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INDÉPENDANTS


allaient donner à ses adversaires indépendants les moyens de le combattre. Les succès de l’armée parlementaire contre les troupes royales avaient été assurés surtout grâce aux régiments formés par les indépendants. La conduite militaire et politique de la lutte se concentrait de plus en plus entre les mains d’un seul homme, lui-même indépendant, Olivier Cromwell. Il est vrai que sous ce vocable se cachait un véritable chaos rehgieux. Richard Baxter, qui fut chapelain dans l’armée du Parlement et vit le protecteur de très près, déclare que le nombre des sectaires y croissait tous les jours. L’assemblée synodale de Londres, tenue en 1653, distingue, à côté des épiscopaliens et des presbytériens, ceux qui affirment que le Christ n’a pas institué de ministres dans son Église, ceux qui affirment que les ministres de l’Église d’Angleterre sont antichrétiens, ceux qui, dans la Vieille et dans la Nouvelle Angleterre, suivent la « voie congrégationaliste » tout en admettant que les ministres de l’Eglise établie sont vraiment ministres. Et parmi ces derniers, Baxter, à la même date, distingue encore deux courants : ceux qui affirment l’égalité complète des ministres et des Églises, sans aucun supérieur, ni évêques, ni synodes, ni gouverneurs, le ministre étant la seule autorité, et ceux qui affirment que chaque congrégation doit être gouvernée par les votes du peuple, dont le pasteur a simplement pour office de proclamer et d’exécuter les volontés.

En tout cas, dès 1641, la lutte est ouverte entre presbytériens et indépendants. La polémique l’accompagne. Elle porte sur trois points principaux : d’abord l’ordination des ministres, puis l’exercice de l’autorité vis-à-vis des autres communautés, enfin, la formation de communautés indépendantes au sein des paroisses déjà existantes. Ces discussions s’accompagnent, dans presque tous les comtés, de tentatives d’associations entre les membres du clergé, soit pour soutenir les idées presbytériennes, soit en faveur des idées indépendantes (1653-1654). En face d’un tel état de choses, Cromwell faisait bien des déclarations de tolérance. Mais il en donnait des explications qui jettent un jour singulier sur les idées des indépendants. « Je ne m’occupe point, disait-il aux Communes, de la conscience de chacun. Mais si, par liberté de conscience, vous entendez la liberté de dire la messe, alors, il vaut mieux parler net, et vous faire savoir que, tant que le Parlement d’Angleterre aura le pouvoir, cela ne sera pas permis. »

Ces divisions au sein du parti des indépendants, dont le contre-coup se faisait sentir au point de vue politique, firent naître, chez les chefs qui s’étaient révélés à Westminster, l’idée de formuler une profession de foi. En 1658, Goodwin et ses amis sollicitèrent de Cromwell l’autorisation de convoquer une assemblée pour régler les atl’aircs ecclésiastiques. Le protecteur résista d’abord, puis consentit de mauvaise grâce.

Il mourut du reste avant la réalisation du projet. Le

12 octobre 1658, les repu ; sentants d’une centaine d’églises indépendantes se réunirent à Londres, au palais de Savoy. La plupart étaient des laïques. On choisit, pour ch-esser la confession de foi, un comité de six théologiens, dont les principaux étaient Goodwin et John Owen. Pour la partie doctrinale, ils reprirent, sauf quelques mois, la déclaration de Westminster. Mais pour tout ce qui concernait le gouvernement de l’Église ils formulèrent une conception nouvelle de l’organisation ecclésiastique. C’est là que l’on trouve l’expression la plus complète de la discipline indépendante qui est restée, jusqu’à ce jour, la règle des Églises congrégalionalistes.

Suivant la confession de Savoy, l’Esprit de Dieu choisit individuellement les élus par le ministère de la Parole. Ces élus — les Saints de l’armée de Cromwell

— doivent cependant se réunir en sociétés particulières, pour leur édification mutuelle et pour l’accomplissement régulier du culte public que Dieu requiert d’eux en ce monde. » Ce sont ces sociétés particulières qui forment chacune l’Église au plein sens du mot. Celle-ci n’est par conséquent sujette à aucune juridiction extérieure. Les ministres de l’Église ainsi entendue sont les pasteurs, les docteurs, les anciens et les diacres. Tandis que les premiers ont surtout la charge du culte et de l’administration des sacrements, les docteurs ont pour fonction d’expliquer l’Écriture, pendant que les anciens administrent temporellement la communauté et que les diacres s’occupent des œuvres de bienfaisance, en particulier des malades. Tous ces ministres sont choisis par le suffrage commun de l’Église elle-même. L’élection est accompagnée du jeûne et de la prière et elle se termine par l’imposition des mains faite par les anciens, si la communauté est déjà constituée. Mais l’appel consiste essentiellement dans l’élection, tout le reste étant accessoire.

L’Éghse ainsi entendue a le pouvoir d’admonester ses membres, et, si leurs désordres sont scandaleux, de les excommunier. La confession de Savoy précise de façon expresse, que ce pouvoir ne peut être exercé « qu’à l’égard des membres particuliers de chaque Église comme tels. » Il ne peut donc s’agir ici que de mesures individuelles. Si les circonstances exigent une mesure générale, s’il s’agit de questions de doctrine ou de l’administration des sacrements, si quelque membre d’une ÉgUse se croit atteint par une censure ou une excommunication injustifiées, alors plusieurs Églises en communion pourront se réunir en synode pour aplanir ou apaiser le différend. Mais les assemblées ainsi formées n’ont aucun pouvoir ni aucune juridiction réelle. Ce sont de simples tribunaux de conciliation. Elles ne peuvent imposer en aucune façon leurs décisions soit aux Églises, soit aux personnes. Il ne reste d’autre ressource aux individus qui ne sont pas satisfaits de leur communauté, que l’exode vers quelque autre Église. Encore doivent-ils, avant de le faire, consulter leurs ministres et obtenir leur assentiment.

Quant aux relations de l’Église entendue de cette façon avec l’État, bien qu’elles ne soient pas indiquées dans la confession de Savoy, on peut facilement les saisir dans les œuvres des théologiens du parti, Goodwin et Owen, et mieux encore, dans les discours des parlementaires qui défendaient ces idées, Cromwell ou Burroughes. Ils admettaient tous qu’une nation doit avoir une Église nationale, qui n’était rien autre chose que l’ensemble des communautés mutuellement indépendantes. La nation avait le droit d’exiger de ses membres l’assistance au culte public. Aussi l’État devait-il pourvoir à ce qu’il y eut possibilité pour tous de remplir ce devoir essentiel. Il devait par conséquent fournir des moyens d’existence à tous ceux qui assuraient cette possibilité. Mais sur l’Église elle-même, il n’avait aucun droit. Il ne pouvait s’ingérer ni dans le choix des ministres, ni dans la cooptation des membres de la « congrégation ». Il ne pouvait obliger personne à devenir membre d’une « congrégation » déterminée. C’est dans ces limites qu’il faut entendre l’idée de tolérance, telle qu’elle fut professée par Cromwell et par les chefs politiques du parti indépendant.

En fait, pendant les dernières années du protectorat, la théorie indépendante passa, pour une bonne I)art, dans la pratique. Pourtant, il y eut toujours un tribunal chargé de décider des capacités morales et intellectuelles de ceux qui prétendaient remplir les fonctions de ministres. Mais ceux-ci, une fois installés, et sous condition de rester en bons termes avec leurs paroissiens, étaient réellement indépendants. Les cours de justice assuraient leur liberté. Elles obligeaient les tenanciers des biens d’église à leur en payer