Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 7.2.djvu/22

Cette page n’a pas encore été corrigée
1293
1294
IMPERFECTION


c. XXI. N’est-ce pas là une intimation de conscience Impérative, nous obligeant sous peine de péché ?

Avant de répondre, nous devons prévenir une confusion regrettable que met en bien des esprits la signification extensive que nous donnons aujourd’hui aux mots : précepte, obligation. Nous disons aujourd’hui qu’il y a précepte et obhgation toutes les fois qu’une action nous est demandée sous peine de péché mortel ou véniel. Dans saint Thomas au contraire, les mots précepte et obligation, employés sans détermination restrictive, sont réservés aux intimations dont la transgression est péché mortel. Le précepte, c’est l’exigence absolue de la loi, créant pour nous l’obligation, c’est-à-dire la nécessité de choisir entre son exécution ou la séparation d’avec Dieu. Voilà pourquoi saint Thomas nous dit que le péché véniel, qui n’a qu’une ressemblance analogique avec le péché mortel, n’est jamais en contradiction avec le précepte, mais seulement en dehors du précepte, preeter legem. Il ne supprime pas le bien intimé par la loi, mais le diminue seulement en nous empêchant de choisir le mode rationnel d’exécution qui devait réahser pleinement les intentions de la loi. Peccatum veniale dicitur peccatum, secundum rationem imperfectam, et in ordine ad peccatum morlale ; sicut accidens dicitur ens in ordine ad substantiam, secundum imperjectam rationem entis : non enim est contra legem : quia venialiier peccans non facit quod lex prohibet, nec preetermittit id ad quod lex per prseceptum obligat, sed facit præter legem ; quia non observai modum rationis quem lex intendit. Sum. theol., I^’II*, q. Lxxxviii, a. l, adl’™. Ainsi donc, d’après saint Thomas, il y a deux sortes d’intimations de conscience : 1° celles qui nous dénoncent un précepte proprement dit, et qui nous obligent sous peine de péché mortel ; 2° celles qui nous proposent le mode rationnel de réaliser le bien demandé par le précepte. Ces secondes intimations ne nous obligent pas sous peine de péché mortel. Pourvu que nous réalisions le minimum du bien exigé par la loi, il n’y aura pas violation de la loi, omission ou transgression proprement dite, péché mortel, contra legem. Cum id quod cadit sub præcepto, diversimode possit impleri, non efficitur transgressor prsecepli aliquis ex hoc quod non optimo modo implet, sed

sufficit quod quocumque modo impleat illud non est

transgressor præcepti, qui non attingit ad medios perfectionis gradus, dummodo attingat ad infimum. Sum. theol., Il" 11^, q. CLxxxiv, a. 3, ad2’ira.Mais s’il n’y a pas péché proprement dit, péché mortel, il y a péché improprement dit, péché véniel, à refuser le mode que notre raison nous indique comme celui qui réalise pleinement les intentions de la loi. Ce refus est un vouloir déraisonnable, que ne saurait inspirer aucun motif d’amour de Dieu, irreferibilis ad ftnem charitatis, et échappant totalement aux directions de notre loi de vie, præter legem.

Il nous sera facile maintenant d’apprécier l’omission volontaire de l’œuvre de conseil qui nous est Intimée par une inspiration du Saint-Esprit.

Notons d’abord que l’œuvre de conseil peut devenir œuTe de précepte et s’imposer comme obligatoire, en conséquence d’un vœu ou à raison de circonstances exceptionnelles qui en font le seul moyen de réahser le bien exigé par le précepte. Le céUbat, qui n’est que de conseil, devient obligatoire pour ceux qui l’ont voué. Rendre service à son ennemi est ordinairement œuvre de conseil. Le faire en cas d’extrême nécessité est absolument de précepte. Sum. theol. IIa-IIæ, q. XLra, a. 7, ad 4°^n>.

En dehors de ces cas exceptionnels, l’inspiration du Saint-Esprit, si nettement reconnue qu’elle puisse être, ne nous impose jamais l’œuvre de conseil sous peine de péché mortel ; même s’il s’agit d’une décision

grave qui engage toute notre vie, d’une entrée dans les ordres ou en religion.

