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INCARNATION


n’étant que l’occasion de l’incarnation Dieu, permettant le pcclié, a voulu que celui-ci se produisît avant l’incarnation ; mais, dans l’ordre des réalisations divines, le péché n’est pas pour autant la cause de l’incarnation. Et ainsi la première des difficultés soulevées par les scotistes a trouvé sa solution. A cette remarque fondamentale, Gonet et les Salmanticenses ajoutent une distinction féconde ; Scot reproche à tort à l’opinion thomiste de prétendre que le Christ est pour nous et non pas nous pour lui. Il faut, en effet, introduire ici une distinction formulée par le docteur angélique lui-même. In IV Sent., t. II, dist. XV, q. i, a. 1, ad 6°i », entre la finis qui ou cujus gratia, et la finis oui. La première est la fin, le bien que l’on recherche en agissant, la seconde est la personne ù qui profite l’action. En affirmant que le motif de l’incarnation est le salut des hommes, la gloire divine procurée par ce salut est la fin qui est recherchée par Dieu, et vers laquelle tout est ordonné dans l’œuvre de notre rachat ; l’homme n’est que la fin à qui ce salut profite. Bien plus, en considérant la fin, non pas du côté de Dieu qui ne peut vouloir que sa gloire, mais du côté des œuvres qui s’enchaînent les unes aux autres les moins parfaites étant ordonnées vers les plus parfaites, il faut dire que la gloire du Verbe incarné est la fin de toutes les œuvres de Dieu, et principalement de notre justification, cf. concile de Trente, sess. VI, c. vii, Denzinger-Bannwart, n. 799, Dieu ayant voulu d’un seul acte tout ce qu’il prévoyait devoir exister dans l’ordre présent, le péché y compris et par suite le rédempteur. Gonet, op. cit., disp. V, § 6 ; Salmanticenses, op. cit., disp. II, dub. i, n. 7 sq. Ces derniers mots rappellent une troisième précision formulée par Gonet, loc. cit., § 3, n. 19, et, avant lui, par Molina, In /"" part. Sum. S. Thomx, q. xxiii, a. 4, 5, De causa prœdeslinationis, m. vu : l’ordre de priorité et de postériorité ne se trouve pas dans le vouloir divin, mais dans les choses voulues par Dieu. L’ordre est donc à placer non pas entre les vouloirs divins, le vouloir étant unique et portant sur tout l’ordre des événements prévus, et décrétés par Dieu, mais entre les objets voulus par Dieu. Par là, la raison fondamentale de Scot pèche par la base, puisqu’elle repose sur l’ordre des vouloirs divins, considérés en eux-mêmes. Or, il n’est pas inconvenant que, du côté des événements voulus, le péché ait sur l’incarnation une simple priorité d’occasion, et l’homme sur le Christ une priorité dans l’ordre de cause matérielle, c’est-à-dire de fin, à qui doit profiter le salut apporté par le Verbe incarné. Une dernière remarque, commune à tous les théologiens thomistes, concerne les textes de l’Écriture qui semblent assigner, en outre de la rédemption des hommes, d’autres buts à l’incarnation : notre enseignement et notre éducation dans la vie chrétienne, Tit. H, 11-12 ; notre gloire, I Cor., ii, 7 ; l’exemple de la pratique des vertus, Joa., xiii, 15 ; la prédication de la vérité, ibid., xviii, 37. Saint Thomas lui-même, loc. cit., ad l’i'", fait remarquer que toutes ces causes se rapportent au remède du péché. Peut-être chacun de ces motifs eût été à lui seul suffisant pour provoquer l’incarnation, mais parce que tous furent envisagés par Dieu sous l’aspect très particulier du remède au péché, il faut énergiquement maintenir que seule la rédemption du genre humain est le motif déterminant de la venue du Verbe dans la chair. Cf. Salmanticenses, /oc. cit., n. 41. — d) Les réponses des thdoloçjiens thomistes aux difficultés proposées par l’école scotiste. Voir col. 1 196. — La solution des difficultés soulevées par les scotistes semble, à la suite de ces explications, s’offrir d’elle-même : a. Le péché n’est pas la cause, mais l’occasion de l’incarnation, et l’hypothèse, qu’un bien considérable comme l’incarnation soit occasionné par un moindre bien, la réparation du

