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IMPECCABILITÉ


on le fait souvent, o ne dit pas assez et qu’il faut ajouter quelque chose à la gloire de la inôre divine. L’impeccabilité de grâce est une impcccabilité morale. Or, l’impeccabilité de Marie n’était-elle pas aussi phj’sique ? physique, disons-nous, non ratione naturse neque voluntatis, sed ratione suppositi ? La dignité de la maternité divine en elle-même ne répugne-t-elle pas absolument au péché, comme tout ce qui entre essentiellement en contact avec l’ordre hypostatique, c’est-à-dire en contact immédiat avec Dieu lui-même ? Il nous semble que oui. Mais il suffit pour le moment. Voir Marie.

3° L’impeccabilité dans l’autre vie. — 1. L’impeccabilité et l’état de terme. — Dieu n’a créé ni anges ni hommes dans, l’immobile fixité du terme ou de la fin dernière. Avant d’j' arriver, tous ont dû passer par un état de voie. Mais la voie ne peut pas durer toujours et la fln une fois obtenue ne doit plus pouvoir être perdue. Voir Anges, t. i, col. 1265 ; Béatitude, t. i, col. 506, 512 ; Origénisme, analhémes contre Origène.

Comment se fait la fixation dans l’état de terme, fixité de péché ou fixité de vertu et alors impeccabilité éternelle ? I^a question se pose, remarquons-le, identiquement pour toute volonté qui sortant de l’état de voie aboutit à son tenne définitif : au ciel ou en enfer ou au purgatoire, ou aux limbes. Question fondamentale pour toute la théologie de l’autre vie ou des choses immuables et éternelles.

La question de fait étant résolue dans les art. Ciel, Enfer, Purgatoire, il nous reste à voir d’un peu plus près la nature du fait pour comprendre en quoi consiste l’impeccabihté de l’autre vie. Cf. S. Thomas, Sum. theoL, I » II"*, q. v, a. 4 (question de la béatitude) ; I », q. Lxii, a. 8 (impeccabilité des anges) et les commentateurs aux deux traités, De bealitudine et De angelis ; par exemple, Jean de Saint-Thomas, Suarez, Salmanticenses, les manuels modernes au De novissimis, parfois appendice du De homine ; spécialement card. Billot, De personali et originali peccato, 4^ édit., Rome, 1910, p. 96-102.

a) Et voici d’abord la doctrine du docteur angéhque avec ses trois points essentiels. Au point de vue moral. l’homme tend à sa perfection totale, à la béatitude, au rassasiement intégral de toutes les capacités de son être. L’homme fait cela librement ici-bas ; il choisit l’objet en qui il veut mettre sa béatitude définitive. Mais vient le moment des sanctions et du terme qui le fixe dans l’objet choisi. Si c’est le Bien et la Béatitude, de par la nature des choses ce doit être aussi l’impeccabilité, car sans certitude de l’éternelle possession du Bien, pas de béatitude. L’impeccabilité et en général la fixité absolue doit donc être dans la nature même de la fin dernière. Voir Béatitude, t.n, col. 512.

Au point de vue de l’eschatologie, l’homme marche à la mort. Après la mort qu’y a-t-il ? L’âme séparée du corps commence une nouvelle vie ; quelle vie ? Dans le corps la psychologie de l’âme est essentiellement une psychologie à base de connaissances abstractives : idée du bien comme tel ou abstrait, idées partielles et par concepts encore formellement abstraits des biens concrets divers. De là des élections variables de ces biens concrets, avec, comme point d’appui de cette variabilité, l’immobile volition du Bien comme tel, du Bien absolu abstraitement connu. Mais après la mort, plus de corps, plus d’images sensibles, plus d’abstractions. Mais quoi donc ? l’intuition. L’intuition, c’est-à-dire la vision directe du concret et rien autre. Plus de Bien abstrait dominant dans la pensée et la volonté le choix de tous les biens concrets. Mais le choix d’un bien concret comme suprême et donc son amour suprême, sans rien au-dessus — et donc son amour immuable, épuisant toutes les forces de la

volonté et réglant tous les autres amours partiels. De par la nature des choses, nature psychologique et non plus morale comme plus haut, la fixité est dans l’essence de l’autre vie, dans l’état de terme. Cette fixité est l’impeccabilité pour la’volonté qui s’est absorbée en Dieu, Dieu toute Beauté et toute Perfection, concrètement vu d’une intuition que rien ne peut troubler à jamais et donc aimé d’un amour béatifiant immuable in setemiim.

