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IMPERFECTION


nous avons à chaque instant besoin. » Tu invoqueras le Seigneur ton Dieu. Tu soulageras de ton propre bien les misères spirituelles et temporelles de ton frère. Tu développeras les forces vives de ton corps et de ton âme. » Très bien ; mais, où, quand, comment, dans quelle mesure, par quels moyens suis-je tenu de réaliser toutes ces fins ? Voilà ce que les casuistiques les plus fouillées ne sauraient jamais me dire.

C’est de l’intérieur et seulement de l’intérieur, que peut monter la voix définitivement obligatoire qui me dira : « Attention ! Voici pour toi l’heure de rendre à Dieu le culte qui lui est dû, prie de telle façon ; voici le moment d’observer le précepte positif de la charité fraternelle, fais telle aumône ; voici comment, en cet instant, tu dois observer le précepte du travail, fais telle étude ; car cette oraison, cette aumône, cette étude sont exactement proportionnées aux forces et aux grâces qui te sont départies et appartiennent au programme qui constitue ta loi morale à toi, le mode individuel dont les formules générales de la loi te sont applicables. »

Ces divines intimations, proportionnées au degré Individuel de vie qui m’est départi, ne me demanderont que des actes de vertu commune, tant que ma vie ne s’élèvera pas au-dessus du niveau moyen ; mais dès que des grâces abondantes me donnent pour le bien une puissance plus qu’ordinaire, les intimations divines deviennent plus exigeantes. C’est alors qu’elles me proposent ces manières excellentes d’honorer Dieu, de servir le prochain ou de me perfectionner moi-même, qu’on appelle œuvres de conseil au sens strict du mot. Ces œuvres de conseil sont, ou bien la pratique habituelle et constante des trois conseils évangéliques d’obéissance, de chasteté, de pauvreté dans l’état religieux, ou les sacrifices de volonté personnelle, de joie sensible et d’utilité, que demande toujours une pratique généreuse du bien dans la vie du monde et que saint Thomas rattache avec raison aux trois conseils évangéliques. Sum. iheoL, Ia-IIæ, q. ovin, a. 4.

Au sujet de ces intimations d’œuvres de conseil. deux questions se posent : 1° Y a-t-il intimation de conscience, toutes les fois qu’une œuvre de conseil m’est proposée comme possible et si non, comment distinguer d’imaginations sans valeur, la véritable intimation de conscience ? 2° L’intimation intérieure de l’œuvre de conseil une fois reconnue est-elle vraiment impérative ?

A peine est-il besoin de rappeler cette vérité évidente que toutes les pensées d’œuTe de conseil, qui peuvent nous venir à l’esprit ne sont pas des intimations de conscience. L’œuvre de conseil, si excellente qu’elle soit, n’est pas un bien en soi. Elle n’est pas la charité, mais seulement un moyen de la développer, un moyen qui devient bon ou mauvais, selon qu’il est employé à temps ou à contre-temps, et en proportion ou disproportion avec la force morale, avec la vertu de celui qui l’emploie. Les œuvres sont en effet l’aliment de ce feu spirituel qu’est la charité ; mais l’anthracite, qui est le meilleur aliment du feu de forge, éteint les petits foyers. De là vient que l’œuvre de conseil, proposée aux hommes, en général, comme l’aliment d’une vie spirituelle supérieure, ne convient pas à tous et à chacun. Consilia, quantum est de se, sunt omnibus expedientia ; sed ex indispositione aliquorum contingit quod alicui expedientia non sunt ; quia eoTum affeclus ad hwe non inclinatur : et ideo Dominus consilia euangelica proponens, semper jacil mentionem de idoncilate hominum ad observantiam consiliorum : dans enim consilium perpétuas paupertatis (Matth., xix) prœmitlit : « Si vis per/ectus esse » et postea subdit : Vade, et vende omnia quæ habes. » Simililer dans consilium perpclux castilatis, cum dixit : « Sunt eunuchi,

qui castraverunt scipsos propter regnum cidorum, statim subdit : ’Qui potest capere, capiat. » El similiter apostolus (I Cor., vii) præmisso consilia virginitatis, dicit : « Porro hoc ad utilitatem ve.slram dico, non ut laqueum vobis injiciam. « Cf. S. Thomas, Sum. IheoL, I’II’, q. cviii, a. 4, ad h"".

