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INCARNATION

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touchant le caractère de cette union, naturelle à l’humanité du Christ, c’est-il-dire réalisée dès le premier instant de la conception du Verbe incarné dans le sein de la vierge Marie. « Nous n’admettons pas, dit saint Thomas, que le Christ (avant l’incarnation) ait été un simple mortel et qu’ensuite, par le mérite de sa bonne conduite, il ait obtenu d'être le Fils de Dieu, comme l’a prétendu Photin. Mais, dès le commencement de sa conception, cet homme a été, véritablement, le Fils de Dieu, puisqu’il n’a pas d’autre hypostase que celle du Fils de Dieu, d’après ces paroles de l'Évangile : « Le fruit qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu, n Luc, i, 35. Aussi, toutes les opérations de cet homme sont postérieures à l’union ; donc, par aucune d’elles il n’a pu la mériter. » Sum. theol. III », q. Il', a. 11. De ce principe général, les théologiens ont tiré un certain nombre de propositions qui renferment toute la doctrine scolastique sur la matière. —

1. Le Christ n’a pas mérité d’un mérite de eondignilé l’union hypostatique par des œuvres antérieures à l’union. — Vérité de foi divine et catholique, parce que la contradictoire est l’hérésie des premiers adoptianistes. Voir Hypost.tique (Union), col. 464-466 ; sur l’hérésie de Photin, voir col. 466. Dans l’article cité, saint Thomas s’appuie sur l’autorité de saint Augustin, De prædestinatione sanctorum, c. xv, P. L., t. xliv, col. 982, mais plus explicitement encore, saint Augustin enseigne que le Christ n’a pas mérité l’incarnation. De peccatorum meritis et remissione, t. II, c. xvii, n. 27, P. L., t. xi.iv, col. 168 ; Enchiridion, c. xxxvi, P. L., t. XL, col. 250. Cette vérité catholique resterait encore la seule doctrine acceptable, même au cas où, par impossible, on serait en droit d’admettre qu’avant l’incarnation, Jésus-Christ eût existé comme homme. Aucune œuvre humaine, même élevée par la grâce divine, ne saurait présenter une équivalence réelle au bien infini qu’est l’union hypostatique. Donc, même en ce cas, chimérique d’ailleurs, aucune possibilité de mérite de condignité. Cf. Salmanticenses, disp. VII, dub. I, § 1, n. 2. Les anciens hérétiques apportaient en faveur de leur opinion Ps. xliv, 8, et Apoc, V, 12 ; il suffit de se rapporter au texte et au sens de ces passages inspirés pour constater qu’ils ne peuvent rien en faveur de l’adoptianisme et du mérite qu’aurait eu le Christ par rapport à l’incarnation. —

2. Le Christ n’a pas mérité d’un mérite de condignité l’union hypostatique par des œuvres antérieures à l’union d’une simple priorité de nature. — Pas plus sur ce point que dans le problème de la disposition physique, voir ci-dessus, col. 1526, on ne peut accorder au Christ la possibilité de mériter l’incarnation. Cette doctrine est théologiqucment très certaine. Mais les théologiens discutent quelque peu sur la raison à donner à cette affirmation. Saint Thomas et ses disciples — et l’on peut dire, la plupart des théologiens avec eux — retenant la vérité philosophique de l’adage : acliones sunt suppos/torum, déclarent que toute action du Christ ne doit être conçue que postérieurement à l’existence du sujet qu’est Jésus-Christ par l’union hypostatique : omnis operalio illius hominis, nempe Christi, SUBSECVTA EST unionem. Loc. cit. Vasquez n’admet pas cette raison, disp. XXI, ciii, n. 18 sq., et, tout en acquiesçant à la thèse commune, en cherche une autre démonstration dans l’impossibilité pour le Christ d’avoir une grâce actuelle ou habituelle, nécessaire au mérite, antécédemment à l’union hypostatique. Sur la discussion de cette argumentation, voir Salmanticenses, loc. cit., n. 4 et De Lugo, disp. VIII, sect. i, n. 4. — 3. Le Christ n’a pas mérité d’un mérite de condignité l’union hypostatique par des œuvres postérieures à l’incarnation. — C’est la doctrine commune des théologiens, dont il y aurait témérité à s'écarter. Il faut, en effet, raisonner du mérite de Jésus-Christ selon les lois communes de

la Providence et la nature même des choses. Or, à ce double point de vue, il semble contraire à la notion de mérite que la récompense soit donnée avant le mérite acquis. Puisque rien dans l'Écriture ou la tradition ne nous incite, au sujet du mérite du Christ par rapport à l’incarnation, à contredire la loi de la Providence, il faut conclure que l’incarnation, appelée dans l'Écriture le mystère de piété manifestée dans la chair,

