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INCARNATION


dût être faite en faveur de toutes les créatures raisoîinables ou niènie de la majeure partie d’entre elles, Dieu est maître absolu de ses communications : il peut, en toute liberté, accorder à l’un ce qu’il refuse à l’autre, et la manifestation de cette liberté est la première convenance à retenir en parlant des œuvres divines. Le problème soulevé par les adversaires, n’a pas plus de portée que celui de l’assomption de la nature angélique par le Christ, ou celui de l’incarnation décrétée par Dieu, même dans l’hypothèse où l’homme n’aurait pas péché. D’autre part, il ne semble pas contraire à la divine sagesse que tant de mondes différents de notre terre et bien plus vastes qu’elle, soient inhabités et demeurent privés de vie humaine. Tout cet univers, en effet, dans son immensité, est utile pour faire connaître à l’homme la grandeur et la puissance du créateur, cf. Sap., XIII, 5, non seulement maintenant, mais encore et surtout après la mort, après la résurrection des corps, alors que les justes, eù777me des étincelles à travers les roseaux parcourront les espaces..Sap., i, 7, et pourront admirer, » les cieux, œuvres des mains du Créateur, et la lune, et les étoiles produites par Lui. > Ps. VIII, 3. De Verbo iiuariudo, q. i, scholion. La thèse de la pluralité des mondes ne date pas d’aujourd’hui. Cf. Gotti, Theologia scholaslica, tr. VIII, De Deo creatorp, Venise, 178.3, t. i, p. 448. Les savants les plus célèbres ayant professé cette opinion sont Nicolas de Cuse, Giordano Bruno, Thomas Campanella. Descartes, Kepler, Galilée, Leibnilz, etc. Plus récemment, le P. Secchi s’en est montré partisan, Le soleil, trad. franc., Paris, p. 418 ; Mgr Bougaud, Tongiorgi, Mgr Élie Méric, M. Pioger, le P. Ortolan, l’ont exposée avec complaisance, et le P. Monsabré lui-même n’y est pas hostile. Voir Exposition du dogme chrétien, 49<^ conférence, La rédemption. Mais le P. Monsabré jnontre bien, dans l’une ou l’autre hypothèse, la parfaite convenance de l’incarnation quant au lieu. Quant aux textes scripturaires invoqués pour ou contre, ils ne prouvent pas ce qu’on leur voudrait faire signifier.

Pioger, Le dogme chrétien et la jduralUé des mondes liabilés, Paris, 1874 ; Th. Ortolan, Ltiides sur la pluralité des mondes habités et le dogme de l’incarnation, de la collection Science et religion ; Mf^r Élie Méric, L’autre vie, 1. II. c. v.

/II. NÉCESfiiTÉ. — 1° Comment se pose le problème. — 1. Nulle nécessité de l’inc(trnatiun antécédente (tu péché de l’homme. — On peut concevoir cette nécessité antécédente de plusieurs façons, a) Comme une nécessité phtjsique. C’est l’erreur de tous ceux qui ont nié la pleine liberté de Dieu dans ses opérations ad extra, principalement la création. Voir les propositions d’Eckart, condamnées par Jean XXII, n. 1 et 3, Denzinger-Bannwart, n. 501, 503 ; de WiclefT, n. 27, condamnée au concile de Constance, n. G07. Voir sur li ; dogme de la liberté de l’acte créateur, spécialement défini par le concile du Vatican, Création, t. iii, col. 2139 sq. — b) Comme une nécessité métaphysique : c’est l’erreur des partisans de l’optimisme, qui pensent que, dans l’hypothèse où Dieu se décide

créer le monde, il ne peut pas ne pas le faire, le

meilleur possible et, partant, comportant l’incarnation du Verbe. Au moyen âge, Raymond LuU préluda à cette théorie. Sans admettre que l’incarnation, soit, dans un sens absolu, nécessaire à Dieu, il soutient néanmoins que, la création du monde étant donnée, il fallait que l’incarnation la suivît. Dieu ne pouvait pas décréter la création sans en même temps décréter l’incarnation, parce qu’il était tenu de décréter la meilleure et la plus parfaite espèce de création, laquelle suiipose l’union d’une nature créée avec une personne incréée. Ars magna, Mayence,

UICT. DE THÉOL. CATHOL.

