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IMPECCABILITE


En effet, sur ce point radical de la nature de l’intelligence, il faut maintenir que l’abstraction tirant l’être et les modes formels d’être des choses sensibles, est la condition essentielle de notre connaissance sur la terre. En tous cas, l’abstrait est assurément supprimé dans l’autre vie, au moins formellement, même après la résurrection des corps. Or sans abstraction plus de Bien comme tel, dominant tous les biens particuliers et en réglant les volitions ; mais seulement l’amour d’un Bien concret suprême dominant par définition tous les autres amours particuliers ; et donc fixité immuable de toute la volonté dans cet amour absolu et dernier, c’est-à-dire péché éternel ou impeccabilité intrinsèque éternelle.

2. L’impeccabilité et le ciel.

a) La béatitude éternelle du terme de notre vie, de fait c’est le ciel et la vision intuitive, c’est-à-dire l’union immédiate de notre âme, intelligence et volonté, suivant toutes ses capacités, capacités naturelles et capacités creusées surnaturellement, l’union immédiate, totale, parfaite avec tout Dieu, toute la réahté de l’infinie vérité, bonté, beauté, perfection ; c’est Dieu se versant tout entier dans le petit être créé, l’absorbant dans sa divinité et son infinie lumière et son infini brasier d’amour et son infinie jouissance de béatitude !

Quelle ombre de mal, de péché pouiTait atteindre cette âme, cette créature ? qui pourrait distraire son esprit de cette ineffable vision et l’en détourner, contre l’étreinte mêiiie, toute puissante, du Dieu glorificateur, se hant, s’unissant sa créature par ces forces divines du lumen gloriee et de la charitas palriie ? Impeccabilité absolue, intrinsèque, definilive : voilà uue propriété évidente de la divinisation totale du bienheureux dans le ciel. Il voit, il sent totalement que Dieu est tout Bien et que hors de Dieu, c’est tout mal. Et cela éternellement. Éternellement il veut Dieu et rien hors Dieu.

b) Ces explications lumineuses du docteur angélique, Sum. theol., I » II t-, q. iv, a. 4 ; I », q. lxii, a. 8 ; Contra gentc.s, t. III, c. lxii ; t. IV, c. xcii ; De verit., q. XXII, a. 6 ; q. xxiv, ont été adoptées par la majorité des théologiens suaréziens et thomistes.

Elles sont indubitablement plus conformes à la révélation écrite ; voir Ciel, dans Écriture, pussim, que de textes pour nous dire que la vie éternelle des élus en Dieu est évidemment et absolument toute pure, toute sainte, toute impeccable à jamais, consommée qu’elle est en Dieu, Joa., xvii, 11-26 ; fixée dans la pure et indestructible charité, I Cor., xiii, 8-13 ; en Dieu qui est tout en tous à jamais, I Cor., xv, 28. Ainsi chaque élu sera transformé dans le Christ, II Cor., iii, 18, et établi dans l’héritage incorrruptible, immaculé, impérissable, I Pet., i, 4, fixé dans la lumière du face à face qui rendra semblable à Dieu, le voyant comme il est. I Joa., iii, 1-20 ; Apoc, xxii, 1-5.

La tradition doctrinale parle comme l’Écriture de l’impeccabilité des bienheureux, dans ses commentaires ou ses pastorales ou ses élévations ou ses controverses. Voir Ciel, t. ii, col. 2478 sq. Il est vrai que trompés par quelques textes, Gen., vi, 2, videntes filii Dei filias hominum ; I Cor., xi, 10, mulier {velamen supra capul) propter angelos, plusieurs Pères ont hésité sur l’impeccabilité des anges, même après leur béatification. Voir Anges, t. i, col. 12031204. Même après les précisions très parfaites de saint Augustin et plus tard de saint Anselme, quelques-uns des théologiens de la première scolastique n’arrivèrent pas non plus à la sûre doctrine là-dessus. Mais après la synthèse lumineuse de saint Thomas, il n’y eut plus aucune hésitation dans l’ÉgUse sur le fait, et seul Scot disputa encore sur la nature de l’impeccabilité céleste — et de ces discussions mêmes il ne reste

plus guère de trace ; la théologie de la terre prélude en paix à la théologie du ciel sur le ciel.

L’impeccabilité de Jésus-Christ.