Mais si l’inspiration du Saint-Esprit qui nous intime l’œuvre de conseil n’est pas impérative au sens strict du mot, nous obhgeant sous peine de péché mortel, elle est impérative au sens large, et nous ne pouvons la décliner sans péché véniel. C’est qu’en effet, en pareil cas, nous n’avons plus aucun des motifs raisonnables cités plus haut de décliner l’œuvre de conseil. Le Saint-Esprit nous la propose non seulement comme possible, mais comme l’œuvre qui est, pour l’instant, celle qui nous convient le mieux, la vraie réalisation de la loi de notre propre vie. Gomment motiver et justifier notre omission ?

Repousser cette œuvre pour le seul motif qu’elle n’est pas absolument obhgatoire ne serait pas raisonnable, ainsi que le note Billuart dans le passage cité plus haut : Qui ergo omittere vellet actum non prseceptum, … præcise et solum quia non tenetur… maie faceret.., lune enim ista voliiio esset oiiosa, carens pia uiilitate aul justa necessitate. A vrai dire, quand nous nous donnons ce motif, ce n’est qu’un prétexte couvrant le motif peut-être inavoué, mais toujours très réel de l’amour désordonné de notre repos ou des biens inférieurs dont l’œuvre de conseil menace de nous priver. Nous disons amour désordonné, puisque nous préférons ce repos ou ce bien naturel au bien divin du progrès de notre charité.

L’œuvre que nous choisissons alors, de préférence à l’œuvre de conseil, peut encore être bonne et méritoire ; mais avant de la vouloir, nous avons écarté l’œuvre meilleure par un refus déraisonnable. C’est en vain que Lehmkuhl, t. i, n. 109, tout en reconnaissant qu’en pratique ce refus est le plus souvent péché véniel, essaie d’exphquer qu’il peut être parfois justifié par l’amour du bien honnête qui se trouve dans l’œuvre moins bonne. Un ouvrier auquel j’offre cinquante centimes pour une heure de travail et cinq francs pour deux heures, préfère l’heure de travail à cinquante centimes, bien qu’il se sente tout à fait capable de faire, sans inconvénient, les deux heures de travail à cinq francs. Ne venez pas dire que son refus des deux heures de travail est inspiré par l’amour de l’argent. Non, impossible de rattacher d’une façon quelconque à l’inspiration de la charité le refus de l’œuvre de conseil que l’Esprit-Saint me propose. Ce refus est péché véniel, irreferibilis ad finem charitatis. Lehmkuhl reconnaît lui-même qu’en pareil cas, ce refus est négligence, t. ii, n. 360. Mais la négligence, qui est péché mortel quand il s’agit d’acte imposé par un précepte proprement dit, est péché véniel quand le bien négligé, n’étant pas de nécessité de salut, est refusé, sans mépris, par manque de ferveur dans l’exercice de la charité. Si negligentia consistai in prœtermissione alicujus actus vel circumstanttæ, quae non sit de necessitate salutis, nec hoc fiât ex contemplu, sed ex allquo defectu fervoris, qui impeditur interdum per aliquod veniale peccatum, tune negligentia non est mortale peccatum, sed veniale… Minor amor Dei polesi intelligi dupliciler : uno modo per defectum fervoris charitatis : et sic causatur negligentia quæ est per peccatum veniale ; alio modo per defectum ipsius charitatis… et tune causatur negligentia quæ est peccatum morlale. Sum. theol, II" II’", q. uv, a. 3, in corp. et ad 1 "’".

Cette négligence de l’inspiration du Saint-Esprit constitue l’omission véniellement coupable dont saint Thomas écrit encore : Sicut omissio opponitur prœceptis affirmativis, ita trangressio opponitur præceptis negativis ; et idco utrumque, si proprie accipiatur, importai rationem peccati mortalis ; potesi autem large dici transgressio vel omissio, ex eo quod aliquid fit prœter præcepta affirmativa, vel negaliva, disponens ad oppositum : et sic utrumque large accipicndo, potest