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INCARNATION


Les controverses des théologiens.

1. Opinion

affirmant que l’incarnation n’est pas, dons l’ordre présent, subordonnée à la rédemption. — a) Historique. — Le premier auteur qui ait nettement formulé cette doctrine est l’abbé Rupert († 1135), principalement dans son De gloria et honore Filii hominis, t. XIII, il aflirme que le Verbe, même dans l’hypothèse où l’homme n’aurait pas péché, se serait fait homme ; le péché des hommes ne l’a pas empêché de réaliser ce dessein, mais a fait simplement que le Verbe, au lieu de s’incarner dans une chair impassible et immortelle, a pris, afin de pouvoir réparer pleinement pour nous, une chair passible et mortelle. P. L., t. clxviii, col. 1628, 1624 ; 1630. Cf. De operibus Spiriius Sancti, I. II, c. vi, P. L., t. clxvii, col. 1610. Honoré d’Autun (t ll.î2) expose une doctrine analogue : le péché, qui est le plus grand mal, n’a pu être la cause de l’incarnation, mais simplement de la mort et de la condamnation du Verbe ; l’incarnation a pour effet de déifier les hommes. Il n’apparaît pas clairement toutefois que cet auteur ait voulu prétendre que, même dans l’hypothèse où l’homme n’aurait pas péché, le Verbe se serait incarné ; il paraît plutôt distinguer, dans l’ordre actuel, l’effet de l’incarnation de celui de la mort du rédempteur. Octo qnœstionum liber, c. ii, P, L., t. clxxii, col. 1187-1188. Pierre Lombard († 1160) ne traite pas e.t professo le présent problème dans ses Sentences : il insinue toutefois la distinction entre la chair et la chair passible, t. III, dist. XV. Albert le Grand estime la solution du problème incertaine ; mais son opinion personnelle est que, même si l’homme n’avait pas péché, le Verbe se serait incarné. In IV Sent., t. III, dist. XX, a. 4. Alexandre de Halés se contente d’affirmer la haute convenance de l’incarnation, dans l’hypothèse où la nature humaine n’aurait pas été déchue par le péché Sum. theoL, dist. III, q. iii, m. xiii. Robert GrosseTête, évêque de Lincoln, († 1253), soutint la doctrine de Rupert de Deutz. De cessatione legalium, ms. Bibliothèque nationale. Nouvelles acquisitions, mss. latins, 1467. Voir le texte édité dans Christus, alpha et oméga, p. 12-18. Duns Scot donne à cette opinion une forme définitive, quoique les arguments employés par le docteur subtil ne soient pas encore présentés dans toute la force que leur donneront plus tard les théologiens de l'école franciscaine et saint François de Sales. Voir Duns Scot, t. iv, col. 1890-1891. A partir de Duns Scot, cette opinion devient pour ainsi dire une doctrine franciscaine : bon nombre des théologiens franciscains enseigneront que le Christ, même si l’homme n’avait pas péché, se serait fait homme, sans toutefois prendre la nature passible et soumise à la mort. Citons François de Mayronis († 1323), In IV Sent., t. III, dist. XVII, q. iv ; Pierre Auriol († 1345), In IV Sent., t. III, dist. I, a. 5 ; Pierre d’Aquila, dit Scolellus († 1370), In IV Sent., t. III, dist. II ; Barthélémy de Pise († 1380), 73e vita et laudibus B. M. V. libri sex, t. II, fructus vi ; S. Bernardin de Sienne († 1444), Scrm., liv, de universali regno .Jesu Christi, a. 1, c. n ; S. Bernardini Senensis ordinis seraphici minoram opéra omnia, Venise, 1745, t. i, p. 369 ; Etienne Brulefer, voir t. ii, col. 1146, In IV Sent., t. III, dist. I, q. vi, vu ; Mastrius, In IV Sent., t. III, disp. IV, a. 1 ; François F^élix, De divini Verbi incarnatione tractatus sinyularis, c. iv, Paris, 1641 ; le cardinal Laurent Brancati de Lauria († 1693), dans ses commentaires In IV Sent., t. III, disp. X, a. 1 ; Frassen, De incarnatione, disp. I, a. 2, sect. iii, q. i (c’est un des meilleurs exposés de la doctrine scotiste), et tous les théologiens scotistes, Lichet, Lefèvre, Rada, Smising, Tartaret, Castillo, etc. En dehors de l’ordre des franciscains, d’illustres théologiens se sont faits les défenseurs de l’opinion de Scot. Gabriel Biel,

