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INDIFFERENCE RELIGIEUSE


Il y a d’ailleurs de nombreux problèmes particuliers, tourmetitanL l’àine humaine toujours, qui n’ont d’explication quelconque qu’en Dieu immédiatement : oripines de l’humanité, vie future, péché, douleur, sanctions intégrales, histoire religieuse de l’humanité comme elle s’est en fait déroulée. Pour résoudre tout cela, peut-on recourir au dilcttanlisme ? C’eril une attitude superficielle de quelques littérateurs peu sincères : la vie est une chose sérieuse. Au pessimisme ? C’est un suicide intellectuel, par trop contraire à la confiance universelle indéracinaljle en la vie et en la raison humaine. A la science luiturelle ? Elle a fait assurément banqueroute dans ses prétentions à s’attaquer

ces problèmes-là. A la philosophie rationnelle seule ?

C’est un fait historique trop évident que celle-ci. ou ne fait que poser des questions à la porte du mystère inaccessilile, ou ne fait que tracer sur cette porte de vagues mots confus et contradictoires. I^a religion au contraire, toutes les principales religions ont des solutions précises sur tous ces problèmes de l’esprit humain : impossible de ne pas s’occuper de religion.

b. Comme l’esprit, la volonté a besoin de religion. C’est en etTet la force qui, en nous, pousse au bien, au bien moral, au bien dans l’ordre parfait et intégral, pour maintenant et pour toujours. Or comment trouver hors de Dieu, le fondement dernier ou le motif absolu ou la fin dernière de cet ordre moral parfait, obligatoire à notre volonté et la règle imprescriptible de la voie qui conduit à cette liii, et les secours dont notre misère présente trop évidente a besoin pour marcher sans tomber ou du moins sans rester écrasé dans les ornières, sur cette voie ? Le tout de l’ordre moral, ce sans quoi rien ne lient de l’obligation vraie comme de la science des mœurs, c’est le bien absolu, le législateur premier absolu, la suprême bonté et justice et providence, enfin le suprême aimable, le suprême amour à qui doivent appartenir tous les cœurs ou volontés libres. Dieu.

Ici encore à quel expédient recourir, si on met Dieu de côté ? Utilil(trisme individuel ou social ? (^hose trop relative et trop hypothétique et trop mesquine. Diclamen de la conscience personnelle ? On ne))eut se commander à soi-même que par manière de dire et, en réalilé, si je suis mon seul législateur, c’est l’anarchie. Sentimentalisme de l’honneur, de l’honnêteté ? C’est chose trop hypothétique, restreinte et fragile, qui croit encore à la bonté pure de la nature connue Rousseau. Culte de la bonne conscience à satisfaire pour jouir de ses approbations profondes ? C’est de nouveau par trop relatif, hypothétique, fragile et faible presque toujours. Il reste encore la crainte du gendarme et des sanctions humaines diverses, mais c’est là une morale de bêtes se mangeant à qui mieux mieux, suivant leur force et leur habileté. Knfin il y a la solidarité que la science mettra toujours plus en relief : c’est le dernier mot de nos moralistes modernes irréligieux ; mais qu’est-ce que cela contre les liassions, contre la logique de l’indépendance personnelle, contre la iiolitiqiie du plus forl.

On peut cependant objecter encore : que d’honnêtes gens, en fait, sans religion 1 Celle-ci n’est (loue pas nécessaire à l’homiêleté et à la morale C’est un fait, dites-vous, est-il bien sûr ? Que penser de cet autre fait, certain celui-là, de l’immoralité croissant toujours et jusqu’à des proportions abominables dans les sociétés qui perdent la religion : Grèce, l^ome. États modernes ? Sans religion, il y a de l’honnêteté pour certaines vertus sociales, surtout extérieures : loyauté, justice, dévouement, mais les vies jirivées sont-elles si honnêtes que cela en dehors de la religion et ne sullit-il pas ici de faire allusion à la baisse etfrayanle de la natalilé partout où In religion s’en va ? Ces « honnêtes », d’ailleurs, ne sont-cc jias des « parasites » de

la société religieuse dans laquelle ils ont historiquement grandi, formés par son influence diffuse dans toute cette civilisation qu’elle a pétrie ? Cf. Balfour, The foundalions of bclief, Londres, 1895, p. 82-83. Une société athée logiquement, en effet, ne pourrait que se détruire elle-même finissant « naturellement par une épidémie de suicide anesthésique. » Le Dantec, L’athéisme, Paris, 190(), p. 95, 113. Voir spécialement de Broglie, La morale sans Dieu, Paris, 1886 ; J.-F. Fox, Religion and Moralitij, New York, 1899 ; P. Gillet, Devoir et conscience ; Fondement intellectuel de la morale ; Paris, 1910 : E. Faguet, La démission de la morale ; A. Eymieu, La loi de la vie, Paris, 1921, 1. IV et V.

