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INCARNATION


autre, y. Il veut être aime par un autre qui soit en dehors de lui et qui puisse l’aimer de la manière la plus parfaite. S. Il prévoit l’union de cette nature qui doit l’aimer parfaitement ; et c’est là le décret de l’incarnation. £. Il prévoit et décrète la création du monde et particulièrement la création de l’homme. î^. Il prévoit la chute de l’homme et comme la gloire de tous les élus pendant l'éternité l’emporte sur la gloire corporelle du Christ sur la terre, il décrète la venue du Christ dans une chair passible, comme rédempteur. Dist. VII, q. IV, n. 5. Cf. P. Chrysostome, Le motij de l’incarnation, p. 57. Inutile de faire observer que ces vouloirs successifs de Dieu ne se distinguent que par l’ordre logique que nous mettons entre eux. Mais par cet exposé de la théorie scotiste, on voit quel a été, d’après Scot, le véritable motif de l’incarnation. Ce n’est. iii, comme le laisse entendre Hurter, th. cxliii, l’excellence du mystère et la gloire du Christ ; ni, comme le laisserait croire Suarez avec son opinion moyenne, la simple perfection des œuvres divines, ni, ainsi que l’affirme M. Tanquerey, Synopsis Iheologiæ dogmaticæ specialis, Paris, 1903, t. i, p. 568, l’excellence de ce mystère et la perfection de tout l’univers ; ni encore, tout au moins dans l’ordre où l’indique M. Sauvé, Jésus intime, t. i, 2'^ élévation, iv, L’incarnation et le monde, le couronnement de la création, de la sanctification, de la glorification des anges et des hommes. L’unique motif proposé par Scot est l’amour que Dieu se veut à lui-même, qu’il réalise tout d’abord dans l’incarnation, et, par l’incarnation, dans les anges et les hommes, puis, devant la prévision du péché, par la rédemption. Cf. P. Chrysostome, op. cit., p. 206, 236, 285, 326-327. — b. Conséquences. — Au point de vue théologique, plusieurs conséquences immédiates s’imposent ; plusieurs autres, médiates. — Immédiatement, on doit admettre : a. la distinction entre l’incarnation du Verbe considérée dans sa substance, et l’incarnation du Verbe dans une chair passible ; si le Verbe s'était incarné sans que l’homme eût péché, il serait venu dans une chair impassible, ne devant ni souffrir, ni mourir pour nous. C’est par cette distinction qu’il faut accorder avec l’opinion scotiste et avec eux-mêmes les Pères qui affirment que, si l’homme n’avait pas péché, le Verbe ne serait pas venu dans la chair (passible et soumise à la mort), p. la primauté absolue du Christ sur toutes créatures, c’est-à-dire sous les trois aspects de cette primauté, que le Christ, dans la pensée de Dieu, a la priorité dans l’ordre des voulions divines ; il est voulu pour lui-même et avant toute autre créature ; qu’il est le médiateur universel par lequel passe toute grâce avant de parvenir à la créature : de telle façon que les anges et Adam innocent n’ont pu avoir la grâce sanctifiante que par le Christ prévu et voulu de Dieu avant eux ; qu’enfin il est constitué par Dieu fin de toute la création : c’est, en effet, pour glorifier sou Fils fait homme que Dieu crée les anges et les homme qui reçoivent la grâce et la gloire par les mérites du Christ. Sur le développement de ces doctrines, voir Frassen, loc. cit., et P. Chrysostome, lor. cit., p. 50-100. — Médiatement, on doit tirer des principes scotistes deux sortes de conclusions, les unes par rapport à la gloire du Christ, les autres par rapport à la gloire de la sainte Vierge. Par rapport au Christ : une gloire plus grande lui revient de la pari des créatures, car toute créature, ange ou homme, lui doit la crOation et l'élévation à l’ordre surnaturel, comme aussi, dans l’autre vie, la lumière de la gloire. L’homme peut trouver dans la rédemption une tendresse plus profonde, comme aussi il est invité à donner à la dévotion au Sacré-Cœur toute son extension et à son amour pour Notre-Scigneur toute sa perfection par la pratique de l’abandon. Par rapport à Marie : Marie a été décrétée avant toute créature ;

