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INCARNATION


changer cet état de choses, n. 43-50. — e. La position de Vasquez est attaquée par presque tous les théologiens, et surtout par les thomistes. Ceux-ci s’efforcent d’expliquer l’expression qiiamdam infinitatem de saint Thomas, et même, de l’aveu de Jean de Saint-Thomas, Cursus theologicus, In III'^'^ pari. Summa' S. Thomæ, q. I, disp. I, a. 2, n. 30, c’est là le point fondamental à élucider. En général, les thomistes s’ufforcent de démontrer qu’au moins sous un aspect, il s’agit d’une infinité proprement dite, infinilas simpUcitcr, et non d’une infinité purement objective ou extrinsèque, comme le voudrait l'école scotiste. Les thomistes, partisans d’une opinion extrême, soutiennent que, si physiquement le péché est fini dans les privations ou les peines qu’il entraîne, moralement, dans l’offense de Dieu, la malice qu’il comporte, il doit être dit purement et simplement infini. Gonet, Clypeus, De moralilate acluum humanorum, disp. IX, a. 1 ; De incarnalione, disp. IV, a. 1. D’autres, analysant d’une façon plus complète les éléments moraux qui constituent le péché, concèdent que, sous le rapport de la malice et du démérite, le péché ne doit pas être réputé infini, mais que l’infinité ne lui convient que sous le rapport de l’offense de Dieu. On trouvera dans les Salmanticences le meilleur et le plus parfait exposé de la controverse, avec l’indication des textes de saint Thomas sur lesquels chaque opinion prétend s’appuyer. De incanialionc, disp. I, dub. i, § 1 ; dub. ii, iii, iv, v ; cf. tr. XIII, disp. VII, dub. ii, n. 24 sq. ; disp. XVII, dub. IV, n. Il sq. On se reportera aussi à ces différents traités des théologiens de Salamanque pour les noms et les références des auteurs cités en faveur de chaque opinion. Voir Péché. Quelques auteurs, plus modérés, tout en inclinant vers l’opinion qui considère le péché comme infini, en tant qu’offense de Dieu, admettent cependant que, relativement à la nécessité de l’incarnation, cette opinion ne s’impose pas. Jean de SaintThomas, loc. cit., n. 39 sq. ; Billuart, loc. cit., § 2. Et par là, on donne droit de cité, même pour iiilcrpréter la pensée de saint Thomas, à l’opinion moyenne, qui prétend que, sous aucun rapport, le péché ne doit être dit infini. — LC’est l’opinion de Suarez, de De Lugo, auxquels on peut joindre, dans la famille dominicaine, D. Soto : Suarez, De incarnalione, disp. IV, sect. vu ; n. 19 ; De Lugo, De incarnatione, disp. V, sect.ui ; D.Soto, In IV Seul., t. IV, dist.XIX, q.i, a.2, ad 1°'" ; De iiatura et gralia, c. vi, concl. 3°. Ces auteurs tout en maintenant la conclusion communément admise, n’en reconnaissent pas d’autre raison valable, que le manque de proportion qui existera toujours entre l’offense faite à Dieu et la réparation olTerte par une simple créature. L’offense, en effet, s’estime en fonction de la dignité de la personne offensée : elle est donc d’autant plus grave que la personne offensée est plus digne. La réparation, au contraire, s’estime en fonction de la dignité de celui qui répare. Et ainsi, jamais une réparation oITerte à Dieu pour le péché par une simple créature ne sera équivalente à l’olïense faite à la divine majesté, car l’offensé. Dieu, sera toujours d’une dignité supérieure à la créature, si parfaite soit-elle, qui veut réparer. Cette solution moyenne, qui semble s’accorder avec les principes et la lettre même de saint Thomas, présente le grand avantage de dégager la doctrine de la nécessité de l’incarnation d’opinions discutées et simplement probables. Voir l’exposé de cette opinion dans Billot, op. cit., th. ii, § 2. Nonobstant cette théorie, il reste vrai que par rapport à la gloire de Dieu, un seul acte de charité parfaite cause plus de gloire que mille péchés et plus n’apportent de diminution à cette gloire. Ou plutôt, il n’y a pas de comparaison possible ; en réalité, le péché ne diminue pas la gloire divine ; l’acte de charité l’augmente. Ibid., p. 29, note.

