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IMPERFECTION


est-il un mal motivé par l’imperfection sans être une peine ? Et comment un acte regrettable peut-il être le motif d’un mal aussi grave, sans être une faute, être objet de pénitence sans être matière à confession ? Les contradictions pratiques auxquelles aboutit la même théorie ne sont pas moins étranges. Un séminariste omet sans raison sa méditation pendant une journée de vacances ; la méditation n’est que de conseil : pas de péché, imperfection. Le lendemain, il la fait, mais avec quelques distractions : péché véniel. Un jeune catholique préfère une lecture récréative à une réunion d'études sociales, où l’on a besoin de son concours ; imperfection peut-être, mais jamais de péché. Son voisin, plus zélé, y va, mais y dépasse la mesure en discutant ; péché véniel, etc…. On pourrait multiplier les exemples.

Conscient de ces difficultés, Lehmkuhl, après avoir très bien résum la doctrine de De Lugo dans les termes cités plus haut, ajoute sagement : Verum lamen est, sœpe in commillendo ejusmodi defedu vel imperfectionc lalere aliquod peccatiim veniale inlentionis seu finis levilcr mali. Theologia moralis, 12e édit., t. ii, p. 360. Le correctif n’est pas suffisant ; même avec ce correctif, le paragraphe précité de Lehmkuhl comporte une double erreur. 1° L’omission voulue de l'œuvre de surérogation qua tali est pure fiction du théologien. En pratique, toute om’ssion volontaire ne peut être qu’une omission quali fiée par l’intention de la volonté qui en délibère. 2° Si cette omission est néghgence. ncglectus, elle est non pas seulement souvent, mais toujours qualifiée par une intention désordonnée, car si l’intention est bonne, l’omission voulue est méritoire et ne peut pas être appelée négligence. L’omission voulue de l'œuvre de conseil est bonne ou mauvaise comme tout autre acte humain. Pas de moyen terme. Voyons maintenant quand elle est bonne et quand elle est mauvaise. IIL L'œuvre de conseil et son omission. — Pour bien comprendre ce qu’est ^œu^Te de conseil et apprécier comme il convient son omission, il faut avoir l’idée vraie de ce qu’est la loi morale et de ce que sont ses diverses intimations.

Crescite et multiplicaniini… et doniinamini. Gen., i, 28. Vivant, développe ta vie. Homme, deviens plus homme en semant autour de toi une vie spirituelle ou matérielle faite à ton image et en régnant sur toutes les forces de la nature inférieure. Fils de Dieu par le Christ, n'étouffe pas, mais laisse s'épanouir la charité que te met au cœur l’Esprit-Saint et par où tu ressembles à ton Père céleste qui est amour : Eslote perfecti sicut et patcr vester cœlestis perfectus est, Matth., v, 48 ; Deus charitas est, I Joa., iv, 8. Voilà la loi morale. Cette loi n’est pas un règlement de police, une limite imposée du dehors à ma liberté, comme trop de casuistes se la représentent ; elle est l’expression du vouloir-vivre le plus intime de mon être humain et chrétien, non seulement de ses aspirations spécifiques, mais des aspirations individuelles qui sont la manifestation de ma vocation personnelle, du programme de vie que Dieu m’a donné.

Nous ne devons pas avoir crainte d’affirmer cet individualisme des intimations de la loi morale, en réponse à la question que M. Fouillée pose à la morale spiritualiste : « On ne veut pas que je prenne pour règle naturelle ce qui m’est commun avec les animaux, mais seulement ce qui m’est commun avec les autres homm ?s ; pourquoi se borner là? J’ai en moi quelque chose qui m’est encore beaucoup plus propre que l’humanité en général, à savoir moh caractère propre, mes tendances individuelles, ma volonté personnelle, mon moi. Pourquoi la morale qui consiste à suivre la nature ne consisterait-elle pas à suivre ma nature individuelle ? » Critique des systèmes de morcde contemporains, Paris, 1899, t. VI, c. iii, p. 113. |

Ouil la loi morale, prise dans l’intégrité de ses directions vivantes, de ses intimations de conscience et non pas seulement considérée dans les formules abstraites de sa codification extérieure, est aussi individuelle que la conscience d’où elle jaillit et qu’elle régit. Elle est bien l’intimation de la loi éternelle e( de l’idée divine ; mais la loi éternelle, une à raison de l’acte divin qui la pose et de l’unité d’ordre qu’elle constitue, contient dans cette unité les mille singularités de tous les actes dont elle est le type, aussi bien que les caractéristiques individuantes de tous les cœurs qui en dépendent. S. Thomas, Sum. theol., I' IJb, q. xciii, a. 1 et 3. Ses préceptes sont multiples et divers, non seulement à cause des multiples et diverses circonstances dans lesquelles l’homme peut se trouver, mais à raison des singularités intrinsèques à chaque individu. C’est en réalisant les aspirations vraies, mises par Dieu au fond de mon être, que j’apporterai au bien universel la part de coopération que je lui dois. De là vient que les formules écrites sont impuissantes à exprimer la loi morale tout entière. L’idée et la parole de l’homme n’ont pas lu perfection de l’idée divine, leur universel abstrait ne peut pas enserrer dans ses représentations toute la réalité du singulier. C’est donc en vain que nous chercherions dans des formules extérieures et générales l’expression adéquate de toutes les exigences de la loi éternelle. Il n’y a pas de science, mais seulement une conscience de la réalité concrète et vivante d’un acte moral. En morale, comme dans toutes les connaissances ordonnées à l’organisation de l’action, jamais la formule livresque ne peut donner le dernier mot de la direction pratique.

Et cependant, parce que tous les individus humains ne sont que les multiples réalisations d’une nature commune et parce que tous nos actes sont les éléments d’une œuvre commune, dont l’unité divine est le principe et le terme, toutes les intimations individuelles de la loi morale se rattachent à des directions générales, qu’il est facile de formuler. Ces directions générales sont elles-mêmes toutes orientées vers un centre unique, vers le bien qui est à la fois le principe et la fin de l'être créé, de l’individu comme de la nature. La créature intelligente et libre, régénérée par la grâce, deux fois œuvre de Dieu, ne peut arriver au plein épanouissement de sa vie qu’en s’unissant par l’amour, à celui qui seul peut parfaire ce qu’il a seul commencé. Aimer Dieu et, du même coup, vouloir toute l’expansion possible du bien divin et en particulier sa communication aux hommes qui sont, comme nous, capables d’en jouir ; aimer Dieu et le prochain, voilà toute la loi. Seront bons tous les actes inspirés par cet amour, secundum legem ; seront péchés mortels tous les actes contraires à cette loi d’amour contra legeni ; seront péchés véniels tous les vouloirs qui, sans être inconciliables avec les dispositions habituelles demandées par la loi d’amour, échapperont totalement à son inspiration, præter legem.

De cette loi d’amour dérivent immédiatement des préceptes affirmatijs intimant les biens particuhers à poursuivre par celui qui aime et des préceptes négatifs prohibant tout acte incompatible avec l’amour, injurieux à Dieu ou au prochain. Ces prohibitions s’expriment bien plus facilement que les préceptes en formules qui serrent de près la réalité ; car la proposition négative, excluant tout ce qui rentre sous l’extension de son attribut, n’a pas besoin de déterminations ultérieures, à moins qu’elle ne retienne, avec des exceptions, une part d’aflirmation. » Tu ne blasphémeras pas. Tu ne calomnieras pas. « Voilà qui est net et règle immédiate d’action. Les préceptes affirmatifs, au contraire, ne peuvent pas. dans leurs formules, nous donner les dernières précisions dont