Avant de devenir intimation, l’idée de faire une œuvre de conseil, si excellente que paraisse cette œuvre en elle-même, doit être mise en délibération : consilium in optione ponitur ejus cai datur. Ibid., in corp. Cette délibération n’est pas seulement requise pour des acceptations d’œuvres de conseil qui engagent toute une vie, mais aussi pour l’acceptation raisonnable et méritoire des œuTes de conseil particulières qui ne sont pas déjà manifestement impliquées dans notre condition habituelle de vie. C’est qu’en effet il est des états dont le programme de vie comporte un certain nombre d’œuvres de conseil. Les exercices de piété du séminariste, les pratiques indiquées au religieux par la règle qu’il professe sont des œuvres de conseil qui, à moins de circonstances exceptionnelles, sont objet normal d’intimation de conscience. Il est rare que séminariste et religieux puissent dire : « Il m’est bon d’omettre ces œuvres, leur omission favorisera le développement normal de ma vie de charité. » C’est ce jugement, en effet, qui peut seul légitimer l’omission de l’œuvre de conseil et la légitime dans tous les cas où c’est l’imagination et non point le Saint-Esprit qui nous la propose.

Une fois l’idée de l’œuvre de conseil possible jetée dans notre esprit, nous la repoussons ou nous l’acceptons en vertu d’un jugement de valeur qui relève, comme tout acte moral, de la loi fondamentale de toute vie : Crescite. Nous la repousserons et en cela nous ferons acte méritoire : 1° si elle empêche une autre œuvre qui, tout en étant plus modeste, rentre plus sûrement dans nos devoirs d’état, propter occupalionem honestam ; 2° si elle impose à notre prochain une gêne que nous devons en chai’ité lui épargner ; 3° si le sacrifice qu’elle nous demande nous enlève des joies naturelles dont nous avons besoin pour la récréation normale et par conséquent pour le progrès normal d’une vie qui n’est pas encore au niveau de l’œuvre de conseil proposée ; 4° si la fréquente répétition de ces idées d’œuTes de conseil crée une préoccupation et des scrupules qui deviennent un embarras et une cause de troubles pour notre vie morale. — Tels sont les principaux motifs pour lesquels nous pouvons juger raisonnablement que l’idée de l’œuvre de conseil ne nous vient pas du Saint-Esprit, qu’elle est simple jeu d’imagination et qu’il nous est utile de l’omettre. L’omission ainsi motivée est méritoire, parce qu’elle est vraiment secundum /effem, inspirée par la charité, par le souci de défendre le développement normal de notre vie d’amour.

Mais il est nombre de cas où, en loyauté, nous ne trouvons aucun motif raisonnable de décliner la proposition de l’œuvre de conseil. Notre conscience nous dit clairement que cette œuvre, un peu crucifiante pour la nature, sera tout à l’avantage de notre vie de charité, sans inconvénient pour le prochain, sans autre inconvénient pour nous que la peine de l’ellort qu’elle nous demande. Il ne s’agit plus ici d’un rêve d’imagination, d’orgueil ou d’esprit propre, mais d’un appel de l’Esprit-Saint, dont les inspiralions sont la loi intime du chrétien, la seule loi vivante et complète de tous les justes de l’Ancien et du Nouveau Testament, Sum. theol., I’IL^^, q. cvi, a. 1, loi écrite, mais aussi parlante, au plus profond de leurs cœurs, selon cette parole de saint Augustin : Qux sunt leges Dei ab ipso Deo scriptæ in cordibus, nisi ipsa prsesenlia Spiritus Sancti ? De spirilu et litlera,