1721, demonst. viii. On se rend facilement compte que cette conclusion n’est que la suite logique du caractère rationnel que Lull accordait aux dogmes. Voir plus haut, col 1455, CLVasquez, /n /// » °> Sum. S. Thumæ, disp. I, c. ii ; De Lugo, De incarnatione, disp. II, sect. i. Au xvii" ; siècle, Malebranche ressuscite la thèse de l’optimisme. Dans son désir de se débarrasser de ce qu’il appelle les volontés occasionnelles de Dieu, il déclare que la création forme dans un certain sens, un tout indivisible avec le Verbe incarné. Entretiens sur la métaphysique et la religion, ent. ix, n. 5 sq. ; Traité de la nature et de la grâce, diss. I, a. 2, 3. Fénelon, Ré/ulation du système de Mulebranclie, c. i, montre bien comment la nécessité de l’incarnation, chez Malebranche. se rattache à son système général de l’optimisme par la théorie de la simplicité des voies et des volontés générales : (1 Qu’est-ce donc que cette simplicité des voies ? Dieu, connaissant toutes les manières de faire son ouvrage, choisira celle qui lui coûtera le moins de volontés particulières, celle où il voit que les volontés générales sont le plus fécondes. Il aurait pu, par une volonté particulière, empêcher que la pluie ne tombât inutilement sur la mer ; mais il est plus parfait à Dieu de s'épargner des volontés particulières que d’ajouter cette perfection à son ouvrage. Mais pour que l’ouvrage de Dieu ait un caractère de perfection infinie, l’auteur joint au principe de la simplicité des voies un second principe : c’est que le monde serait un ouvrage indigne de Dieu si Jésus-Christ n’entrait dans le dessein de la création. Dieu n’a pu créer le monde qu’en vue de l’incarnation du Verbe. Quand même l’homme n’eût jamais péché, la naissance de Jésus-Christ eût été d’une nécessité absolue. » Bien que rejetant le mot de nécessité métaplujsique, pour n’accepter dans l’acte de Dieu qu’une nécessite morale, Théodicéc, essais sur la bonté de Dieu, n. 282, Leibniz est, au fond, d’accord avec Malebranche. De sa théorie générale de l’optimisme découle la nécessité de l’incarnation : « Il y a une infinité de mondes possibles, dont // faut que Dieu ait choisi le meilleur, puisqu’il ne fait rien sans agir suivant la suprême raison… Tout est lié dans chacun des mondes possibles ; l’univers, quel qu’il puisse être, est tout d’une pièce, ., de sorte que Dieu y a tout réglé par avance une fois pour toutes, .. et chaque chose a contribué idéalement avant son existence, à la résolution qui a été prise sur l’existence de toutes choses. » Ibid., n. 8, 9. Cf. Schætzler, Dos Dogma » on der Menschiuerdung, }). 284 sq. — c) Comme une nécessité morale proprement dite : et telle est la doctrine de Rosinini, prop. 18, condamnée par le saint-ofiicc, 14 décembre 1887 : « L’amour par lequel Dieu s’aime dans les créatures, et qui est la raison pour laquelle il se détermine à créer, constitue une nécessité morale, qui, dans l'être parfait, produit toujours son effet. » Denzinger-Bannwart, n. 1908. — d) Comme une nécessité morale, au sens large : Datur in Deo inclinât io, seu moralis nécessitas ad optimum, adeoque ad incarnationem ponendam. Nécessitas liœc est potius metaphorica : cum non imbibai diljicullalem in oppositum ; sed soluni jundet judicium prudens de optimo ponendo, et impriidentissimum ac inopinubile de eo non ponendo. Viva, S. J., De incarnatione, disp. I, q. ii, a. 2. A la même opinion se rattachent Didace Ruiz, S. J., De voluntate Dei, disp. IX ; Granados, S. J., De voluntede Dei, disp. III ; Maurus, S..1., De Deo, disp. LI, etc.

Ces doctrines, qui supposent comme fondement la thèse de l’optimisme absolu ou relatif, sont à rejeter tout au moins comme théologiquement fausses (sauf peut-être la dernière opinion, à cause de la restriction apportée : cum non imbibai diljicullalem in oppositum).

VII.

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