c’est très légitimement que la liturgie lui applique les paroles du livre de l’Ecclésiastique, xxiv, 14 sq. Dieu l’a aimée plus que toute autre créature, aussi lui a-t-il accordé comme premier don une grâce sanctifiante égale, pour le moins, à celle accordée aux anges et aux hommes. Ayant reçu du Christ celle première grâce, Marie a contribué à mériter avec le Christ tous les dons naturels et surnaturels qui ont été accordés aux anges et aux hommes. Cause méritoire de la grâce, elle en est la trésorière et la dispensatrice. Elle est la cause finale secondaire de la création. Aussi n’a-t-elle pu contracter ni le péché originel, ni la dette du péché originel. P. Chrysostome, loc. cit., p. 339-355, 307, 409. — c. Preuves. — Les preuves de l’opinion scotiste sont demandées à l'Écriture, aux Pères, à la raison théologique. — a. Écriture. — Plusieurs textes affirment la primauté absolue du Christ sur toutes créatures, et par conséquent la dépendance de toutes créatures par rapport au Christ, voulu par Dieu avant toutes choses, et pour qui tout a été fait. Prov., viii, 22. Voir col. 1484. Il s’agit ici, dit-on, de la Sagesse créée, c’est-à-dire incarnée. Le Verbe incarné est ainsi le principe de toutes les voies du Seigneur, c’est-à-dire des voies de la nature et de la grâce par lesquelles les créatures parviennent à la gloire, aussi bien par rapport aux hommes qui ont eu besoin de rédemption que par rapport aux anges qui n’ont pas eu besoin d'être rachetés. Donc, l’incarnation a été décrétée, non pas en vue du rachat de l’humanité, mais pour la justification et la glorification de toutes les créatures élues de Dieu, ce qui implique que si l’homme n’avait pas péché, le Verbe néanmoins se serait fait homme. — Col., i, 15-21, voir col. 1486. Dans le Christ toutes choses ont été créées ; donc, l’incarnation, raison dernière de la création, a dû être aussi indépendante de la chute de l’homme que l’a été la création de l’univers. - Eph., i, 3-14, voir col. 1487. La récapitulation de toutes choses dans le Christ n’indique-t-elie pas que l’ordre à restituer est celui-là même dans lequel les choses avaient été établies ? Si donc c’est par le Christ rédempteur que les hommes pécheurs doivent recouvrer l'état de sanctification, c’est qu’avant la chute, la grâce sanctifiante dérivait du Christ dans l’homme encore innocent. — Enfin, le Christ n’est-il pas indiqué par l'Écriture comme la fin de toutes choses, ce qui suppose l’incarnation voulue indépendamment du péché. Ileb., ii, 10 ; Col. ii, 16-17, voir col. 1486. — (3. Les Pères — On a vu plus haut, col. 1491. sp, les textes des Pères envisageant l’incarnation sans que mention soit faite de la rédemption ou dans des hypothèses où la rédemption elle-môine ne pouvait trouver place. Si toutes choses ont été créées dans le Christ, si l’homme, dans l'état de justice originelle, a été créé à l’image du Christ, si le Christ, HommeDieu, a déjà été préfiguré par Adam dans l'état d’innocence, si Adam encore innocent, a connu et prophétisé le mystère de l’incarnation, si l’incarnation est le principe de toutes les autres œuvres divines, si le Christ, comme homme, est le premier-né de toutes les créatures, si la prédestination du Christ est la cause de notre prédestination au point que la grâce des anges et celle d’Adam innocent venaient du Verbe incarné, si enfin le Christ est la cause finale de la création, comment ne pas conclure que l’incarnation est indépendante de la rédemption ? Tertullien ne semble-t-il pas le dire explicitement, et saint Cyrille d’Alexandrie lui fait écho, en nous interdisant de dire que le Christ est pour nous, alors que la piété chrétienne exige que ce soit nous qui soyons pour lui. On ne saurait donc admettre que les Pères, lorsqu’ils affirment, avec l'Écriture, que le Verbe s’est fait homme pour nous sauver, aient voulu se contredire, pas plus qu’on ne peut attacher aux paroles