I Tim., ni, 16, n’est pas la récompense des mérites futurs du Christ prévus par Dieu. C’est la grâce et l’amour de Dieu qui apparaissent pleinement avec le Christ. Cf. Tit., ii, 11 ; Eph., ii, 8. Bien plus, la plupart des théologiens, en voir les références nombreuses dans Salmanticenses, loc. cit., dub. ii, n. 17, soutiennent qu’il est contradictoire et par conséquent qu’il répugne même à la puissance divine, que le Christ ait mérité l’incarnation par ses œuvres subséquentes. Quelques théologiens, tout en admettant en fait la thèse commune, nient cependant cette répugnance absolue par rapport au mérite de l’incarnation par les œuvres subséquentes du Christ. Ils forment, à la suite de Suarez, De incarnatione, disp. X, sect. iv, n. 5, et De prxdestinatione, t. II, c. xx, n. 19, une très petite phalange, dont les noms principaux sont ceux de Ruiz, Ripalda, Coninck, Granados. Cf. Salmanticenses, n. 29. La raison apportée en faveur de la thèse généralement admise est que le principe même du mérite, l’incarnation, ne peut devenir l’objet lui-même du mérite ; (I La cause du mérite ne tombe pas sous le mérite, de même qu’il n’est pas possible que le terme existe avant son principe. La cause finale, il est vrai, dont la causalité est objective et s’accomplit par l’intermédiaire de la connaissance, peut opérer à l’avance, parce qu’elle peut être conçue dans l’esprit et exercer ainsi ses attraits sur l’agent avant d’exister dans la réalité ; mais la cause efficiente, qui donne à l'être son actualité physique, est toujours avant l’elTet et ne dérive jamais de lui. Or, le mérite agit, non pas à la manière de la cause finale et par une sorte de charme, mais à la manière de la cause efiîciente qui produit l’effet, car il rend le sujet digne de sa récompense et l’y dispose.

II n’est donc pas concevable que le mérite puisse exister après sa récompense, après son couronnement ; en d’autres termes, il n’est pas possible de mériter, par des actes qui viendront plus tard, ce qu’on possède déjà : Non potest esse quod aliquis mereatur quod fam habet. S. Thomas, De veritate, q. xxix, a. 6. » Hugon, Le mystère de l' inccunation, p. 100-101. C’est le principegénéral sur lequel les théologiens s’appuient pour justifier la condamnation du semi-pélagianisme. Cf. De Lugo, De incarnatione, disp. VIII, sect. ii, n. 13. — 4. Le Christ n’a pas mérité l’union hypostatique d’un mérite de congruité. — Avant l’incarnation, tout mérite est impossible au Christ ; après l’incarnation, à supposer qu’il puisse mériter l’union hypostatique par des œuvres subséquentes, le seul mérite de condignité existe dans le Christ. Donc, d’aucune façon on ne peut dire que le Christ a mérité l’incarnation — 5. Le Christ n’a pu mériter la continucdion de l’union hypostatique. — Cette continuation ne fait qu’un tout avec la grâce même de l’union. Le principe du mérite ne peut devenir l’objet du mérite. On trouve cette thèse alTirmée chez les commentateurs de saint Thomas, soit à cet article, 111% q. ii, a. 11, soit à la I » IL », q. cxiv, a. 6. Ceux qui suivent Suarez à propos de la non répugnance du mérite de l’incarnation par des œuvres subséquentes, le suivent également ici, et défendent avec lui l’opinion, peu probable, que le Christ ait mérité la continuation de l’union hypostatique. II faut leur joindre, chez les thomistes, Godoy, disp. LI. Cf. Salmanticenses, disp. VII, dub. II, n. 31, 37. — 6. Le Christ n’a pu mériter que la B. vierge Marie soit sa mère. — Sur ce point, la controverse est assez vive