c. Enfin /(’cœur humain a autant que notre esprit et notre volonté besoin de la religion ; le cœur, c’est-à-dire cette faculté sensitivo-spirituelle comjilexe, formée de l’appétit sensitif et de la volonté considérés dans leur côté passif par où ils sont attirés à leur objet pour s’y complaire ou l’aimer. Le cœur cherche le bonheur, stable et parfait, et cela par un désir sortant de ses entrailles les plus intimes. Or rien ici-bas ne peut lui donner un tel bonheur, ni biens extérieurs : voluptés ou richesses — honneurs ou gloires ou pouvoirs et dominations — amitiés ou amours même les plus intenses : non le cœur y soutire et y reste malgré tout trop vide et s’y jicrd trop vite ; d’ailleurs, combien peuvent remplir de ces vins-là leur coupe, même jK’tite. Ni biens intérieurs de P « me purement humains : sciences, arts, littérature, vertus naturelles en travail de mystique naturelle, même poursuivie avec ardeur : non, l’âme y est trop superficiellement remplie, les désirs excités y sont tro]) inassouvis, la misère humaine y traîne trop son boulet jiartout et les voies de perfectionnement moral, où l’on s’engage avec sa seule petite lampe individuelle et ses seules provisions personnelles, sont trop ténébreuses et trop ardues. D’ailleurs tout cela, aristocratie inaccessible à la pauvre foule humaine qui a pourtant elle aussi droit au bonheur, puisqu’elle est humaine.

VA puis il y a les épreuves, les iieines, les angoisses, les chagrins, les douleurs sans nombre de notre vie terrestre : où trouver la consolation, la patience, la force, la force de vivre quand même dans la privation de tout ce qui faisait la joie humaine de vivre ?

Dans la religion seulement : fait d’expérience, de l’expérience la plus douce jiour ceux qui l’ont vécue, d’une expérience désirée, regrettée, enviée pour beaucou ]) d’autres quand ils ont parL’sincèrement. Voir S..’Vugnstin, Con/essions, I. I, c. i ; W. Jumes, L’expérience religieuse, trad. F. Abauzit, 2^ édit., Paris, 1908, c. viii-xii, et surtout conclusion, p. 405 sq., « l’utilité de la vie religieuse » ; Mgr Baunard, Le doute et ses victimes, 2 vol. ; M..Serol, Le besoin et le devoir religieux, Paris, 1908 ; Mgr Bougaud, Le christianisme et les temps présents, t. i ; A. Nicolas, L’art de croire, t. i ; E.xpÉniENCE religieuse, t. v, col. 1847.

c) Considérations historiques. — L’homme a toujours été « un animal religieux », de Quatrefages, L’espèce humaine, c. xxxv ; les exceptions à cette définilion ont toujours été minimes en face des milliards d’âmes humaines dont la vie fut dans son fond surtout une vie religieuse. On n’a qu’à comjiulser là-dessus les tra aux accumulés depuis quelques années sur l’ethnologie religieuse, je ne parle pas des pamphlets comme VOrpheus de S. Reinarh. Voir Huby, Christus, manuel de l’histoire des religions, 2*^ édit., Paris, 1920 ; Bri<-out, Où en est l’histoire des religions, 2 vol. in-8°, Paris, 1911 ; Th. Mainage, La religion de l’homme primitif, Paris, 1921 ; De Broglie, Problèmes et conclusions de l’histoire des religions, 4’-- édit., s. d. ; F. Nicolaij, Histoire des croyances, 1. 1, c. i-v.

Nos indiiférents objecteront sans doute que l’humanité précisément évolue et que la religion s’en va