Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 7.2.djvu/233

Cette page n’a pas encore été corrigée
1715
1716
INFAILLIBILITE DU PAPE


sagcr cette hypothèse ; mais les canonistes dos xii" el xine siècles, connaissent et commentent le texte de Gratien. Tous admettent sans difficulté que le pape peut tomber dans l’hérésie comme dans toute autre faute grave ; ils se préoccupent seulement de rechercher pourquoi et dans quelles conditions il peut, dans ce cas être jugé par l’Église. C’est pour quelques-uns la seule exception à l’inviolabilité pontificale. Non potest accusari nisi de haresi, est-il dans la Summa Lipsi’ensLs (avant 11 90). D’autres équiparent à l’hérésie le schisme, la simonie, l’inconduitc, mais le péché contre la foi demeure toujours le cas type qui leur sert à régler la procédure. Il doit être question d’une affaire intéressant toute l’Église. Rufm (vers 11641170) résume ainsi les opinions de son temps : In ea (causa) quæ tolam Ecclesiam contingil judicari potest, sed in ea quæ unani personam vel plures non. Le même auteur précise qu’il faut entendre cette règle de l’hérésie obstinée. Prima sedes non judicabitur a quoquam nisi in fldei articulis pertinaciter erraverit. Ce qui suppose, pour Jean de Faènza que le pape coupable a été secundo et tertio commonitus. Il n’y a plus lieu dans ce cas d’invoquer la primauté : pour Huguccio († 1210) le pape est alors minor quolibet catholico.

A partir du xiii"e siècle, les Décrétalistes ont tendance à s’en tenir à la lettre de Gratien, que les Décrétistes étendaient volontiers à des cas similaires. Les premiers réservent donc le Jugement du pape pour le seul cas d’hérésie. Nisi in crimine h.rresis, dit Bernard de Pavie(† 1213), Excipitur unum solum crimen super quo Papa accusari possit, prononce le célèbre Hostiensis (Henri de Ségusio 1 1271). Mais l’éventualité de ce dernier cas est toujours prévue sans la moindre hésitation. Restreinte ou élargie la pensée de Gratien a dominé tout le droit canonique du moyen âge.

Fr. Schulte, Die Stcllung der Concilien, Papste und Bischôfe, Prague, 1871, p. 188-205 et Appendice 253-268 a dressé, à l’appui du « vieux catholicisme » un dossier très complet de ces textes pour la plupart inédits ou difiicilement accessibles.

2. Au xve siècle la même doctrine persiste encore chez de nombreux auteurs, qui, comme leurs devanciers, ajoutent que le pape est, en ce cas. immédiatement déchu de la dignité pontificale ou déposé par le fait même, Torquémada, Summa de Ecclesia, t. II, c. cxii, Rome, 1469, sans pagination. Selon d’autres théologiens, le pape peut, en ce cas, être jugé par un concile. Nicolas Tudeschi, ou Panormitanus († 1445). Commentaria in Décrétai., 1. 1, tit. iv, c. 4, n. 3, Venise, 1617, 1. 1, p. 108 ; Thomas Netter ou Waldensis ( 1 1430) Doctrinale aniiquitalum fidei Eccksiæ catliolicæ, t. ii, a. 3, c. 80, Venise, 1571, 1. 1, p. 397.

3. Au commencement du xiite siècle, l’opinion du cardinal Torquémada est reijroduite par Cajétan, De romani pontiftcis institutione et auctoritate, c. xiii, Opuseula omnia. t. i, tr. II l, Turin, 1582, p. 93 sq., et par Sylvestre de Priério, Summa si/lucstrina, art. Papa, n. 4, Lyon, 1594, t. ii, p. 276. A rencontre de cette assertion, Pighi affirme que, selon la promesse de Jésus-Christ, prise dans toute son étendue, Matth., XV !, 18, il est impossible que le pape soit hérétique, parce que, le fondement de l’Église faisant alors défaut ou cessant d’être uni à Jésus-Christ, il serait vrai de dire que les puissances de l’enfer ont prévalu contre l’Église. Pighi confirme sa conclusion par ce fait providentiel, certainement démontré, dit-iJ, qu’il n’y a eu jusque-là aucun pape hérétique, ce qui autorise à conclure qu’il n’y en aura point jusqu’à la fin des siècles. Hiérarchise ecclesiasticæ assertio, t. IV, c. viii, Cologne ; 1538, fol. cxxxi sq. Cette affirmation de Pighi fut aussitôt combattue par Melchior Cano, qui, après avoir rejeté la plupart des explications données par Pighi pour justifier plusieurs papes au