péché, n’offre pas tl’inconvénient aux regards des exigences de la raison. Voir S. Thomas, Sum. theol., IIl », q. I, a. 3, ad 3 i"’. Le Christ ne doit rien au péché ; toute son existence et sa perfection, occasionnées sans doute par le péché à réparer, sont ordonnées à la gloire de Dieu, et la gloire de Dieu manifestée par la réparation du genre humain est la raison dernière de l’incarnation. Le péché reste un mal, même vis-à-vis du Christ, et si l’Église chante fdii culpa, c’est uniquement en raison du grand bien dont cette faute, toujours en soi regrettable, a été l’occasion. Même dans l’opinion thomiste, le Christ garde la primauté que lui reconnaît l’Écriture ; certains se contentent d’affirmer une primauté d’excellence ; mais d’autres n’hésitent pas à reconnaître au Christ une primauté dans fordre d’intention et de causalité. Cf. Gonet, op. cit., § 5, C ; Jean de Saint-Thomas, De incornatione, q. i, disp. III, a. 2, concl. 4. Notons toutefois une légère dilTérence de conception entre thomistes ; les uns, comme Jean de Saint-Thomas, qui suit en cela Cajétan, supposent qu’avant le décret efficace de la prédestination du Christ, il faut supposer en Dieu le décret relatif à la providence générale qui détermine l’existence de l’ordre de la nature et de celui de la grâce dans les créatures raisonnables. La priorité n’appartient au Christ qu’au moment où, le péché étant prévu par Dieu, commence l’ordre de la prédestination des créatures ; c’est ici seulement que la priorité appartient, dans l’intention et la causalité, au Christ. D’autres, Gonet, loc. cit., à cause de la simplicité de l’acte divin, concèdent que Dieu, d’un seul décret englobant la prévision du péché et sa réparation par l’incarnation, a tout ordonné, même la création, au Verbe fait homme. Cette dernière conception paraît plus logique et répond mieux à la dignité du Verbe incarné ; elle donne une solution à la difficulté scotiste sans réplique. » Dans l’ordre de l’intention et de la causalité finale, le Christ est le premier en vue, puis la création, la gloire, la justification, la permission du péché, bien que ce soit l’inverse dans l’ordre de l’exécution et de la causalité matérielle. Sans le péclié, point d’incarnation ; mais le péché prévu et l’incarnation décrétée pour réparer le péché, tout est ordonne à ce Christ-roi, tout est orienté vers lui, et Jésus est ainsi et nécessairement le centre et la fin de toute la création. » Hugon, op. cit., p. 75. Quant à la grâce du premier homme encore innocent, les thomistes confessent qu’elle échappait à l’infiuence de l’incarnation, sauf peut-être en ce qui concerne la foi en ce mystère, imparfaitement révélé à Adam innocent ; si l’Église s’étend à Adam innocent, il faut dire que « le Christ, avant le péché, n’aurait été le chef de l’Église que selon sa divinité ; après le péché, l’incarnation étant décrétée pour la réparation du genre humain, il devient le chef de l’Église, même dans sa nature humaine. » S. Thomas, De vcritatc, q. xxix, a. 4, ad S » ™. En ce qui concerne les anges, il n’est pas dit dans la sainte Écriture que le Christ est venu pour être chef des anges, mais, ce qui est bien différent, qu’il a été constitué, par Dieu le Père, chef des anges. II n’est donc pas nécessaire de supposer que si l’homme n’avait pas péché, le Christ aurait dû néanmoins exister. Dieu et Homme, pour être le chef des anges. Il suffit d’affirmer que l’incarnation étant décrétée, le Christ a été constitué chef des anges, tout d’abord par l’excellence de sa personne, ensuite par l’influence illuminatrice que son humanité exerce sur les anges. Voir S. Thomas, Sum. theol., IIP’, q. viii, a. 4, et De verilate, loc. cit., ad 4°™. Cette infiuence va-t-elle jusqu’à la communication de la grâce et de la gloire essentielles ? Certains thomistes ont voulu le démontrer, mais il semble nécessaire, si l’or veut être fidèle aux principes de saint Thomas, de la restreindre à la grâce et à la gloire