurs propres entrailles et tuent leurs enfants plus cruellement que s’ils les étranglaient ?… Et quand même il arriverait que l’enfant exposé trouvât quelqu’un qui se chargeât de le nourrir, le père serait-il moins coupable pour avoir livré son propre sang à l’esclavage ou à la prostitution ?… Certes, autant vaut tuer son enfant que l’exposer. » Institut, div., vi, 20. P. L., t. VI, col. 708.

Des lois impériales avaient vainement essayé d’enrayer cette plaie. Une loi De agnoscendis et alendis liberis. Digeste, XXV, ni, 4, tente de faire honte au père qui expose son enfant : Necare videtur non tantum is qui partum perfocat, scd et is qui abjicit, et qui alimonia denegat, et is qui publicis lacis, misericordiæ causa, exponit quani ipse non habet. Constantin alla plus loin ; il régla le sort des enfants exposés et recueillis, P. L., t. viii, col. 352-353, des enfants vendus, ibid., col. 397 ; dès 315, il avait organisé une charité officielle en faveur des parents que la pauvreté pourrait porter à abandonner leurs enfants : « Que toutes les villes d’Italie aient connaissance de cette loi, dont le but est de détourner la main des pères du parricide et de leur inspirer de meilleurs sentiments. Si donc quelque père a des enfants auxquels sa pauvreté l’empêche de donner des aliments et des vêtements, ayez soin que notre fisc et même notre domaine privé leur en procurent sans délai ; car les secours à donner aux enfants qui viennent de naître ne comportent pas de retard. » Loi De alirnentis quæ inopes parentes…, P. L., t. viii, col. 121 ; trad. Troplong, De l’influence du christianisme sur le droit civil des Romains, Paris, 1868, p. 272. Mais ces mesures, si sages qu’elles fussent, ne pouvaient changer les mœurs, et nous verrons l'Église obligée, longtemps encore, de lutter contre l’habitude de l’infanticide.

Chez les Gaulois et les Germains.

Les mœurs de ces peuples reconnaissaient au père un pouvoir souverain sur sa famille, avec droit de vie et de mort. Toutefois dans la pratique, il y avait, entre la palria potestas du droit romain et le mundium du droit germanique, plus qu’une nuance : ce dernier impUquait plus que l’autre l’idée de protection et de défense au profil de l'être faible.

Dans certaines parties de la Germanie, notamment chez les Frisons, le père a le droit de tuer ou d’exposer son enfant tant qu’il n’a pris aucune nourriture ; mais dès qu’il a pris du lait et du miel, il est devenu memlire de la famille et le père n’a plus le droit de s’en débarrasser.

Chez les triljus voisines du Rliin, « le nouvcau-né.