30 Cette question de la nécessité de l’incarnation doit être dégagée de deux autres questions connexes que beaucoup de théologiens ont pris l’habitude de traiter simultanément : la question de la satisfaction surabondante du Christ ; la question de la satisfaction en rigueur de justice. Ces deux questions seront discutées à RÉDEMPTION. Ainsi précisé, le problème de la nécessité de l’incarnation se trouve dégagé de considérations superflues et l’ordre suivi par saint Thomas dans la Somme est pleinement justifié.

S. Thomas, Sum. theol., III", q. i. a. 2 ; Conl. génies, t. IV, c. Liii-Lv, et les commentateurs ; Pierre Lombard, Sent., t. III, dist. I, XX, et les commentateurs, spécialement les grands théologiens cités au cours de l’article ; Petau, De incarnalione, t. II, c. xii-xiv ; ïhomassin. De incarnalione, t. IX, c. i, ii, vii, ix ; Legrand, op. cit., diss. V ; Tolet, op. cit., q. i, a. 2. Parmi les modernes, les auteurs des manuels théologiques, à la question de la convenance et de la nécessité de l’incamation, et, en plus, Heinrich, Dogmalisclie Théologie, Mayence, 1896, t. vi, § 325-329 ; Scheeben, La dogmalique, trad. franc., Paris, 1882, t. iv, § 296-208 ; Schætzler, Das Dogma von der Menscbwerdung, Fribourg-en-Brisgau, 1875, § 2'.)-32 ; Monsabré, Exposition du dogme cattiolique, 25= conférence, notes.

V. Cause finale.

Position du problème.

1. Il

ne s’agit pas ici de donner une raison de la volonté divine. La volonté divine n’est mue par aucune cause extérieure à elle-même. Voir Création, t. iii, col. 2166. Dans l’incarnation ce n’est pas pour un motif tiré des créatures, c’est de lui-même, par un dessein gratuit, que Dieu se décide à décréter la venue du Verbe dans la chair. En ce sens, la raison primordiale de l’incarnation, ce n’est ni la chute de l’homme, ni aucune autre raison tirée des contingences humaines, c’est l’unique bon plaisir de Dieu. Mais, en agissant ainsi par un libre dessein de sa volonté. Dieu se propose toujours une fin digne de lui, manifestation de sa bonté, accroissement de sa gloire. Et c’est sur ce point précis que se pose la question de la cause finale de i’incarnalion. — 2. Tous les théologiens sont d’accord pour reconnaître que Dieu, en produisant l’incarnation, a pu se proposer différentes fins. La sainte Écriture l’indique formellement ; c’est la gloire divine qu’il fallait manifester, Joa., xvii, 4 ; cf. i, 14 ; l’instruction des hommes que devait parfaire l’enseignement du Christ, xviii, 37 ; l’exemple du Messie que le monde devait recueillir, iii, 14. Les théologiens n’ont pas méconnu ces fins diverses : les convenances de l’incarnation, voir ci-dessus, les impliquent. Saint Thomas les résume sous plusieurs chefs : retrait de l’homme des soucis matériels, pour l’attirer vers Dieu ; démonstration de la dignité de la nature humaine ; manifestation de l’immensité de l’amour de Dieu pour les hommes ; préparation et avant-goût de la bienheureuse union de la vision intuitive ; enfin, perfection et couronnement de l'œuvre universelle du créateur. Compendium theologiæ, c. cci. Parmi toutes les fins que Dieu semble s'être proposées dans l’incarnation du Verbe, il en est une sur laquelle l'Écriture insiste davantage, le salut des hommes et leur rédemption. I Tiin., i, 15 ; Joa., III, 14 sq. ; Gal., iv, 4 ; cf. Rom., viii, 3. Il s’agit de savoir si cette fin plus spécialement mentionnée n’est pas la fin principale, unique, qui conditionne l’existence des autres fins, de telle sorte que si l’homme n’avait pas péché, le Verbe ne se serait pas incarné. — 3. Tous les théologiens concèdent pareillement que l’incarnation, même si l’homme n’avait pas péché, est non seulement possible, mais encore convenable, c’est-à-dire en réelle conformité avec les attributs divins, les propriétés du Verbe, les dispositions de la nature créée. Voir ci-dessus, col. 14(>3. — 4. Tous les théologiens concèdent pareillement que, même dans l’hypothèse où le Verbe se serait fait chair sans que l’homme eût péché, il ne serait pas venu dans une