Remarquons qu’on parle ici d’intuition et non de vision intuitive. Celle-là est naturelle, celle-ci surnaturelle ; celle-ci n’a lieu qu’au ciel ; celle-là se vérifie en toute âme séparée du corps, par exemple, dans les limbes et au purgatoire, ou en enfer ou plus radicalement en toute âme dans l’état de terme. Cf. S. Thomas, Sum. Iheol., I*, q. Lvni, a. 3, 4 ; III », q. lxiv, a. 2 ; q. Lix, a. 5 ; q. LTi, a. 7, ad3’im ; ENFER, t.v, col. 96-97.

Reste le point de vue de Dieu. C’est Dieu qui fait la voie et le terme de ses créatures, il leur donne le mouvement et le repos. Mais aura-t-il besoin d’intervention comme miraculeuse et en dehors de la nature même des choses créées pour faire cela ? Non, car mouvement et repos sont deux choses qui viennent également de la substance active des êtres, de la natura, principium motus et (/uicO’s… D’ailleurs, quand il s’agit de la liberté, le repos du terme peut être la fixité éternelle dans le péché et dans le châtiment, suite du péché. Serait-ce donc Dieu qui devrait violemment fixer dans le mal une volonté encore capable de bien, Dieu cause positive de péché ou de permanence dans le péché, contre la nature des êtres qu’il meut ! N’est-ce pas absolument impossible et absurde ? Oui. car remarquons bien qu’en enfer ce n’est pas la douleur qui fait durer le péché, cela est un non-sens psychologique et moral ; mais c’est le péché éternel qui exige une peine éternelle, c’est le reatus pœnæ, qui suit le reatus culpie de toutes façons et toujours. Voir Enfer, loc. cit. ; Billot, loc. cit.

b) À l’opposé de la conception thomiste, se trouve la théorie scotiste : pas de fixité intrinsèque de la volonté en l’état de terme, ni pour les damnés, ni ipème pour les bienheureux, malgré leur vision intuitive. Au moins la raison ne démontre pas le contraire, seule l’autorité peut le faire admettre aveuglément.

Suarez, conciliateur à son habitude, cherche de justes miheux. La vision intuitive rend intrinsèquement impeccable de par sa nature ; mais nulle autre fixité absolue et naturelle dans l’état de terme : ni pour les damnés, ni pour les autres âmes, en ordre surnaturel ou naturel. Au fond, d’après Scot, )a psychologie de l’état de terme garde une liberté mobile de sa nature, comme en l’état de voie. Pour la même raison, la voie des anges peut durer indéfiniment, tant que Dieu ne la termine pas ab extrinseco. En résumé, deux arguments : la liberté créée garde toujours dans son essence la possibihté des contraires ; plus radicalement, l’intelligence créée, en son essence, faculté de connaître le singuUer concret, ne change pas dans l’autre vie, ni dans les anges ; elle garde ses connaissances fragmentaires et partielles des choses qui lui permettent la mobilité des jugements et des élections libres.

Contre la première raison, saint Thomas avait déjà répondu que la liberté est une faculté de choisir entre les moyens, mais non entre les fins. Ce n’est même que per accidens que le choix des fins dernières est changeant ici-bas, à cause de l’union au corps, principe de mutabilité. Mais de soi toute volition, tout amour du Bien suprême absolu devrait être immuable, irrévocable. En tous cas, dans l’état de terme, par nature il en est ainsi, car le terme, c’est la fixité dans la fin dernière et plus de corps ni de psycliologie abstractive pour ouvrir des échappatoires peraccidens à la volonté.