Tout être tiré du néant en son existence et en son action, peut y retourner, et pour cette existence et pour cette action. Absolument parlant, toute volonté créée n’étant pas le Bien suprême, ni, de par sa nature, en possession exhaustive de ce Bien suprême, n’a pas en eUe la règle impeccable de son activité en tout ordre possible. La grâce de Dieu peut l’établir dans une conformité imperturbable avec cette règle du saint agir, et cela en divers degrés : préservation du péché mortel, du péché véniel, don d’innocence, et dans l’état de terme, fixité absolue naturelle dans les limbes, fixité absolue du purgatoire compatible avec des restes de souillures peccamineuses, enfin divinisation totale du ciel.

J’ai dit divinisation. Au ciel, il y a divinisation formelle dans les facultés et leurs activités, au moins dans la vision intuitive et c’est un corollaire de la divinisation seulement analogique de la substance de l’âme transformée par la grâce.

Au-dessus de ces divinisations accidentelles, de ces sanctifications plus ou moins impeccables, il reste à placer l’impeccabilité substantielle absolue, suite de sa divinisation substantielle, de l’Homme-Dieu, Jésus-Christ.

1. En Jésus-Christ, pas de péché, ni l’ombre de péché.

— II est venu. Fils de Dieu fait l’un de nous, pour détruire le péché, œuvre de Satan dans le monde. Entre eux deux, inimitié absolue. Gen., iii, 15. Jésus le proclamait devant ses ennemis. Joa., viii, 29, 46 ; cf. XIV, 30. Les apôtres, résumant l’impression qu’il a faite sur eux et parlant de plus de pleine conviction surnaturelle, affirment sa pureté absolue évidente : I Pet., ii, 22 sq. : « lui qui n’avait commis aucun péché ; » I Joa., iii, 5 : » il n’y a pas de péché en lui ». Saint Paul aussi l’a vu dans sa splendeur de Sauveur « fait péché pour nous, lui qui ne connaissait pas le péché, » II Cor., v, 21, c’est-à-dire revêtu d’une chair semblable à la chair du péché, Rom., viii, 3 ; cf. Heb., IV, 15 : tentatam… per omnia pro similitudine, absque peccato ; vii, 26 sq. : pontijcx sanctus, innocens, impollutus, segregatus a peccatoribus.

L’Église garda de son rédempteur cette image de, pureté absolue et c’est sans hésitation qu’elle l’enseigna dans sa prédication ordinaire comme dans ses définitions solennelles. Symbolum Epiphanii, Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 13 ; anathèmes de saint Damase, n. 657 ; concile d’Éphèse, can. 10, n. 122 ; concile de Constantinople, V « œcuménique, n. 224 ; lettre de Sergius au pape Honorius I", n. 251252 ; XI « concile de Tolède, n. 286 ; VI » concile œcuménique, III « de Constantinople, n. 290-291 ; concile de Florence, n. 711, et nous n’avons rappelé que les textes les plus explicites et les plus beaux.

Pour la tradition patristique, voir de splendides affirmations : impeccabilité absolue et divinité à la source de celle-ci, dans Suicer, Thésaurus, aux mots’AvapiapTrjToç.’Ava(iapTY)aiot. et dans Petau, Theologica dogmata. De incarnatione, t. XI, n. 10-12. Voici quelques références : S. Justin, Dial. cum. Tryphone, 102, 110, ; J. G., t. VI, col. 713, 729 ; Clément d’Alexandrie, Slrom., VII, 12, 72, P. G., t. ix, col. 509 ; Corpus de Berlin, t. iii, p. 56 ; Pœdagogus, t. I, 2, 4, P. G., t. viii, col. 270 ; Corpus de Berlin, t. i, p. 100 ; S. Irénée, Conl. hn-r., v, 1, 3, P. G., t. vii, col. 1121 ; Harvey, t. ii, p. 315 ; v, 17, 1-3, t. vii, col. 1170 ; Harvey, t. ii, p. 370 ; TertuUien, De anima, c. xxxxi, P. L., t. ii, col. 720 ; Corpus de Vienne, t. xx, p. 368 ; De carne Christi, c. xvi, P. L., t. ii, col. 780 ; Œhler, t. ii, p. 452 ; Origène, ûe principiis, ii, 6, n.5-6, P. G., t. xi, col. 213 ; Cont. Celsum, t. iii, 62, P. G., t. xi, col. 1001 ; Corpus de Berlin, t. i, p. 256 ; S. Hippolyte, Contra hasr. Noeti,