sujet de la foi, conclut que l’on ne peut nier que le souverain pontife puisse être hérétique, puisqu’en fait il y a un exemple ou peut-être deux. De lacis theologicis, t. VIII, c. vin. Opéra, Venise, 1759, p. 170. Cano fut suivi par Dominique Soto, In IV Sent, dist. XXII, q. ii, a. 2, Venise, 1575, t. i, p. 1040 ; Grégoire de Valence, Analysis fidci cathoUcæ, part. VIII, Ingolstadt, 1585, p. 310 ; Bannez, Commc/îta/ ; a in 11^^ II^, q.i, a. 10, dub. ii, Venise, 1602, col. 115 sq.

Pif ; hi eut cependant quelques défenseurs. Bellarmin soutint comme probable cette proposition extraite de Pighi : il est probable et l’on peut croire pieusement que le souverain pontife, considéré comme personne privée, ne peut être hérétique en adhérant avec opiniâtreté à une erreur contraire à la foi. Cette proposition est montrée conforme à l’ordre providentiel et appuj’ée par les faits. Il est plus conforme à l’ordre providentiel que celui qui doit, selon l’ordre établi par Dieu, confirmer tous les autres dans la foi, soit lui-même toujours à l’abri de toute défaillance privée. Sans doute. Dieu peut d’un cœur hérétique tirer la confession de la vraie foi, comme il mit autrefois des paroles vraies, dans la bouche de l’ânesse de Balaam. Mais ce serait violent et non selon l’ordre habituel de la divine Providence disposant toutes choses avec suavité. L’assertion est d’ailleurs corroborée par les faits. Toutes les objections historiques tirées des prétendues erreurs dans la foi enseignées par plusieurs papes sont discutées une à une, de manière à prouver la conclusion proposée par le savant controversiste. Ue romano pontipce, t. IV, c. vi sq.

4. Au xviie siècle, l’opinion de Pighi et de Bellarmin fut défendue comme probable par plusieurs théologiens, notamment par Suarez. De fidc, tr. I, disp. X, sect. VI, n. 12 ; Gravina († 1643), Catholicæ præscripiiones adversus hæreticos, q. ii, a. 5, dans Rocaberti, t. viii, p. 462 sq. ; Dominique de la Sainte-Trinité, De summo pontifice romano, sect. iv, c. xvi, dans Rocaberti, t. X, p. 458 ; d’Aguirre, Auctoritas infallibilis et summa cathedra ; sancti Pétri, tr. H, disp. XXV, sect. i, n. 2, Salamanque, 1683, p. 362.

Cette opinion fut aussi considérée comme probable par quelques théologiens dont la préférence était pour le sentiment de Cano, particulièrement par Nugno († 1614), Commentarii ac disputaliones in III^^S. Thomæ, q. xx, a. 3, dans Rocaberti, t. viii, p. 256 ; Tanner, In Summam S. Thomæ, t. iii, disp, I, q. iv, dub. ^^, dans Rocaberti.t. i, p. 37 ; Duval († 1638), De suprema romani pontificis in Ecclesia potestate, part. II, q. i, Paris, 1877, p. 100 sq. ; Théophile Raynaud († 1663), Corona aurea super mitram romani pontificis, Epilegomena, u, 7, Opéra, t. x, p. 146 sq. ; Vincent Ferré († 1682), Tractatus de virtutibus theologicis, t. i, q. xii, dans Rocaberti, t. xx, p. 395 sq. ; Brancati de Lauria († 1693), In III Sent., De virt. theoL, disp. VIII, a. 5, dans Rocaberti, t. vi, p. 1Il sq. ; et les théologiens de Salamanque, Cursus théologiens. De fidc, disp. IV, dub. I, n. 7 sq.

Nous arrêtons nos indications à la fin du xviie siècle, parce que, depuis cette époque, la controverse théologique présente peu d’intérêt, les positions restant les mêmes, el la question n’ayant le plus souvent, chez les théologiens, qu’une brève mention.

Conclusion théologique.

Bien qu’on ne puisse démontrer que, pour le pape considéré comme personne privée, le privilège de l’exemption de toute hérésie soit contenu dans le dogme de l’infaillibilité pontificale, on ne peut non plus démontrer que ce privilège soit inadmissible. On peut même estimer avec quelque probabilité, qu’étant donné le dogme de l’infaillibilité pontificale, l’existence de ce privilège, paraît plus conforme à l’ordre providentiel tel qu’il se manifeste habituellement à nous.