7/1 IV Sent., t. III, dist. II ; Denys le Chartreux, ibid., dist. I, q. n ; Catharin, De eximia pra’deslinatione Christi, Paris, 1541 ; Granados, In 777™ p. Sum. S. Thomæ, tr. III, disp. III ; Gaspar Ilurlado, De incarnatione, disp. XIII, sect. iv, § 107 ; sect. xii, § 301 ; Pighi, De libéra arbitrio, t. VIII, c. i, a. 2, 3 ; Salmeron, In Epist. B. Pauli, I Tim., c. i, disp. III ; S. François de Sales, Traité de l’amour de Dieu, t. II, c. IV ; Cardinal de Bérulle, Discours sur l’eslat et les grandeurs de Jésus, Paris, 1623 ; Ysambert, Disputationes in III^"" part. S. Thomæ, disp. Vil ; et, au xix'e siècle, le P. Faber, Le saint sacrement, I. IV, sect. i ; Le précieux sang, c. m ; Mgr Gay, De la vie et des vertus chrétiennes, Paris, 1889, t. i, p. 19 sq., 168-169 ; Mgr Bougaud, Le christianisme elles temps présents, Paris, 1881, t. iii, c. ix ; et, plus près de nous, P. Francesco Risi, Sul motivo primario délia incarnazione del Verbo, et Oxenham, Histoire du dogme de la rédemption, traduction française, Paris, 1909, c. i.

Une place à part doit être faite, dans l’histoire de l’opinion scotiste, à Suarez. Ce théologien est d’accord avec les scotistes. De incarnatione, disp. V, sect. ii, n. 13 ; sect. iv, n. 17 ; sect. v, n. 8, en admettant que la manifestation de la perfection des œuvres divines, indépendamment de la réparation de l’humanité déchue, est un motif complet, suffisant, adéquat de l’incarnation. Toutefois, il tend à se rapprocher des théologiens de l’opinion adverse, en affirmant que la réparation du péché est un autre motif complet, suffisant, adéquat de l’incarnation. Étant donné ce double motif suffisant et adéquat, Suarez ne peut que répondre par l’affirmative à la question agitée dans l'école : le Verbe, dans l’hypothèse où l’homme n’aurait pas péché, se serait-il fait homme ? Aussi doiton le ranger logiquement parmi les tenants de l’opinion scotiste, avec lesquels il s’accorde d’ailleurs quant aux conclusions du système. Voir plus loin. L’opinion de Suarez, appelée opinion moyenne, n’a eu l’approbation d’aucune des deux écoles qu’elle prétendait concilier. Attaquée — et à juste titre — de part et d’autre, elle n’a fait que peu de disciples. Gonet cite Martinon et Ysambert. 7)e incarnatione, disp. V, a. 1, n. 2. En réalité, Ysambert est plus scotiste que suarézien. En admettant une double cause finale de l’incarnation, Suarez, en effet, détruisait en réalité la notion même de cause finale, il ne peut être question, dans cet ordre de finalité, que d’un seul motif déterminant.

b) Exposé, --a. Principes. — Dieu est amour ; toutes ses démarches procèdent de l’amour. Poussé par sa bonté. Dieu a voulu se communiquer pour aimer et être aimé en dehors de lui. Mais, pour manifester la divine bonté, fin cherchée par Dieu dans toutes ses œuvres, l’incarnation du Verbe était, dans tout l’ensemble de la création, l'œuvre la plus capable de manifester l’amour de Dieu. Plus encore, en effet, que la prédestination, la béatification et la justification de tous les hommes, la prédestination et la glorification du Verbe incarné doivent atteindre cette fin, le Christ étant plus près de Dieu que toutes les créatures. Aussi, parce que tout ce que Dieu fait est voulu dans l’ordre. Dieu a voulu tout d’abord la manifestation de sa bonté, et immédiatement après il a voulu l’incarnation du Verbe, puis seulement l’ordre de la grâce, et enfin l’ordre de la nature, auquel se réfère la permission du péché. Ainsi le décret de l’incarnation est antérieur au décret de la création et au décret permettant la faute. Frassen, op. cit., concl. 2°, 3° probatio. Voir le développement de ces principes dans S. François de Sales, Traité de l’amour de Dieu, I. II, c. IV. Voici donc, pour Scot, l’ordre des vouloirs divins : a. Dieu s’aime lui-même. [3. Il s’aime dans les